Břetislav Pojar, un de ces génies du film d’animation

Břetislav Pojar, photo: Petr Novák, Creative Commons 2.5

« On attend d’un film d’animation qu’il raconte quelque chose autrement qu’un film avec des acteurs, avec plus de fantaisie, un autre aspect des choses », disait Břetislav Pojar, une des grandes figures tchèques du genre, qui est pourtant venu au cinéma d’animation un peu par hasard. Nous consacrons cette émission au réalisateur de la célèbre série « Monsieur et Monsieur », décédé le 12 octobre dernier. Portrait d’un homme jeune d’esprit qui, à l’approche de ses 90 ans, préférait regarder de l’avant plutôt que de vivre dans ses souvenirs.

'Un verre de trop',  photo: Krátký film Praha,  a.s.
« Un verre de trop », dont vous avez écouté un extrait, est le deuxième film de Břetislav Pojar, tourné en 1954. C’est par ce film-là, évoquant le danger de l’alcool au volant, que le collaborateur de Jiří Trnka s’est fait connaître dans son pays, mais surtout à l’étranger : le film est récompensé à Cannes, ainsi que dans d’autres festivals internationaux. Břetislav Pojar, originaire de la ville de Sušice, dans les monts de la Šumava, a quinze ans lorsqu’éclate la Seconde Guerre mondiale. Paradoxalement, c’est grâce à cette triste période de l’histoire qu’il découvre le cinéma d’animation, lui-même comme beaucoup d’autres futurs animateurs tchèques, comme nous le raconte Michaela Mertová des Archives nationales du cinéma :

Břetislav Pojar,  photo: Petr Novák,  Creative Commons 2.5
« Après son baccalauréat, Břetislav Pojar n’a pas pu poursuivre ses études, car les écoles supérieures étaient fermées. Il s’est alors présenté au concours lancé par le studio du film d’animation AFIT, qui recherchait des techniciens. Il a été admis, au même titre que d’autres jeunes gens qui seraient normalement tentés par des études aux Beaux-arts. Ce travail avait un autre avantage aussi. Le cinéma était, en tant qu’outil de propagande, un domaine fortement soutenu par les autorités nazies, et les gens embauchés par les studios n’avaient pas à craindre d’être impliqués dans l’industrie de guerre. Curieusement, c’est un chapitre assez intéressant du cinéma tchèque. S’il n’y avait pas eu la guerre, si ces jeunes gens n’avaient pas pu essayer la technique d’animation, nous n’aurions probablement pas cette forte génération d’animateurs. Peut-être que nous n’aurions connu Břetislav Pojar et Eduard Hofman que comme architectes. Et Zdeněk Miler, nous l’aurions connu comme peintre. »

Après la Libération, Břetislav Pojar rejoint le studio « Bratři v triku » et ensuite le studio du film de marionnettes, fondé par Jiří Trnka, et collabore à de nombreux films du célèbre animateur tchèque. Michaela Mertová :

'Monsieur et Monsieur',  photo: Krátký film Praha,  a.s.
« Même si Pojar n’a pas participé à tous les films de Jiří Trnka, il a été un de ses plus principaux animateurs. Il a travaillé sur son premier film de marionnettes, ‘Bethléem’ qui est un épisode du long-métrage ‘Špalíček’ et sur les films suivants, jusqu’au ‘Songe d’une nuit d’été’. En travaillant sur ce dernier film, Pojar songeait déjà à la création d’un autre studio d’animation qui serait plus expérimental. Ce studio a effectivement été fondé dans la rue Čiklova et Břetislav Pojar était, aux côtés de Josef Kluge, une de ses grandes figures. C’est là qu’il allait créer ses marionnettes en semi-relief qui avaient un côté en volume et un côté plat, comme par exemple les fameux oursons de la série ‘Monsieur et Monsieur’. »

Mais ce n’est qu’à partir des années 1960 que Břetislav Pojar crée, en collaboration avec Miroslav Štěpánek, cette fameuse série de petits films de marionnettes mettant en scène deux oursons, l’un plutôt malin et l’autre plutôt naïf, une série très prisée, jusqu’à nos jours, par le public enfantin et adulte, et sortie également en France.

'Perníková chaloupka',  photo: Krátký film Praha,  a.s.
Avant cela, Pojar réalise d’autres films, comme « Perníková chaloupka », inspiré du conte traditionnel « Hansel et Gretel », ou encore « O skleničku víc » (Un verre de trop), films auxquels Jiří Trnka a participé en tant qu’animateur. Petit à petit, Pojar va se détacher de « l’univers de Trnka », pour créer un son propre style. Michaela Mertová :

« Le premier film où la différence entre Trnka et Pojar commence à être visible, c’est ‘Un verre de trop’. Les marionnettes se comportent d’une autre façon que chez Trnka, qui est toujours très poétique, féérique et lyrique. Tandis que les personnages de Pojar sont plus réels. ‘Un verre de trop’ est une histoire qui reste d’actualité. Elle est très simple : un jeune homme va en moto à Plzeň, ville natale de Jiří Trnka, pour rendre visite à sa petite amie. Il s’arrête sur la route, pour se rafraîchir dans un bistro, où se déroule une fête de mariage.

