« Il y a ici une culture du bar et de la nuit »

La rue Stodolní, photo: Archives de la ville de Ostrava

Suite, et fin (ça suffit, non ?), des aventures de nos trois amis belge et français à Ostrava. Vous le savez si vous avez suivi nos précédentes émissions, David Girten, François Bouillet et Emmanuel Chilaud vivent dans la grande ville industrielle de Moravie-Silésie depuis quelques années déjà. Un choix de vie qu’ils ne regrettent absolument pas, même si tout n’y est pas toujours rose non plus… Quoique…

La rue Stodolní,  photo: Archives de la ville de Ostrava
François : « La plupart des Tchèques connaissent Ostrava grâce à – ou à cause - de la rue Stodolní, même si c’est un phénomène qui est retombé depuis quatre ou cinq ans. C’est une rue de la Soif typique comme on en trouve dans certaines villes en France. Cela a été effectivement un endroit très ‘chaud’, dans le bon sens du terme, fréquenté par beaucoup de monde, alors qu’aujourd’hui c’est devenu un lieu beaucoup moins intéressant, même si on continue d’y sortir pour aller en boîte. Ce qui l’est davantage en revanche, c’est qu’il y a désormais une culture de la nuit et une ‘culture du bar’ dans beaucoup d’autres endroits de la ville. Une culture de l’« hospoda », bien que ce soit un mot difficile à traduire en français, car nous n’avons pas vraiment l’équivalent en France de ce type d’endroit. »

Emmanuel : « Appelons-ça des bars à discussion… »

François : « Voilà, on y boit des bières, on reste longtemps, on peut changer d’endroit… Tout le monde est accueilli de la même façon, qu’il s’agisse d’un costard-cravate ou d’un pauvre étudiant. C’est une vie de nuit simple et agréable… Et même culturellement ou artistiquement parlant, il y a de la vie dans le centre-ville. Les gens à Ostrava ne se prennent pas trop au sérieux, et s’ils le font, ils s’en vont alors à Brno ou à Prague… C’est ce qui est sympa ici : vous pouvez parler avec n’importe qui, même avec le comédien qui après sa pièce de théâtre ou le musicien qui après son concert vont boire leur bière. »

David : « Tout ça est vrai, mais c’est aussi parce que nous vivons en communauté, que nous sommes heureux d’être ici et que nous sommes bien intégrés. Comme on dit en Belgique, on est de bons potes, alors allons boire une bière ensemble… Les gens qui se prennent trop au sérieux sont rejetés par les autres, mais c’est logique. Je connais pas mal d’étrangers qui vivent à Ostrava, et quand je leur demande si ça va ou s’ils se plaisent bien ici, ils me répondent que non… Donc, forcément, c’est plus compliqué. »

Justement, vous êtes tous les trois des ‘modèles d’intégration réussie’, mais quid plus généralement des étrangers qui découvrent Ostrava ?

François Bouillet,  Emmanuel Chilaud et David Girten,  photo: Guillaume Nargue
Emmanuel : « Il y a ceux qui viennent pour un an ou deux et qui finalement décident de rester. Ceux-là ont toutes les chances de s’intégrer. Et puis il y a ceux qui viennent plus ou moins contraints et forcés, notamment pour le boulot, et ceux-là ne vivent alors que pour leur travail. Je connais deux gars américains, qui sont là depuis plus de dix ans et qui ne parlent pratiquement pas un mot de tchèque, sauf pour commander une bière. Mais comme ils parlent anglais entre eux, ils ne voient pas l’intérêt d’apprendre le tchèque. Ils n’ont alors pas la ‘vie tchèque’ que nous par exemple pouvons avoir. »

François : « Il faut faire des efforts, ce n’est pas plus difficile que ça. J’en ai vu passer des étudiants Erasmus ou des gens qui viennent travailler à Ostrava et qui s’attendent à trouver une métropole européenne… Bon, on la trouve, il y aussi de grands centres commerciaux… Mais découvrir et apprécier Ostrava, ce n’est pas ça. Créer quelque chose, avoir des relations, rencontrer des gens, bref te sentir vraiment vivre, demande plus de temps et d’énergie. Mais l’avantage ici, c’est que tu n’as pas tout le stresse des grandes villes. Je suis parti d’Ostrava pour aller vivre à Kiev où il y a 3,5 millions d’habitants, mais je suis revenu au bout de deux ans. Pourquoi ? Je ne pouvais pas vivre là-bas. La ville me pompait trop d’énergie, alors qu’ici, c’est davantage à taille humaine. »

« On ne voit parfois quand même pas beaucoup le soleil »

Bon, dites-nous quand même, il n’y a pas que du positif dans la vie à Ostrava, si ?

