Les diminutifs, quelle plaie comme même !

Photo: Archives de ČRo7

Vous le savez si vous êtes « thécophone », « tchécophile » ou si vous nous suivez régulièrement, les Tchèques adorent les diminutifs – zdrobněliny, notamment lorsqu’ils s’adressent aux enfants. Mais pas seulement. Cet emploi des diminutifs est parfois utile sémantiquement, d’autres fois joli, mignon, d’autres fois encore amusant, mais son suremploi voire son abus, est le plus souvent insupportable. Certains Tchèques eux-mêmes, et pas seulement les linguistes, les puristes ou les amoureux de la langue, s’en plaignent et s’en moquent. Vous allez vite mieux comprendre pourquoi…

Miminko,  photo: Archives de ČRo7
Les reines des diminutifs sont assurément les mères tchèques, les « petites mamans » - maminky, les futures ou les « toutes fraîches », celles qui sont enceintes ou ont accouché récemment et s’occupent de leurs bambins. Il faut les avoir entendues discuter entre elles pour y croire… En un mot : une horreur – hrůza, comme aiment à dire les Tchèques en insistant sur la longueur du « ů » (prononcez « ou » en français) pour signifier toute l’ampleur de cette horreur. Et pourtant, il s’agit dans la majorité des cas de femmes tout à fait « normales », qui jusqu’à la venue au monde de leur « miminko » - bébé, parlaient tout à fait normalement, c’est-à-dire sans abuser des diminutifs. Certes, ce constat ne vaut pas pour toutes les mamans tchèques, mais quand même…

Dudlíček,  photo: Archives de ČRo7
Est-ce l’effet des hormones ? Toujours est-il que nombre d’entre-elles en viennent d’un seul coup à parler d’abord de « bříško » (littéralement « petit ventre) pour un ventre – břicho en temps normal, qui au fil des jours et de la grossesse ne fait pourtant que s’arrondir et prendre du volume, de « vitamínky » pour des vitamines – vitaminy, qui ne sont certainement pas plus petites qu’elles ne l’étaient auparavant (d’ailleurs les vitamines ont-elles une taille ?), puis ensuite par exemple de « dudlíček » pour une tétine – dudlík, qui elle aussi est toujours plus ou moins de la même taille, ou encore de « plínečky » pour des couches - pleny. Et ce ne sont là que quelques exemples, car il existe dans la langue tchèque ce qu’il convient d’appeler un langage des enfants – dětská řeč, un langage qui en fait est plutôt celui de certaines mères qui, à partir du moment où elles tombent enceintes, ont un hochet à la place du cerveau.

Mais, surtout ces dernières années, cet emploi des diminutifs s’est répandu et s’est généralisé. Paraît-il que cela est « trendy » pour reprendre un anglicisme très apprécié des Tchèques, autrement dit « tendance ». Mouaih… enfin, pas pour tout le monde. Car il faut bien dire les choses comme elles sont, l’usage de ces diminutifs est souvent non seulement inutile, mais surtout stupide. En voici donc un petit florilège…

Photo: Archives de ČRo7
Commençons donc d’abord par les salutations. Si vous êtes quelqu’un d’adorable et charmant – un « roztomilý človíček », vous pourrez ainsi dire « ahojky » (littéralement « petits saluts ») à la place de l’habituel « ahoj » - salut, čauky (« petits tchaos ») au lieu de « čau » (prononcer « tchao » comme partout ailleurs dans le monde) ou encore « nazdárek » (« petit salut ») plutôt que « nazdar ». Cet usage est aujourd’hui tellement répandu qu’il n’a plus rien de ridicule, mais en y réfléchissant un peu, on en arrive à la conclusion qu’il est quand même… tout à fait ridicule dans la mesure où il n’a pas lieu d’être et n’apporte aucune valeur ajoutée, si ce n’est peut-être affective, aux mots déjà existants.

Pivečko,  photo: Archives de ČRo7
Tout aussi ridicule est l’existence des diminutifs pour les boissons alcoolisées. Certes, en français aussi, il arrive de boire un p’tit verre ou une p’tite bière. Cela signifie alors que l’on va boire un verre d’alcool ou de bière avec plaisir et envie. Cela vaut aussi pour le tchèque, dans la mesure où on retrouve cette notion affective. Mais pour une bière servie dans un verre d’un volume d’un demi-litre, comme cela est généralement le cas en République tchèque, il est quand même curieux, admettez-le, de parler de « pivečko ». Car à moins de servir la bière dans un verre d’un litre, il n’existe le plus souvent pas de plus grand verre que la chope d’un demi-litre.

Vínečko bílé,  photo: Archives de ČRo7
Notons toutefois que l’on trouve également ce suffixe « -ečko » ou « -íčko », qui sert donc à la formation des diminutifs, pour le vin – víno, qui devient donc « vínečko », ou pour le champagne – šampaňské (ou « šampáňo » dans le langage populaire) qui se transforme, lui, en « šampíčko », un mot qui donne presque envie de boire un vulgaire mousseux plutôt que du champagne. Heureusement qu’il existe la très belle chanson traditionnelle morave « Vínečko bílé », littéralement « Petit vin blanc » pour nous réconforter et nous rappeler, encore une fois, que l’emploi du diminutif sert d’abord à exprimer une notion affective bien plus que de petitesse. Car c’est vrai, les Moraves l’aiment bien leur bon « petit vin blanc ». Et ils ont donc bien raison de chanter à sa gloire… Après tout, du vin, et plus encore du bon, y’en a jamais assez…

Kafíčko,  photo: Archives de ČRo7
On se quitte donc avec ce pinard qui, comme disait Coluche et même s’il est blanc plutôt que rouge, devrait être obligatoire. Sa consommation nous aidera à mieux supporter le langage des mamans et de tous les autres Tchèques « trendy » consommateurs de « petits cafés » - kafíčka, fumeurs de « petites cigarettes » - cigaretky, ou encore auteurs de « petits mails » - mailíky. Et croyez-nous bien, on en passe une multitude d’autres, toutes aussi vertes et pas mûres les unes que les autres. Hrůůůůůza, on vous l’avait bien dit… Mais on reviendra quand même sur le sujet dans quinze jours… Allez, en attendant ahojky, čauky, nazdárek, portez-vous du mieux possible quand même - mějte se co nejlíp !, portez le soleil en vous - slunce v duši, salut et à bientôt - zatím ahoj !