Antonin Zelenka

Nicaragua, nov. 1968

Directeur de l'Institut des Pensions à Prague, actuaire-conseil principal et chef de la Division de la sécurité sociale au Bureau international du travail (BIT), Antonin Zelenka est un spécialiste mondialement reconnu de l'application du calcul des probabilités sur les opérations de finance et d'assurance des pensions.

Parmi ses oeuvres, nombreuses, sur le sujet, citons : Sécurité sociale des travailleurs agricoles en Amérique latine ou De l'équilibre financier... Son fils, Antoine Zelenka, chef climatologue à l'Institut suisse de météorologie, résidant à Zürich, a évoqué son père pour Radio Prague. Bonjour et merci de me donner la parole dans votre émission tout d'abord. Eh oui ! Laissez-moi être un peu général. En fait, c'est l'année dernière, donc il y a c'est assez bien exactement un an que mon père aurait eu cent ans. Et cela a été l'occasion, avec ma soeur qui réside à Genève, et nous avons rassemblé les documents, les souvenirs disponibles, pour faire cette image et pour doner tout le paquet, nous avons un peu appuyé sur le contexte historique. C'est devenu très fascinant. Nous avons bâti l'image d'u homme qui est né sujet de l'Empire austro-'hongrois, qui a été bâtisseur de la jeune République tchécoslovaque, qui a été résistant au diktat de Münich et au protectorat nazi, émigré en Suisse et sillonnant le monde pour y promouvoir l'idée que la justice sociale ne doit pas nécessairement s'appuyer sur le communisme.

Antonin Zelenka est né le 23 novembre 1903, à Prague. Il passe son enfance et son adolescence à Prostejov, en Moravie, dans des conditions modestes. Il passe le baccalauréat au lycée technique de la ville. Ensuite, il part à Prague pour suivre des études de mathématiques et de physique à la faculté des sciences naturelles de l'Université Charles. Toute sa vie, il sera reconnaissant à ses soeurs pour leur sacrifice financier. Sans leur assistance, il n'aurait jamais pu terminer ses études. En février 1926, Antonin Zelenka obtient un diplôme de mathématiques, option statistique et mathématique actuarielle. Quelques mois plus tard, il est nommé professeur de mathématiques au lycée scientifique de Kromeriz, en Moravie. Le jeune homme, très doué dans sa discipline, élabore Les transformations planes de Cremona. Pour ce travail remarquable, l'Université Charles lui confère le titre de docteur ès sciences. Peu après, Antonin commence à travailler comme actuaire à l'Institut central des assurances sociales, à Prague. A trente-trois ans, il est nommé directeur de la Caisse de retraites des employés des assurances maladie de la République tchécoslovaque, fonction qu'il assurera jusqu'à la fin de la guerre. La qualité des ses capacités dépasse les frontières de son pays. Le Bureau international du travail l'envoie comme expert à Caracas. Pendant trois mois, il assistera à l'élaboration de la sécurité sociale au Venezuela.

La terrible menace de la guerre se fait déjà sentir. Le drame approche! L'invasion allemande surprend l'expert à Varsovie. Il est accablé et un peu angoissé, mais il revient dans sa patrie, alors qu'il peut opter pour l'exil. La Seconde Guerre mondiale éclate. Mais même les horreurs de la guerre ne peuvent étouffer l'amour. Six mois après l'éclatement du conflit, Antonin Zelenka épouse Libuse Outratova, femme délicieuse qui lui donnera trois enfants : Georges, décédé tragiquement, puis Antoine et Jana, qui vivent en Suisse. En août 1944, il est arrêté par la Gestapo pour la seconde fois et déporté au camp de concentration de Sachsenhausen. Résistant physiquement et renfermant une grande force intellectuelle, Antonin Zelenka survit même à la terrible Marche de la mort.

Après la guerre, Antonin Zelenka revient à Prague. Il continue à exercer ses activités d'avant-guerre. Il travaille, entre autres, au sein du Comité central du parti social-démocrate et il est membre de la Commission pour l'élaboration de la nouvelle loi sur la sécurité sociale. Le projet de loi est rejeté par les communistes. Pourtant, après le coup d'Etat de 1948, le projet est remis à jour et adopté. Le gouvernement communiste aura l'audace d'affirmer que l'acte est le fruit du travail de leurs juristes. Quelle ironie! Antonin Zelenka sent que le climat au pays devient de plus en plus lourd. Alors, en mars 1946, il contacte le BIT en vue d'obtenir un emploi dans la division de la sécurité sociale. En septembre, il part à Montréal en tant que membre de la délégation tchécoslovaque à la Conférence générale du BIT. Quelques mois après son retour, il démissionne de son poste de directeur de la Caisse de retraites des employés des assurances. Dès décembre, il travaille au BIT, à Genève, comme actuaire-conseil. Quatre ans plus tard, il est nommé chef de la Division de la sécurité sociale, toujours au sein de la même organisation. Dans les années soixante, il dirige la révision complète des conventions internationales sur la sécurité sociale effectuée par le BIT. Antonin Zelenka reste actif même après sa retraite officielle. Il est coordinateur des activités du BIT pour la sécurité sociale en Amérique latine et réalise un grand nombre de missions dans le monde entier pour le compte de cette organisation et du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD). En fait, à la fin de ses études quand il s'est engagé dans l'actuariat, il s'est aussi enrôlé dans le parti social-démocrate qui a l'époque jopuait un rôle évidemment extrêmement important. C'était les remous après la Première Guerre. Il était très engagé, il a même été soutenir les sociaux démocrates Autrichiens pendant les soulèvements de Vienne dans les années vingt. Le remarquable expert a quitté ce monde à l'âge de quatre-vingt-quatre ans.

Comme la biographie que vous avez établi le dit si bien, issu de conditions modestes, en fait pire que modeste, dures, brutales comme pouvait être la vie à cette époque. Ce qui l'a d'ailleurs engagé du côté social, c'était le fait que son père, après avoir eu un accident de travail sur un chantier, s'est retrouvé devant sa famille complètement démuni de toute aide sociale. Alors, cette dureté, bon, il s'y est toujours soumi lui même et parfois sa famille, mais qui ne l'a pas fait n'est ce pas ?! Mais, malgré toutes les épreuves dans sa vie il n'a jamais perdu une certaine gaieté, une certaine sociabilité. En fait, notre foyer genevois était longtemps un point pivilégié de toute la société tchèque qui était à Genève. Et les "besedy" (causettes) mémorables qui s'y sont tenues sont certainement encore dans tous les esprits, enfin, dans l'esprit des survivants et tous ceux qui l'on connu et qui vievent encore aujourd'hui se rappellent de lui avec émotion. C'est ce qui est beau !

Photos : Archives de famille