Anifest 2008 : le cinéma d’animation, ce reflet étrange du monde

Alors que la saison festivalière en cinéma et en musique a commencé, retour sur le festival du film d’animation Anifest qui s’est achevé mardi à Třeboň. Dans cette émission, je vous propose des rencontres avec des cinéastes mais aussi de mettre la main à la pâte dans un atelier de fabrication de film d’animation pour les enfants… Direction donc Třeboň, dans le Sud de la Bohême.

'L’invention diabolique'
Deuxième soir du festival Anifest, sur la charmante place centrale de Třeboň… La petite caravane de projection installée pour l’occasion fait plus penser à un sauna, entre la chaleur du soir, et les machines qui chauffent. A l’autre bout du faisceau lumineux de l’appareil de projection, un film culte pour les Tchèques : L’invention diabolique de Karel Zeman, le Méliès local, un long métrage de 1958 inspiré de Jules Verne qui mêle animation et jeu d’acteurs.

Projections en plein air le soir, projections en salles, concerts, de nombreux festivaliers ont ainsi profité du week-end prolongé du 8 mai pour allier la détente dans la belle région d’étangs de Třeboň au plaisir de voir et parfois revoir des courts et longs métrages d’animation.

Avec maintenant 7 ans derrière lui, le petit festival Anifest est devenu grand et a réussi à se faire un petit nom dans la multitude de festivals similaires… Pour preuve sans doute, la présence de Philip Bergson, un nom dans la critique de cinéma, ancien de la BBC, collaborateur de France Culture, et qui court les plus grands festivals de cinéma dans le monde. A Anifest, il était membre du jury, ce qui dénote l’absence de tout snobisme vis-à-vis d’un « petit » festival :

« Il y a beaucoup de festivals dans le monde, c’est sûr… 613 environ. Anifest, à Třeboň, c’est un jeune festival, mais avec beaucoup d’énergie, beaucoup d’espoir et beaucoup de charme. Il y a pas mal de gens importants : l’an dernier, le Belge Raoul Servais était là, cette année on attendait Jan Švankmajer pour présenter son prochain projet, hélas il est malade, mais son producteur est là… Je suis membre du jury, c’est pour cela que je suis venu. Je regarde toute la journée des films et je ne peux pas profiter du soleil… Mais il y a même un metteur en scène de la Corée qui est ici ! Il a présenté son film, un long métrage que j’ai bien aimé et un autre film qui a été primé en France, à Gérardmer. Třeboň c’est la rencontre pour les cinéastes, le public et le charme du Sud de la Bohême. »

Mais dans ce type de festivals quand même un peu moins bien rodés que les grands, il peut arriver quelques problèmes techniques… comme pour la projection du charmant film de la Belge Pascale Hecquet, Une girafe sous la pluie. Les problèmes d’image n’ont pourtant pas fait perdre sa bonne humeur à la réalisatrice, qui apprécie l’ambiance bon enfant du festival… Son court métrage évoque de manière humoristique un problème plus grave, celui des expulsions, par le biais d’une girafe qui se retrouve en Europe et affronte les problèmes des sans-papiers. Avant d’évoquer son film, je lui ai demandé ce qu’elle pensait des films qu’elle avait vus :

« J’ai bien aimé tous les programmes d’étudiants, je trouvais ça original, je me suis dit : c’est étudiant et c’est parfois mieux que moi… Un chouette niveau vraiment, et l’accueil est super. »

Le film d’animation tchèque a plutôt une bonne réputation, est-ce qu’en Belgique, on le connaît ?

« Bizarrement, je sais pas d’où ça me vient parce que je ne suis pas spécialement cultivée à ce niveau là, mais j’avais dans l’idée que c’était ‘à la page’, surtout tout ce qui est découpage papier… Je connaissais l’histoire de la petite taupe. Je ne connaissais pas son nom, mais c’est ici que je l’ai revue. Mais je ne sais pas comment je connais tout ça. On n’a pas spécialement un cours où on verrait l’animation tchèque à l’école. »

'Une girafe sous la pluie'
Comment vous est venue l’idée d’Une girafe sous la pluie, un court métrage qui est quand même pas mal d’actualité sur les expulsions d’étrangers ?

« C’est autant d’actualité en Belgique qu’en France. Mais quand j’ai commencé il y a deux ans, ça l’était beaucoup moins… Je ne pensais pas que ça le serait autant au moment de la sortie, c’est de pire en pire. L’histoire, elle n’est pas venue sur ce thème-là, mais plutôt sur l’idée de la différence. Je voulais me mettre dans la peau de quelqu’un de différent. Petite je me demandais comment ce serait si j’étais très différente des autres. Donc je trouvais chouette l’idée de la girafe chez les chiens. Mais au début, je n’avais pas d’idée politique derrière. C’est venu progressivement avec l’histoire. »

Les Belges vont-ils voir des films d’animation ? On sait que la Belgique c’est le pays de la BD, est-ce aussi le pays de l’animation ?

« Pas tellement. Ils vont voir comme partout des films d’animation pour les enfants, les grosses productions comme Shreck ou ce genre de choses. En même temps les salles sont combles dans les festivals de dessins animés. Mais dans les salles de cinéma c’est toujours la publicité qui prime avant les longs métrages… Je pense que les gens lisent plus facilement des BD qu’ils ne vont voir des dessins animés. »

Pensez-vous que de manière générale les gens se disent cinéma d’animation égale films pour enfants ? Ce préjugé perdure-t-il ?