'Un verre de trop',  photo: Krátký film Praha,  a.s.
Invité par les mariés, il boit à leur santé, d’abord un verre, puis un deuxième, puis un troisième… Il reprend la route et, encouragé par l’alcool, se met à doubler les autres voitures, il veut aller plus vite qu’un train qui passe à côté et même plus vite qu’un avion dans le ciel. Evidemment, cette course effrénée se termine par un accident. Ce film se distingue par la manière dont il a été tourné. Il se rapproche du film documentaire ou de fiction. Surtout la dernière scène, très dynamique et réaliste semble être tirée d’un film classique et pourtant, elle est tournée avec des marionnettes. »

Un autre film marquant de Břetislav Pojar s’intitule « Lev a písnička » (Le lion et la chanson). Il a valu à son réalisateur une récompense au Festival d’Annecy en 1960. Michaela Mertová :

'Le lion et la chanson',  photo: Krátký film Praha,  a.s.
« Le thème du film ‘Le lion et la chanson’ est universel – c’est un hommage à l’art qui l’emporte sur la violence, qui est plus fort que la mort. Le film raconte l’histoire d’un Harlequin à l’accordéon qui se fait manger, dans le désert, par un lion. Mais comme l’accordéon fait du bruit dans le ventre de l’animal, celui-ci ne peut plus chasser et meurt de faim. Un jour, un musicien trouve, au milieu du désert, des ossements et… un accordéon. Il le soulève et se met à jouer. La musique, la chanson, continuent à exister même si leur auteur a été vaincu par une force brutale. Les films de Břetislav Pojar, comme ceux de Jiří Trnka, parlent aussi bien aux enfants qu’aux adultes. Chaque génération de spectateurs y trouve des aspects qui l’interpellent. Voilà pourquoi je trouve dommage que le public n’ait plus l’occasion de voir ces films-là au cinéma ou à la télévision. »

'Le Jardin',  photo: Krátký film Praha,  a.s.
Critiqué pour ses films satiriques par un journaliste du quotidien communiste Rudé pravo, Břetislav Pojar se consacre désormais aux films d’animation pour enfants. Il travaille sur la fameuse série « Monsieur et Monsieur » déjà citée, porte à l’écran « Le Jardin », ce livre magique de Trnka, ou encore un autre livre très prisée par plusieurs générations de petits lecteurs tchèques, à savoir « Dachenka ou la vie d’un bébé chien » de Karel Čapek.

Auteur de plus de 70 films, Břetislav Pojar a également réalisé, à partir des années soixante, de nombreuses coproductions avec l’Italie, l’Inde ou le Canada. Il se rendait régulièrement à Montréal pour travailler à l’Office national du film de Canada. En 1990, lorsqu’il est nommé professeur à la FAMU, l’école supérieure de cinéma de Prague, commence un autre chapitre de sa vie. En dépit de son âge avancé, Břetislav Pojar continue à travailler, à fréquenter les festivals, à filmer : par exemple en 2006, il réalise un épisode du film « Fimfarum 2 ». Plus attaché au futur qu’au passé, il n’aimait pas vraiment évoquer ses souvenirs, ses années passées à l’étranger, comme nous le raconte Michaela Mertová :

'Monsieur et Monsieur',  photo: Krátký film Praha,  a.s.
« Personnellement, j’ai fréquenté Bretislav Pojar à partir de l’année 2000. A l’époque, il avait déjà presque 80 ans et il voyait déjà les choses avec détachement. Quand je revenais sur le passé, à l’histoire du cinéma d’animation dont il a été témoin, il avait l’impression que l’on parlait presque de la préhistoire. Pour lui, tout cela était déjà loin, très loin. Au cinéma comme dans la vie, il n’était pas très éloquent, il s’exprimait clairement et de façon concise. En fait, je crois que Pojar n’accordait pas beaucoup d’importance à son travail à l’étranger, ni même à sa collaboration avec Jean-Jacques Annaud sur le film L’Ours. Pour lui, c’étaient des étapes dans sa création. Il aimait évoluer, expérimenter. Voilà pourquoi il suivait avec beaucoup d’attention le travail de ses étudiants, il s’intéressait aux nouvelles technologies. Si Pojar avait été quelqu’un d’autre, nous aurions aujourd’hui cinquante épisodes de ‘Monsieur et Monsieur’. Mais lui, il ne s’est pas arrêté-là. »

En effet, Břetislav Pojar ne s’est pas arrêté-là : il est décédé à l’automne 2012, à l’âge de 89 ans, en plein travail sur trois projets différents. Sachez tout de même que ses « medvídci », les oursons, sortis en 2006 en version française, ont même leur site internet en France, c’est au www.lesfilmsdupreau.com.