« J’adorais ne rien comprendre au tchèque »

Anaïs Raimbault, photo: Archives de Anaïs Raimbault

« Je m’appelle Anaïs Raimbault. Je vis à Prague depuis 2005, mais pas de façon continue, davantage en alternance au gré des études, des voyages et du travail. En tout et pour tout, cela fait donc sept à huit ans que j’habite ici. Sinon j’ai 33 ans et je suis traductrice. » C’est donc avec Anaïs, jeune Française originaire de cette belle région historique qu’est l’Anjou, que se poursuit notre série consacrée à ces francophones qui parlent tchèque, ou à tous ces gens pour lesquels le français est la langue maternelle et qui, un jour, pour différentes raisons, ont fait le choix de se lancer dans l’apprentissage du tchèque.

Anaïs Raimbault,  photo: Archives d'Anaïs Raimbault
Pour accompagner le récit de son aventure, Anaïs a choisi la très poétique chanson « Já viděl divoké koně » (J’ai vu des chevaux sauvages) de Jaromír Nohavica. Et si ce n’est pas sur un de ces chevaux sauvages qui courent dans le crépuscule, comme les évoque le barde d’Ostrava, qu’elle est arrivée à Prague, Anaïs nous explique néanmoins quel bon vent l’a amenée jusqu’en République tchèque :

« Réponse classique, je pense maintenant : à l’origine, je suis venue une année pour étudier dans le cadre du programme européen d’échanges universitaires Erasmus. »

« Qu'étudiiez-vous à l’époque ? »

« J’étais étudiante en langues étrangères appliquées à Nantes, en troisième année de licence, et je n’apprenais pas le tchèque. Les langues que j’étudiais étaient l’anglais et l’espagnol. Ce qui m’a fait choisir Prague, c’est un peu le hasard et la chance. Disons que j’étais tentée par l’Espagne, mais je n’avais pas de très bonnes notes en espagnol, donc je pense que je n’aurais pas été choisie. Prague était une ville dont je ne savais rien. Je me suis dit que c’était une bonne raison pour y venir. »

« Quelle ville avez-vous découverte ? »

« En 2005, c’était très différent de maintenant. Peut-être que je suis devenue plus critique aussi depuis. Quand je suis arrivée ici, j’avais l’impression d’être dans un pays complétement exotique. Rien ne ressemblait à ce que je connaissais de mon Anjou natal. Il y avait des tramways rouges qui me semblaient complètement désuets. La langue, c’était le plus dépaysant je pense, parce que je n’avais pas grand-chose auquel je pouvais me raccrocher. »

« Ces trams rouges, treize ans plus tard sont restés les mêmes... »

« Ce sont les mêmes, mais pas tous. Maintenant les trams sont accessibles aux fauteuils roulants. A l’époque il n’y avait que les trams arrondis, avec des marches et le chauffage sous le siège. Mais bon, ils sont toujours là et je vois d'ailleurs souvent des Français qui les prennent en photo, c'est que ça reste exotique. »

Venue donc à Prague dans un premier temps, aussi curieux cela puisse-t-il être, pour étudier l’anglais et l’espagnol, Anaïs a toutefois rapidement choisi le tchèque comme nouvelle « langue appliquée ». Et comme souvent lorsque l’on est animé de bonnes intentions, le hasard a alors bien fait les choses :

Photo: Commission européenne

« Ce n’était pas vraiment voulu, ce sont des rencontres qui m’ont liée au pays. J’ai eu la chance de trouver un appartement dès le début de mon année Erasmus. J’ai donc pu m’échapper d’une résidence universitaire mal placée en banlieue, éloignée de tout. J’ai trouvé un appartement dans lequel habitaient sept Tchèques et Moraves qui m’ont tout de suite intégrée comme un des leurs. Ça a été vraiment le grand amour dès le début pour moi... Et pour eux aussi, je l’espère ! Parmi ces Tchèques, il y en a un qui, à l’époque, est devenu mon copain. Ce sont des choses qui ancrent et qui rendent la relation avec le pays bien plus forte et concrète. Ils cherchaient un colocataire étranger pour avoir l’occasion de pratiquer leur anglais. Quand j’étais là, on parlait donc plutôt anglais mais avec le temps, le tchèque revenait naturellement. Ça a été une grande chance pour moi. »