« C’est étrange. J’ai envie de dire oui, pour le commun des mortels. En même temps quand on cherche des financements c’est particulier. Moi je suis entre les deux : ma Girafe, elle a une lecture adulte et une lecture enfants. Je commence un nouveau projet qui est vraiment pour les enfants. Là, ça passe moins bien pour les financements… On nous dit : pour les films pour enfants, allez trouver de l’argent dans les télévisions etc… Les adultes aiment bien certains films où il y a les deux tableaux, comme Shreck où il y a la partie humoristique pour eux, la partie féerique pour les enfants… Mais un long métrage pour adultes d’animation, c’est dur à financer. »

Alors quelle est la place du film d’animation dans le cinéma, le film d’animation est-il réservé à un public d’amateurs, des sections doivent-elles lui être réservés dans les festivals généralistes. Philip Bergson sur la spécificité du genre :

« Dans un sens, je suis tout à fait contre l’idée que les films soient compartimentés, mis dans un ghetto. Mais tout ça c’est une question de marketing. On fait un festival de courts-métrages, donc on ne met pas de longs- métrages dans un festival de courts-métrages. A Annecy, on va tous les deux ans voir tous les meilleurs dessins animés du monde. C’est une forme de cinéma très spécialisée parce qu’il n’y a pas d’acteurs. Le réalisateur, le dessinateur contrôle totalement le monde de son film. On n’a pas à tricher avec les acteurs qui sont très compliqués et très chers aujourd’hui. Il y a beaucoup de façon de tourner des films animés aujourd’hui, mais l’important c’est qu’il y ait une histoire. Le monde de l’animation, au fond, c’est le monde des enfants, c’est le monde de la magie. C’est un reflet du monde, mais un reflet bizarre. Le miroir triche toujours. Et ici, à ce festival, pendant toutes ces journées, on goûte à de superbes mensonges… »

Le film d’animation, c’est pour tous les âges et pour tous les goûts. D’ailleurs, les films projetés à Anifest étaient toujours signalés comme convenant ou pas à des enfants en bas âge… Mais, à côté des projections, Anifest, c’est aussi des ateliers création pendant la journée où les scolaires peuvent venir apprendre à réaliser leur propre film d’animation. Bedřich Marek est étudiant en cinéma, il explique les coulisses de la fabrication du son :

« Le son se fabrique de plein de manières. Vous avez besoin d’un micro mais après, c’est une question d’imagination. Dans le son, c’est un peu spécial : souvent la signification du son vous apparaît par association avec l’image, donc si vous voulez fabriquer un son évoquant un trépignement, vous pouvez le fabriquer de pleins de façons différentes. »

Trois petites filles ont préparé une animation avec une cigogne et une grenouille… Elles ont rejoint Bedřich qui va les aider à sonoriser leur mini film :

« J’ai téléchargé les photos prises par les enfants, je les toutes assemblées côte à côte et j’en ai fait un film animé. On va le regarder et on va décider quels sons il faut mettre… »

Et Marianka propose immédiatement :

« On peut claquer nos mains pour le son du bec de la cigogne, et il faut qu’on dise couac pour la grenouille. »

Bedřich installe le micro et c’est parti :

« Alors, le couac de la grenouille… »

« D’accord j’y vais… couac couac… »

« Maintenant, il faut monter les différents sons, supprimer les silences et si on avait le temps, je pourrais encore nettoyer le bruit ambiant. »

'Le Tueur de Montmartre'
Fabrication du son, tournage de petits films avec des marionnettes, découpages, les enfants ont pu voir au plus près toute la complexité de la fabrication d’un film d’animation. Car dans le film d’animation tout est possible, même le mélange des genres, un peu comme les images du film du réalisateur français d’origine croate, Boris Satjinac, et son Tueur de Montmartre :

« Mon film, c’est un mélange entre photos et dessins. Je pratique cela depuis pas mal d’années. J’aime ce côté réaliste de la photo que je transforme à ma façon à mes besoins de mise en scène, en rajoutant le dessin, les couleurs, en changeant les éclairages. Ca fait un mélange surréaliste si on veut… Ca me permet de jouer entre la fiction et le graphisme. »

Parlez-moi de ce tueur, le Tueur de Montmartre. Il est assassin la nuit, épouvantail le jour, qui va prendre un café en compagnie de la Mort avec sa faux…

« Avec la Mort qui est en fait sa mère, sans qu’il ne le sache…On ne l’apprend qu’à la fin. C’est sa mère qu’il a tellement détestée qu’il a fini par l’assassiner. Il la rencontre sous la forme de la Mort, donc du maître. Et comme tout le monde, il n’y échappera pas… Ce n’est pas un personnage autobiographique en tout cas ! »

Vous êtes originaire de l’ex-Yougoslavie qui a été détruite par la guerre, c’était important pour vous de traiter de ce sujet de la mort et de la destruction ?

'Persépolis'
« Je ne pense pas que ça ait quelque chose à voir avec l’ex-Yougoslavie. C’est plutôt assez classique : la mort et la guerre, ça va de paire… Si on veut tirer de mon film une association d’idée avec la guerre en ex-Yougoslavie, on peut le faire, mais ce n’était pas mon intention. »

'Kafka Inaka Isha'
Le festival Anifest c’était du 7 au 13 mai dernier. Côté résultat c’est sans surprise Persépolis, le film de la franco-iranienne Marjane Satrapi, qui a raflé le prix du meilleur long métrage. Mon coup de cœur va au très court métrage vainqueur, qui a bien mérité son prix : John et Karen, d’Arthur Cox, un pseudo derrière lequel se cachent deux jeunes Britanniques qui ne manquent pas d’humour. Le prix du meilleur court métrage a été remporté par l’adaptation de la nouvelle de Kafka, Un médecin de campagne par le Japonais Koji Yamamura, une fable inquiétante et obscure, au graphisme remarquable.