Festival KoresponDance : un bouillonnement culturel continu à Žďar nad Sázavou

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Du 8 au 10 juillet prochains, après avoir bien profité du festival du film de Karlovy Vary, en Bohême de l’Ouest, prenez la direction de l’est du pays cette fois, dans la région de la Vysočina. C’est là que se niche un site UNESCO extraordinaire, à Žďar nad Sázavou. Et c’est dans le cadre de ce site que se déroule le festival de danse contemporaine KoresponDance. Rencontre avec sa directrice, Marie Kinský.

Marie Kinský, bonjour. Nous nous retrouvons traditionnellement pour parler du festival KoresponDance, qui se déroulera la semaine prochaine. Le festival existe depuis plusieurs années, il se déroule principalement – mais pas exclusivement – à Žďar nad Sázavou, un peu loin de Prague. Pouvez-vous nous décrire ce lieu, qui est un site extraordinaire ?

Žďar nad Sázavou,  photo: David Hána,  CC BY-SA 3.0 Unported
« Žďar nad Sázavou se trouve à 160 kilomètres de Prague, donc ce n'est pas si loin que ça ! Il est tout à fait possible de faire l'aller-retour dans la journée, et d'ailleurs je le fais plusieurs fois par semaine ! C'est un lieu assez magique, puisque c'est une abbaye de fondateurs. Ou plutôt c'est à la fois un château et une abbaye cistercienne, baroque, qui a été construite par le grand architecte tchèque Jan Santini Aichel. Vous pouvez encore la voir aujourd'hui bien qu'elle date du XIIIème siècle. C'est un endroit extraordinaire qui réunit plusieurs qualités : du fait de l'abbaye, c'est un endroit qui favorise le calme et le ressourcement. Par son esthétique, c'est un endroit tout-à-fait exceptionnel. Enfin, il y a ici une tradition qui fait que ce lieu vit toujours selon les mêmes principes qu'au XIIIème siècle, mais de façon tout-à-fait contemporaine. Voilà cinq ans maintenant que nous avons pris ce lieu sous notre responsabilité. Après la fin des travaux de réfection des bâtiments, nous l'avons ouvert au public et nous y développons des activités culturelles. Nous avons ouvert l'an dernier un centre d'interprétation ainsi qu'un musée nouvelle génération, pour donner aux visiteurs la possibilité de comprendre le lieu dans lequel ils se trouvent – comprendre ce qu'est une abbaye, ce qu'est un fondateur, quelle a été la relation entre les laïcs et les religieux ici, quelle a été l'activité économique de ce lieu. Nous expliquons la vie de ce lieu dans sa totalité. Et il y a aussi toute la partie artistique, bien évidemment ! »

En dehors du festival, c'est donc un lieu qui vit toute l'année ?

« Absolument. Nous ne fermons que quinze jours dans l'année, il vit donc un peu plus de 350 jours par an ! Mais c'est un lieu qui vit aussi par lui-même, parce qu'il y a une école, il y a des pompiers qui sont présents, il y a une paroisse très vivante, et bien sûr il y a les activités culturelles que nous y menons très intensément. »

J'imagine donc que cette vie très active doit impliquer les locaux. Il y a des relations avec les gens de Žďar nad Sázavou et des alentours ?

« Les liens de proximité sont toujours compliqués. Avoir une politique d'ouverture demande pas mal de patience ! Il y a bien sûr des bonnes volontés, de part et d'autre, mais il y a aussi de l'incompréhension. Mais nous finirons par y arriver ! »

Comment le festival s'articule-t-il à la vie du lieu ? Occupe-t-il tout le site ?

« Notre projet artistique est un projet centré sur la création. Or, les créateurs sont nombreux dans le patrimoine de Žďar nad Sázavou. Vous les rencontrez dans le musée, ce sont eux qui vont vous aider à comprendre leur lieu et leur époque. Mais ces créateurs sont aussi ceux d'aujourd'hui, et ils témoignent de l'évolution du lieu et de notre époque actuelle. C'est le lien fort qui existe entre l'histoire du lieu et le festival. Le festival est un lieu de création : les artistes viennent, longtemps à l'avance, et ils créent pour le festival, avec des gens du lieu ou avec des artistes internationaux. Le lieu du festival, c'est l'ensemble du château. Nous n'avons pas de théâtre ici, et je refuse d'en avoir un. Le théâtre c'est le lieu lui-même, la nature, les bâtiments, et la vie locale. »

Cette année, parallèlement au festival, vous menez un autre projet qui s'intitule Fillimit : de quoi s'agit-il ?

