Pavel Fischer (II) : « Les enfants sont de très bons ambassadeurs »

Pavel Fischer

Nous vous proposons, dans ce magazine, la seconde partie de l’entretien avec Pavel Fischer qui est actuellement directeur politique au ministère des Affaires étrangères. Jusqu’à 2003, Pavel Fischer était conseiller politique de l’ancien président Václav Havel, avant d’être nommé ambassadeur tchèque en France, fonction qu’il a exercée jusqu’en 2010.

Pavel Fischer
Avant de rejoindre l’équipe du président Václav Havel, Pavel Fischer a, entre autres, enseigné le français au Lycée franco-tchèque Jan Neruda à Prague. Il a également été secrétaire personnel de l’évêque auxiliaire František Lobkovicz et directeur-adjoint à l’Institut de communication. Pendant huit ans, de 1995 à 2003, il a donc travaillé aux côtés de Václav Havel, d’abord comme chargé de communication puis comme conseiller politique du président. Au micro de Radio Prague, il a d’abord évoqué un des moments les plus forts et les plus touchants qu’il a vécus avec Václav Havel.

C’était une de ses particularités : il écrivait ses discours lui-même. A ce moment-là il est invité à Hiroshima, pour une conférence sur l’avenir de l’espérance. Il aborde quelque chose de spécial, ça m’a beaucoup frappé. Il parle de la mort, mais avec une lucidité et avec la langue, qui n’est pas la langue des prêtres, la langue de l’évêque pour lequel j’ai pu travailler. C’était la langue de tous les jours, d’un homme littéraire, et pourtant tellement précise, tellement concrète, que je me suis rendu compte que la capacité de Václav Havel de nommer un chat, un chat, de nommer l’espoir ou l’espérance par ses propres termes du quotidien était invraisemblable. J’ai compris qu’il avait un potentiel à nommer l’innommable, à approcher des choses difficiles avec la force de sa plume et de son esprit. »

« D’ailleurs si vous lisez attentivement ses textes, vous observez avec stupéfaction que ce n’était pas l’homme Václav Havel uniquement. C’était aussi une réflexion de son action, peut-être même une réflexion avec un brin d’humour. Il agissait, il écrivait, mais toujours il se mettait en perspective de lui-même. C’était une personnalité au bout du compte très drôle, qui avait le sens de l’humour et qui aimait bien rire, et non seulement à propos des autres, mais aussi à son propre propos. »

Après avoir quitté l’office du président de la République, vous êtes devenu ambassadeur de la République tchèque en France. Quels ont été les moments forts de votre mission, au-delà de l’entrée de la République tchèque dans l’Union européenne en 2004 ? Avez-vous pu aussi apporter, en tant qu’ambassadeur, une touche personnelle à cette mission ?

Pavel Fischer
« J’ai découvert une fonction, fonction d’ambassadeur, qui a une valeur dans le monde d’aujourd’hui. Car une ambassade ou un ambassadeur, c’est un visage. C’est une personne qui a une adresse. C’est une personne avec un passé mais aussi avec un présent et un avenir, qui doit incarner un pays dans sa richesse. Un ambassadeur c’est quelqu’un qui accompagne, c’est quelqu’un qui explique, c’est quelqu’un qui est proche, qui est à l’écoute, qui ouvre les portes. Mais aussi c’est quelqu’un qui, si c’est nécessaire, recadre, rappelle peut-être les racines, les engagements passés, les victimes tombées au champ d’honneur, les victimes communes souvent. Aussi, il jette une lumière sur l’actualité, qui est souvent beaucoup plus riche et beaucoup plus complexe que les unes de journaux à grand tirage. Car nous vivons dans une période qui est très rapide, on nous rappelle combien Internet et les réseaux sociaux sont importants. Mais les gens vivent autrement, ils vivent dans le concret de leur ville de leur société. Ils ont besoin de toucher, d’écouter, de se rencontrer, aussi de dire l’indicible. Donc si vous me posez la question quelles étaient ces années de travail et de vie en France pour moi, dans cette fonction de l’ambassadeur de la République tchèque ? Je dois dire que c’était une formidable expérience, aussi beaucoup d’amitiés que j’ai découvertes et que j’ai gardées depuis. Mais aussi une belle traversée que je n’ai pas faite tout seul, j’étais accompagné de mon épouse et de mes enfants, et Dieu sait que les enfants sont de très bons ambassadeurs à leur tour. »

Comment est-ce que, vos quatre enfants et votre épouse se sont-ils adaptés à la vie en France et se sont-ils ensuite réadaptés à la vie en République tchèque ?

« Les enfants vous ouvrent les portes, car très vite vous êtes invités dans les fêtes de l’école, dans les fêtes d’anniversaire, dans les fêtes du quartier. Sans vous en rendre compte, vous appréhendez un pays par ce truchement des familles, de ces week-ends, de ces soirées très conviviales, avec beaucoup plus de lucidité qu’avec des journaux ou des émissions de télévision. Rencontrer les gens là où ils vivent dans leur quotidien, c’est quelque chose, et nous avons pu vivre plusieurs années à une même adresse, dans un quartier, dans une rue où les gens nous connaissaient, nous reconnaissaient, traversaient parfois pour nous saluer, où nous traversions à notre tour la rue pour les saluer. Cela laisse des traces, des racines, et notre souci, c’est de ne pas les voir faiblir. Nos enfants ont conservé leurs liens avec leurs camarades de classe, ils passent des vacances ensemble et on fait tout pour qu’ils gardent cette double appartenance, appartenance en France et aussi appartenance tchèque qui est la nôtre. »

Une question personnelle… Vous êtes croyant, est-ce que dans votre carrière politique et dans votre vie privée, il y a eu des moments où la foi a été pour vous l’unique source d’espoir ?

La condition humaine a besoin d’une grande énergie spirituelle, sinon les choses ne donnent pas sens.

« Si l’on quitte la question matérielle, et on essaye de percevoir ce qui est matériel par un regard spirituel, on n’est jamais seul. Mahatma Gandhi a dit à peu près cela : il y a des événements dans lesquels on est tellement dépourvu d’assurance que la prière, l’espérance et l’espoir sont les seuls moyens de s’en sortir. Ce n’est même pas envers les chrétiens que je parle ainsi. Je crois que la condition humaine nécessite de se sentir à l’aise matériellement dans son quotidien. Elle a aussi besoin d’une grande énergie spirituelle, sinon les choses ne donnent pas sens. Je dois dire que cette quête de sens a été toujours la mienne. Je dois vous faire une confidence, en France il y a quand même des trésors superbes, non seulement sur le plan intellectuel strictement dit, mais sur le plan spirituel en général. Vous avez ces communautés religieuses, ces lieux symboliques d’un essor spirituel qui dépasse l’ordinaire. Le Mont Saint-Michel, quelle beauté d’architecture et de culture ! Vous avez des sites dans lesquels viennent se ressourcer des pèlerins tchèques, pour se détacher un peu de leur quotidien et prendre une perspective. En France, il y a quand même des choses à ne pas manquer et qui ne relèvent pas uniquement du domaine de la gastronomie. Et pourtant, Dieu sait que j’apprécie les bonnes choses que la France propose. »