Pavel Fischer (Ière partie) : « Même débordé, Václav Havel manifestait à l’égard des gens une disponibilité d’esprit »

Pavel Fischer

Pavel Fischer, 46 ans, est directeur politique au ministère des Affaires étrangères. Pendant huit ans, de 1995 à 2003, il a travaillé aux côtés de Václav Havel, d’abord comme chargé de communication puis comme conseiller politique du président, avant d’être nommé ambassadeur tchèque en France, fonction qu’il a exercée jusqu’en 2010. Dans la première partie de l’entretien qu’il a accordé à Radio Prague, Pavel Fischer se souvient des débuts de sa carrière, ainsi que de l’ambiance qui régnait alors au Château de Prague autour de l’ancien président.

Pavel Fischer
Pavel Fischer, votre famille était-elle proche de la France ? Etait-elle attachée à ce pays ?

« Pour ce qui est de notre famille et sa francophonie, il y avait des éléments. A la maison, on parlait tchèque, mais lors des déjeuners dominicaux, avec mes grands-parents, on parlait latin et on se racontait des blagues en allemand. Ma grand-mère, qui était très francophile, aimait beaucoup dire quelques mots en français. Lorsque, enfant, j’étais avec mon père qui travaillait dans la physique nucléaire à CERN, dans ce centre de recherche à la frontière franco-suisse, j’ai été scolarisé dans une école de campagne en France. Ce souvenir, gravé dans la mémoire du petit écolier qui essayait de rattraper ses pairs français, a toujours facilité mon ouverture vers la France et tout ce qui est français. »

En 1990, vous avez terminé vos études de langues romanes à la Faculté des lettres de l’Université Charles de Prague. Mais avant d’entrer à l’université, au milieu des années 1980, vous avez travaillé, pendant un an, comme ouvrier en recherche géophysique. Pour quelle raison ? Etait-ce lié à la profession de votre père ou au contexte politique ?

« C’était l’époque où être admis à l’école supérieure nécessitait d’être de bonne famille, d’avoir de ‘bonnes origines’ et je parle plutôt des origines en termes idéologiques. Lorsque j’ai terminé mes études au lycée, je n’ai pas été admis à l’Université des sciences naturelles, où je souhaitais étudier la géologie ou l’hydrologie. Je n’ai jamais élucidé pourquoi. Je me l’explique non seulement par mes faibles connaissances en maths ou en physique, mais aussi par le peu de points que j’avais sur le score d’engagement politique proprement dit. J’ai alors décidé d’aller travailler dans le domaine que je souhaitais étudier, dans une position d’ouvrier, donc de quelqu’un qui aide les chercheurs dans la réalisation de leur travail. J’ai pu vraiment toucher au métier de géophysicien. C’est aussi le moment où j’ai décidé de ne plus continuer en sciences naturelles et de bifurquer vers des études de langue et de civilisation françaises et, finalement, j’ai réussi le concours d’entrée. Ce qui, peut-être, a été facilité par le fait que je me présentais en tant qu’ouvrier… »

Après la Révolution de velours et avant de rejoindre l’équipe du président Václav Havel, vous avez, entre autres, enseigné le français au Lycée franco-tchèque Jan Neruda à Prague. Vous avez été aussi secrétaire personnel de l’évêque auxiliaire František Lobkovicz et directeur-adjoint à l’Institut de communication… A cette époque, souhaitiez-vous déjà vous engager dans le monde de la politique et de la diplomatie ?

Je me suis rendu compte que les soucis du monde ne s’arrêtaient pas au simple combat contre les communistes.

« Vous avez oublié de mentionner une année qui a été pour moi très importante. Après la chute du Mur de Berlin, j’ai été invité et admis dans une petite structure en Suisse qui était focalisée sur les études de l’enseignement social de l’Eglise. Cette année d’études et d’approfondissement des sujets de société, de politique, d’économie, d’histoire et de civilisation chrétienne m’a fait ouvrir les yeux en grand. Je me suis rendu compte que les soucis du monde ne s’arrêtaient pas au simple combat contre les communistes. Excusez-moi de l’expression, mais c’est comme cela que nous vivions : sous une chape de plomb idéologique qui nous était imposée par le régime totalitaire. J’ai compris que le monde était beaucoup plus complexe, que les questions de pauvreté accompagnaient l’humanité depuis des lustres, que les questions de justice sociale, d’attention aux autres, de richesse et de partage étaient des questions qui échappaient peut-être au discours parlementaire mais pas à la réflexion sur la place des hommes et de la société dans un pays concret. C’est là où j’ai pris conscience qu’être utile et sensible à ces questions-là devenait important dans une société. Je souhaitais rester engagé et à l’écoute de cette approche-là. La suite, vous l’avez évoquée : j’ai travaillé dans l’Eglise, mais j’étais aussi attiré par les questions publiques et, donc, l’invitation à rejoindre l’équipe de Václav Havel en 1995 a été quelque chose de naturel de ce point de vue-là. »

Les gens ont gardé en mémoire l’image de Václav Havel se promenant en trottinette dans les couloirs du Château de Prague après sa première élection à la présidence… Mais, comme l’a récemment évoqué la gymnaste Věra Čáslavská, elle aussi collaboratrice de Václav Havel à cette époque, l’ambiance au Château après 1989 était, certes, plus décontractée qu’auparavant, néanmoins le travail y était très dur, parfois même épuisant pour toute l’équipe de Havel. Vous-même, vous êtres arrivé au bureau du président cinq ans plus tard. Quelle atmosphère y régnait au milieu des années 1990 ?

« Le Château a toujours été un centre de pouvoir important sur le plan spirituel comme aimait le rappeler Václav Havel lui-même. Cette présence du site des rois des pays de Bohême, mais aussi cette présence de la cathédrale, site du pouvoir spirituel, cela apportait au Château une certaine autorité. Václav Havel était un homme affable, plutôt discret et timide, mais dès qu’une question méritait de l’attention, dès qu’il fallait s’engager et dire un mot qui tranche, dès qu’il y avait un sujet qui dépassait l’ordinaire, il devenait intransigeant. C’était quelque chose de remarquable. Cet homme qui préférait souvent écouter que parler, lire et écrire plutôt que de se produire sur scène en tant qu’acteur, devenait, dans ces situations-là, une autorité certaine. C’était formidable de vivre cela de près. Deuxième aspect que j’ai remarqué très tôt : l’ambiance autour de lui était très ouverte, un débat dans lequel il y avait relativement peu de tabous. Intellectuellement parlant, c’était un défi que de réussir à faire valoir certains points que, personnellement, on considérait importants. Enfin, Václav Havel lui-même ne stressait pas ses subordonnés. Peu avant une conférence, une visite ou un événement, ses collaborateurs (c’est ainsi qu’il aimait nous appeler) qui préparaient les dossiers étaient souvent invités à lui expliquer le sujet en trois minutes. Les gens étaient peut-être intimidés, mais pas stressés. Václav Havel aimait rencontrer la personne qui était derrière ces papiers-là. Il était intéressant pour moi de voir sa faculté à mettre en valeur les gens et leur savoir-faire. C’était une belle leçon : même si on est important, même si on a beaucoup d’occupations et très peu de temps, on peut manifester une disponibilité d’esprit et de pensée à l’égard des gens. Là-dessus, Václav Havel était un vrai champion. »

Dans une de nos prochaines émissions, le diplomate Pavel Fischer évoquera un des moments les plus importants et les plus touchants qu’il a vécus avec Václav Havel, ainsi que sa mission d’ambassadeur en France.