Frantisek Drtikol, celui qui a immortalisé la beauté féminine

Photographie de Frantisek Drtikol

Restons encore dans l'univers de la photographie... Existe-t-il un sujet plus attirant, du point de vue du public, mais aussi difficile du point de vue de l'artiste, photographe, peintre ou sculpteur, qu'un corps humain ? Et si, en plus, il s'agit d'un corps dénudé... Pourquoi donc l'homme a-t-il toujours été tellement fasciné par le nu qui est, en effet, un reflet de lui-même ? Le nu est spontané, naturel, il nous montre l'homme tel qu'il est vraiment : débarrassé des clichés, des tabous, des préjugés, de tout ce que la civilisation lui impose. Je voudrais vous faire connaître, aujourd'hui, un photographe tchèque qui s'est fait remarquer dans le monde entier justement par ses nus. Il s'appelle Frantisek Drtikol et le 3 mars, cent vingt ans se sont écoulés depuis sa naissance.

Frantisek Drtikol, l'un des fondateurs de la photographie tchèque moderne, est né en 1883 à Pribram, en Bohême centrale, dans la famille d'un petit commerçant. Il aurait peut-être voulu faire des études de peinture, mais son père, homme réaliste, a choisi à sa place un métier artisanal - celui de photographe. A dix-huit ans, Drtikol part en stage dans une école de photographie à Munich. Il y reste deux ans. C'est pendant ce séjour allemand qu'il tombe amoureux de la photographie artistique. En 1910, Drtikol s'installe à Prague et ouvre, non loin de la place Venceslas, son célèbre atelier spécialisé dans le portrait. Devant son appareil défilent de grandes personnalités de l'époque, acteurs et chanteurs, musiciens et compositeurs, peintres et sculpteurs, écrivains et poètes, hommes politiques... Parmi elles, par exemple, T. G. Masaryk, futur Président tchécoslovaque, le peintre et écrivain Josef Capek, la vedette de l'opéra Emmy Destinn, ou encore le poète français, Paul Valéry. Que pensait Frantisek Drtikol du portrait ? "Quand je fais une photo du modèle pour un sculpteur ou un peintre, je ne m'occupe que de la forme. A eux d'exprimer le caractère de la personne, ou plutôt leur vision de son caractère. Sinon, j'essaye toujours de matérialiser ce qui est, dans le visage et dans le corps, immatériel, et c'est justement le caractère".

Peu à peu, le photographe Frantisek Drtikol abandonne le portrait et commence à s'intéresser au corps féminin. La femme dénudée est son sujet privilégié, elle le fascine et lui rapporte un succès fou dans sa patrie, comme à l'étranger; elle l'immortalise... Aujourd'hui, cent ans après leur création, ses portraits féminins n'ont rien perdu de leur fraîcheur, de leur mystère, de leur tendresse... Ils sont tendres et, en même temps, dramatiques, arrangés, mais point "figés", point artificiels.

Au début de son trajet artistique, Drtikol est marqué par l'Art nouveau. Il fait un cycle de portraits de Salomé, femme fatale, femme cruelle, femme qui domine l'homme. Brune, de grands yeux noirs, des bijoux dans les cheveux, nue, avec la tête coupée de saint Jean-Baptiste entre les mains, voilà sa Salomé la plus connue...

Dans les années 20, le photographe s'inspire de l'avant-garde, du cubisme et du futurisme. Les filles et les femmes jouent, sur ses photos, avec des accessoires aux formes géométriques : cercles, barres, cordes, triangles, boules... Les objets et les corps éclairés jettent des ombres, et on sent que Frantisek Drtikol adore ce jeu impressionnant de la lumière. "La lumière est à l'origine de la photographie", dit-il, "la lumière sait donner des centaines de formes à un seul objet et l'oeil du photographe doit être susceptible de percevoir toutes ces nuances. Tout comme le sentiment, qui embellit et anime un visage humain, la lumière embellit et anime des choses. Une bande de lumière qui entre dans mon atelier et grimpe sur le rideau, c'est un spectacle que je ne changerais pour rien au monde".

A part le jeu de la lumière, c'est le mouvement qui est caractéristique pour les photos de Frantisek Drtikol. Rien d'étonnant, il choisissait souvent comme modèles des danseuses, des femmes minces aux gestes gracieux. Moins surprenant encore, une d'entre elles, Ervina Kupferova, une des meilleures danseuses pragoises de son époque, est devenue sa première femme.

Dans le milieu des années 30, Frantisek Drtikol choque ses admirateurs. Au sommet de sa gloire, il dit adieu à la photographie, vend son atelier avec tout l'équipement et offre des milliers de ses photos, dessins et catalogues au Musée des Arts Décoratifs de Prague. Pourquoi avoir sauté du train filant à toute vitesse ? Justement pour ralentir... Le reste de sa vie, Frantisek Drtikol se tient à l'écart de la société. Il se consacre à la philosophie, au bouddhisme. Il a quelques élèves qui lui sont chers et lui rendent visite régulièrement dans sa villa pragoise. Après sa mort, en 1961, son oeuvre tombe un peu dans l'oubli, pour être systématiquement redécouverte, ces vingt dernières années. A vous aussi, de découvrir son monde rêvé, où les femmes ne vieillissent pas, où elle sont toujours belles, séduisantes et insaisissables, telles qu'elle devraient être même dans la réalité...

Auteur: Magdalena Segertová
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