Lenka Flory et Marie Kinský,  photo: Facebook du festival KoresponDance
« Fillimit est un projet que nous avons développé avec Lenka Flory, qui est co-directrice du festival et qui s'occupe des relations internationales. Elle invite quatorze artistes, jeunes ou moins jeunes, qui viennent ici pour rencontrer des gens qu'ils ne pourraient pas rencontrer autrement. C'est pourquoi vous trouvez dans ce groupe des Lituaniens, des Mexicains, des Vénézuéliens, des Français, des Anglais, des Hollandais, qui vont passer quatre jours ensemble pour se connaître et commencer à créer quelque chose ensemble. Ils vont travailler en duo. Les duos qui présenteront une recherche intéressante, nous les soutiendrons et ils obtiendront des résidences dans trois pays différents. Le moment du début de la création est toujours un moment passionnant, parce qu'il reflète notre vie, même celle des non-artistes : ce sont des moments où les intuitions commencent à se faire action, et ce sont toujours des moments forts. Pouvoir rencontrer cela est très important, tout comme l'est le fait de soutenir des gens qui ont un vrai potentiel ou des projets de recherche. »

Ce sera donc une sorte de bouillonnement…

« C'est déjà un bouillonnement. Entre le projet Danse à l'école, les projets de résidence, les projets de camps d'été artistiques pour les enfants, et les créations propres du festival, il y a déjà un mois que tout cela bouillonne bien. Le festival n'est en fait que la partie visible de l'iceberg ! »

Pour en revenir au festival justement, quel est le fil conducteur de cette nouvelle édition ?

Marie Gourdain,  photo: Archives de Marie Gourdain
« Cette année, le fil conducteur, ce sont les relations entre la scénographie et le mouvement. Nous avons une conception assez large de ce qu'est la danse contemporaine. C'est à la fois ce qu'on appelle traditionnellement la danse, mais c'est aussi le théâtre du mouvement – il s'agit là d'une tradition très forte en Europe centrale et particulièrement en République tchèque, nous avons un beau patrimoine tchèque dans ce domaine. C'est aussi le nouveau cirque, qui est une forme d'art nouvelle en République tchèque, qui vient surtout de France mais qui commence à s'enraciner ici. C'est une forme qui a un immense potentiel artistique, un immense potentiel de recherche, et qui est aussi très accessible. Elle peut faire facilement comprendre ce qu'est la danse, et d'une façon absolument magique. Nous confrontons ces arts du mouvement avec un art qui est plutôt plastique : la scénographie. Nous avons donc choisi des spectacles dans lesquels les éléments scénographiques sont aussi des éléments de mouvement. Depuis quatre ans maintenant, une scénographe suit attentivement tout le festival : Marie Gourdain. »

…que Radio Prague a rencontrée…

« Absolument ! C'est une femme aussi merveilleuse que compétente, très imaginative : quelqu'un d'extraordinaire. Elle nous aide à mettre en scène le château. Elle participe aussi à des créations que nous commandons pour le festival, et elle participera aussi une table ronde autour du thème du festival. Le public peut venir assister à cette table ronde, elle n'est pas réservée aux professionnels. Le public pourra voir des choses à la fois extrêmement subtiles, spectaculaires, et absolument accessibles à tous. Pour le milieu artistique, ce bouillonnement intellectuel autour du festival permet toujours de continuer à avancer. »

Il est toujours difficile de faire un choix dans une programmation. Néanmoins, pourriez-vous nous suggérer un ou deux spectacles à ne pas manquer ?

Jordi Galí,  'Ciel',  photo: Facebook du festival KoresponDance
« Je recommande de ne pas rater, vendredi soir, le spectacle de João Paolo Dos Santos, ‘Contigo’, à 22 heures. C'est donc un spectacle hors du lieu, puisque l'un des objectifs du festival est de relier la ville et le château, de ne pas rester isolés en autarcie. Un autre spectacle que je recommande est celui de Jordi Galí, samedi, et qui est un magnifique exemple de la relation entre la matière et le mouvement. Il travaille sur l'équilibre de la matière, l'équilibre du corps, qui finit par une sculpture, et des mouvements minimalistes extraordinairement méditatifs. C'est un petit bijou de sensibilité, extraordinaire, visuellement parlant. Pour ceux qui aiment la musique, nous mettons en scène le Stabat mater de Pergolèse, avec de la danse contemporaine, dans une salle à fresques éclairée à la bougie. Pour y accéder, vous passez par un escalier baroque Santini, il y a une installation sonore dans l'escalier, et vous arrivez dans une salle majestueuse, éclairée à la bougie. »