Emmanuel : « Je le savais bien, les gars, qu’il allait nous poser cette question… »

Ostrava,  photo: František Tichý,  ČRo
François : « Bah, le négatif, c’est la qualité de l’air… Les gens me demandent parfois pourquoi j’ai choisi de vivre dans un des endroits les plus pollués d’Europe. Et on ne peut pas dire le contraire : si vous regardez une carte de l’Europe, c’est évident. Il y Katowice, ici, la banlieue de Milan et Donetsk. Les choses évoluent certes dans le bon sens, mais c’est quand même très désagréable parfois de sortir le matin et de ne pas voir cinq mètres devant soi, et ce n’est pas du brouillard… On a des trucs qui piquent dans le nez… »

Emmanuel : « Arrête, ça arrive trois fois par an… »

David : « C’est parce que tu te lèves à dix heures le matin. »

François : « A compter de novembre, on ne voit quand même pas beaucoup le soleil, et ce n’est pas seulement à cause du brouillard. »

David : « C’est vrai qu’il y a du smog même l’été, ce n’est pas une connerie, mais ça ne nous empêche pas de vivre. »

François : « Pour moi ce n’est pas difficile : c’est de la faute des Tchèques et des Polonais. C’est malheureux à dire, mais tout le monde critique les usines qui font peut-être 20% de ça, les voitures qui font 10%, et le reste c’est tous les gens qui se chauffent avec des pneus ou du charbon de mauvaise qualité. D’un autre côté, ils n’ont absolument aucun déchet puisqu’ils brûlent tout, côté recyclage c’est pas mal non plus (rires) ! »

David : « C’est vrai. Personnellement, je ne ferais jamais de politique mais je suis enragé quand je vois les petites maisons de campagnes où tu vois une fumée noire parce qu’ils brûlent le plastique, les pneus, ils brûlent tout ! Est-ce que c’est une crise économique ou une idiotie, on ne sait pas, mais ça fait partie du paysage. »

Emmanuel : « Le seul point négatif que j’ai, parce que la pollution elle me gêne pas plus que toi, c’est qu’on n’a pas fruit de mer ! On n’a pas de mer, ni de fruits de mer frais ! »

Ostrava,  photo: Archives de la mairie de Ostrava
David : « Une fois par mois le mercredi, on mange des moules frites danoises quand même. »

Emmanuel : « Je sais que tu me fais des moules frites une fois par mois (rires) ! Mais déjà elles sont danoises, et ensuite c’est seulement une fois par mois. Moi j’ai besoin de crevettes fraîches et d’huitres ! Mais à part ça, la vie je n’y trouve rien de négatif, à part un peu de pollution effectivement. »

François : « Moi je rajouterais ce côté un peu raciste, qui n’est pas non plus spécialement propre à Ostrava. Y a une xénophobie, un manque d’ouverture ambiant. Ca nous touche en tant que français, que belge, qu’humains. On a vécu une autre culture, c’est pour ça. Et tu le ressentiras plus ici qu’à Prague, parce que ce n’est pas une ville multiculturelle. Moi je vais souvent bosser à Brno, c’est une ville qui est beaucoup plus ouverte. »

David : « L’avantage maintenant après huit ans que je vis ici, c’est que je choisis les gens avec qui je vis et je suis ! C’est clair qu’il y aura toujours des racistes à Ostrava, mais nous on a la chance d’avoir des amis et une famille ici. Si t’as pas de potes, tu vas prendre une bière dans un bar, et on te dit ‘t’as un accent’ c’est sûr qu’il y aura beaucoup plus de chances que tu rencontres des gens négatifs par rapport à ça. »

Français « Un élément important aussi, et il faut insister là-dessus, c’est qu’on a la chance d’être français ou belge. En fait, sans le vouloir, on a un gros bonus : les gens aiment bien les Français, les Belges, les francophones malgré tout quoi. On n’est pas américains, on n’est pas russes, on n’est pas noirs : on n’a pas de casseroles derrière nous. Et en plus, en parlant la langue, tu peux ouvrir des portes, et rencontrer des gens qui sont assez fermés normalement. »

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