25 ans à l’UNESCO : Prague et le tourisme de masse

Prague, photo: Štěpánka Budková

Début décembre, 25 ans se seront écoulés depuis l’inscription du centre historique de Prague au patrimoine mondial de l’UNESCO. Après la visite de Telč et de Český Krumlov, les deux autres premiers sites tchèques inscrits en 1992 sur cette prestigieuse liste, Radio Prague vous emmène aujourd’hui dans la capitale tchèque et vous présente ce qu’a apporté à la ville ce label, en bien, mais aussi en mal, avec les problèmes liés au tourisme de masse.

La ville aux cent clochers

Tu es dans le jardin d’une auberge aux environs de Prague
Tu te sens tout heureux une rose est sur la table
Et tu observes au lieu d’écrire ton conte en prose
La cétoine qui dort dans le cœur de la rose Épouvanté tu te vois dessiné dans les agates de Saint-Vit
Tu étais triste à mourir le jour où tu t'y vis
Tu ressembles au Lazare affolé par le jour
Les aiguilles de l'horloge du quartier juif vont à rebours
Et tu recules aussi dans ta vie lentement
En montant au Hradchin et le soir en écoutant
Dans les tavernes chanter des chansons tchèques

Prague,  photo: Štěpánka Budková
Guillaume Apollinaire a été, avec François René de Chateaubriand et André Breton, un de nombreux artistes charmés par la beauté du centre historique de Prague. Principalement construit entre le XIe et le XVIIIe siècle, ce centre historique, avec le Château de Prague, la cathédrale Saint-Guy, le célèbre pont Charles, ses ruelles pittoresques et l’horloge astronomique de la Vieille-Ville, les quartiers de Malá Strana et de la Nouvelle-Ville ou encore le quartier juif de Josefov ainsi que le château de Vyšehrad, représente, sur 866 hectares s’étalant des deux côtés de la rivière Vltava, un exemple unique du développement urbanistique du Moyen Âge jusqu’à nos jours. C’est aussi la raison pour laquelle « la ville aux cent clochers », comme les Tchèques appellent parfois Prague en référence à ses nombreuses tours et églises, a été inscrite sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO, il y a tout juste 25 ans de cela. Directeur du département du patrimoine culturel à la mairie de Prague, Jiří Skalický fait un bilan rétrospectif de cette inscription :

Jiří Skalický,  photo: Klára Stejskalová
« A Prague, la zone classée monument historique est la deuxième plus grande d’Europe, après celle de Rome. L’inscription du centre historique de Prague sur la liste de l’UNESCO a considérablement influencé la vie dans cette zone. Prague a pu rénover et revitaliser différents monuments et bâtiments. Pendant ces 25 ans, la ville a également réussi à réguler la publicité dans les rues et à aménager l’espace public. Bien que cette inscription soit également synonyme de certaines limitations pour les habitants, les entrepreneurs et les investisseurs, le fait d’être un site classé au patrimoine mondial est donc un grand prestige. Par exemple, un grand nombre de touristes asiatiques visitent en Europe seulement des sites de l’UNESCO. C’est donc un côté très positif. »

Prague, une destination attrayante

Pont Charles,  photo: Ondřej Tomšů
Classée parmi les dix villes les plus visitées d’Europe, Prague est une destination touristique très prisée depuis quelques années. En 2016, plus de sept millions de personnes ont visité la capitale tchèque, un chiffre qui devrait encore augmenter cette année. Parmi ces visiteurs figurent, bien évidemment, de nombreux étrangers, notamment des Allemands, des Slovaques, des Polonais, des Américains, des Britanniques et des Russes, mais aussi des Chinois, des Coréens ou des Français…

« On avait toujours eu envie de venir visiter Prague puisqu’on nous a toujours dit que c’était une très belle ville. L’architecture est magnifique, c’est sûr ! »

« C’est super beau ! Je ne pensais pas que la ville serait aussi belle que ça ! Je suis très agréablement surprise. »

Bien que cet intérêt ait des conséquences positives pour l’économie de la ville, on entend cependant de plus en plus souvent aussi des critiques de la part des autochtones. Collaborateur de Radio Prague, Václav Richter fait partie de ceux qui sont les plus frappés par le tourisme de masse :

« J’habite dans le centre historique de la ville, non loin du couvent Sainte-Agnès et de la place de la Vielle-Ville. Le flux de touristes y est pratiquement incessant. Le jour, c’est supportable, nous nous sommes habitués. Mais ce qui est très difficile pour nous qui habitons cet endroit-là, c’est la nuit. Dans la Vieille-Ville, il y a beaucoup de boîtes de nuit, de bars et de restaurants. Le week-end, ceux-ci sont pleins de touristes. Souvent, les agences de voyage organisent aussi des séjours destinés aux jeunes qui visitent différentes boîtes de nuit. Ils passent d’une boîte à autre en chantant et en criant. Nous ne pouvons donc pas dormir. »

Photo: Barbora Kmentová
Le bruit n’est pas le seul problème auquel doivent faire face les Pragois. Václav Richter poursuit :

« Beaucoup de magasins dans lesquels nous achetions des aliments ont disparus et ont cédé la place aux magasins de luxe dont nous n’avons bien évidemment pas besoin pour la vie quotidienne. Ce qui est très difficile pour moi, c’est aussi le phénomène du dépeuplement de la Vieille-Ville. Dans la maison où j’habite, deux tiers des logements sont vides et sont réservés aux touristes. »