« C’était une évidence d’apprendre le tchèque. Je m’étais inscrite tout de suite aux cours de tchèque proposés par la faculté. C’étaient des cours destinés aux étudiants Erasmus. Je n’imaginais pas ne pas apprendre la langue. Je n’avais pas l’ambition de la parler couramment à la fin de mon année Erasmus, mais ne pas du tout m’y intéresser m’aurait semblé vraiment bizarre. J’adore les langues étrangères, c’est pour cela que je les étudie et que j’en ai fait mon métier. J’adore toutes les langues et ça n’a pas d’importance pour moi si c’est une langue 'utile' ou une langue qui 'ne sert à rien'. Le tchèque, il faut bien dire ce qu’il en est, à part en République tchèque et en Slovaquie, n’a pas trop d’utilité. Actuellement j’apprends le catalan, et c’est pareil, c’est une langue qui a priori apparaît comme minoritaire et qui n’offre aucun avantage. Quand les gens pensent aux langues utiles, ils pensent souvent à l’aspect économique, alors que pour moi, une langue, ce n’est pas ça. C’est l’aspect humain, l’aspect culturel et surtout l’aspect pratique qui importent. Etre dans un pays et ne rien comprendre, ce n’est pas ma relation avec le pays et avec la langue. Pour moi, il faut faire un petit effort. En plus, j’adore ce sentiment, au début, de ne rien comprendre et d’être comme un enfant dans un monde d’adultes. Les gens rigolent et on ne comprend pas les blagues, les gens ont l’air sérieux et on ne sait pas ce qui se passe. Petit à petit, on s’accroche, on commence à identifier certains mots. J’aime bien ce sentiment de grandir dans une société différente. »

Quel souvenir gardez-vous de vos premiers cours de tchèque à la faculté ?

Anaïs Raimbault,  photo: Archives d'Anaïs Raimbault
« Les cours étaient très bien faits et très orientés sur la pratique. Cela signifie que l’on apprenait à commander au restaurant, à acheter des timbres, à acheter un ticket pour rentrer dans un musée. On apprenait le tchèque du quotidien. Comme ces cours étaient destinés aux étudiants Erasmus qui étaient là pour un semestre ou deux, tout le monde n’était pas aussi motivé que moi. On revenait beaucoup sur des choses parce qu’il y avait des étudiants qui avaient loupé des cours. Je trouvais que l’on n’avançait pas trop vite. Mais j’avais aussi cet avantage que les autres n’avaient pas, celui d’entendre le tchèque au quotidien dans ma collocation. J’avais un petit avantage que tout le monde n’avait pas : j’avais étudié le russe pendant deux ans à la faculté de Nantes. Alors, certes, c’était à un niveau débutant mais je savais ce qu’était une déclinaison ou les aspects des verbes par exemple. J’avais un système de langue slave universel en tête ainsi que quelques mots qui avaient leur équivalent en tchèque. Ça m’a aidée énormément. »

Est-ce aussi une langue qui vous a plu ? C’est important dans l’apprentissage d’une langue de l’aimer…

« Il faut l’aimer, mais pour le tchèque, ce n’est pas cela qui m’a convaincue. J’aime bien faire attention à la mélodie des langues et le tchèque n’est pas la langue la plus mélodieuse qui soit. On peut dire ça comme ça. Ce qui m’a donné envie de continuer, c’est que tout ce que j’apprenais, je pouvais immédiatement l’utiliser. C’est une récompense de savoir que ce l’on apprend en cours, on peut le ressortir quelques heures après en étant compris par les gens. Ça donne envie. »

Est-ce que le tchèque vous a semblé très différent des langues que vous pratiquiez déjà ?

« Oui, certes j’avais déjà quelques notions de russe mais à un niveau très bas. Je voyais les ressemblances, mais c’est tout. Ce qui me désorientait par exemple, c’était la syntaxe libre des phrases. Quand je devais moi-même parler, je construisais les phrases n’importe comment, mais ça ne marchait pas tout le temps. Alors oui, c’est libre, mais il y a quand même quelques règles. Sinon, le fait de l’entendre tous les jours sans même comprendre, ça prépare le cerveau à pouvoir parler. Ma première année ici a été une année d’observation, une année à écouter, à enregistrer de façon inconsciente. Ce n’est que plus tard que j’ai réussi à parler. »

Seulement voilà, une fois son année Erasmus arrivée à son terme, Anaïs a dû faire ses adieux à Prague et repartir en France, cette fois, peut-être, sur son cheval sauvage imaginaire… Pas le meilleur moyen, on s’en doute, pour entretenir son niveau de tchèque, comme Anaïs nous le racontera dans le prochain « Tchèque du bout de la langue ».