La dépopulation du centre-ville

Jiří Skalický : « Le centre-ville se dépeuple sans cesse. Ce n’est pas le problème seulement de Prague, mais aussi de Venise, de Barcelone, de Dubrovnik… Ces centres historiques qui font face à l’afflux permanent de touristes, se dépeuplent parce que les intérêts économiques des entrepreneurs priment sur la réponse aux besoins des autochtones. Les gens qui vivent dans le centre de Prague cherchent donc petit à petit un endroit plus calme où ils pourraient au moins dormir la nuit. »

Pour Jiří Skalický, la ville de Prague s’efforce de lutter contre ce phénomène, même s’il n’est pour l’instant pas question de mettre en place des mesures limitant directement le nombre de touristes dans le centre historique, par exemple en régulant l’offre de logements ou en taxant l’accès à certaines parties de la ville, comme c’est le cas dans différentes métropoles européennes. Jiří Skalický :

Prague,  photo: Štěpánka Budková
« Nous essayons de convaincre les touristes de sortir du centre-ville en leur proposant différentes attractions comme des musées, des sentiers éducatifs, ou des belvédères. Nous essayons aussi de promouvoir par exemple la banlieue de Baba et son ensemble unique de villas de style fonctionnaliste, construites dans les années 1930 par les artistes de l’association Deutscher Werkbund. Nous coopérons avec Stuttgart, Vienne, Wroclaw et Brno où ces artistes étaient actifs et nous essayons de faire inscrire ces ensembles sur la liste du Patrimoine culturel de l’UE et, par-là, d’augmenter l’attrait des endroits en dehors du centre historique. Il y a aussi par exemple les monastères de Strahov et de Břevnov. Mais la plupart de touristes passent à Prague deux jours et demi. Ils découvrent le centre-ville mais n’ont plus le temps d’aller à la périphérie. »

Et Barbora Hrubá de l’agence Prague City Tourism ajoute :

« Nous voulons que les touristes reviennent à Prague. Bien sûr, lors de leur première visite, les touristes veulent découvrir les monuments les plus importants. Mais en revenant, ils ont envie de voir aussi d’autres parties de la ville. Nous nous efforçons de promouvoir des quartiers moins touristiques, comme Holešovice, Karlín, Vinohrady ou Vršovice, par exemple par le biais de la campagne ‘Cinq promenades pragoises’. Notre objectif n’est donc pas d’attirer davantage de touristes à Prague. Au contraire, nous voudrions faire baisser leur nombre mais nous nous rendons compte que le tourisme est très important pour Prague du point de vue économique. Dans le cas idéal, les touristes seraient deux fois moins nombreux mais ils dépenseraient à Prague autant qu’aujourd’hui (rires). »

Photo: Archives de Radio Prague
Autre cause de la dépopulation du centre historique de Prague : un grand nombre d’appartements ne sont pas loués aux Pragois, mais aux touristes via la plateforme de location de logement Airbnb. Si de nombreuses voix appellent à l’interdiction de ce service de l’économie dite collaborative, Barbora Hrubá est moins radicale :

« Pour nous, l’avantage du service Airbnb repose sur le fait qu’il attire un autre type de touristes, des gens qui veulent découvrir la ville autrement, du point de vue de ses habitants. Le problème, c’est qu’il existe aujourd’hui des entrepreneurs possédant une dizaine d’appartements dans le centre historique de Prague qu’ils proposent via Airbnb sans pour autant qu’ils ne paient les impôts. Nous saluons donc les efforts de la mairie de trouver une solution à ce problème et d’introduire des règles qui permettraient aux habitants de coexister avec ce type de service. Pour nous, l’interdiction n’est pas un bon chemin à suivre. »

Une conférence pour célébrer les 25 ans à l’UNESCO

D’après Jiří Skalický, l’inscription à l’UNESCO a toutefois eu aussi des impacts négatifs sur le développement de la ville. Il s’agit plus concrètement des problèmes liés aux différents projets de construction, par exemple ceux qui concernent la construction de gratte-ciel. Responsable du département UNESCO auprès du ministère de la Culture, Dita Limová donne son point de vue sur la problématique :

Prague,  photo: Štěpánka Budková
« C’est une très belle ville avec un centre historique extrêmement bien préservé. D’un autre côté, il s’agit aussi de la capitale tchèque, une ville moderne qui a besoin de se développer. Les pressions sur les possibles constructions en hauteur sont évidemment très présentes et très fortes. C’est à la municipalité de trouver un moyen pour préserver la valeur de ce centre historique, mais aussi pour permettre ce développement moderne. J’espère que nous allons réussir à trouver un bon compromis et que nous n’allons pas suivre l’exemple de Vienne qui a été récemment inscrite, pour des raisons similaires, sur la liste du patrimoine mondial en péril. »

Pour célébrer son 25e anniversaire sur la liste de l’UNESCO, Prague organise les 6 et 7 décembre prochains au Musée national une grande conférence internationale intitulée « Prague mondiale 2017 » et axée sur la vie dans la zone classée, mais aussi sur l’avenir de l’organisation UNESCO. Un livre d’entretiens sur Prague et son centre historique sera également publié à cette occasion. La capitale tchèque y sera présentée à travers les yeux de neuf personnalités, aussi bien des historiens et des urbanistes, que par exemple des diplomates ou des botanistes. Enfin, jusqu’au 11 décembre prochain, une exposition sur la place Venceslas présente « la Prague non-réalisée », un choix de différents projets de construction, comme ceux d’Hitler, qui auraient pu changer l’image de la ville à jamais mais qui n’ont finalement pas vu le jour.

* Zone (Guillaume Apollinaire)


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