Hic ! L’étrange « virose » du président Zeman

Photo: TV Nova

« Viróza » : c’est certainement le mot le plus à la mode en République tchèque de ces deux dernières semaines. Un des mots aussi qui fait le plus rire les Tchèques. Heureusement d’ailleurs, car il y aurait presque de quoi en pleurer. Mais l’affaire n’a pas fait rire que les Tchèques... Car les images, bien entendu disponibles sur youtube, ont immédiatement fait le tour du monde. Ces images montrent le président de la République Miloš Zeman chancelant, (très) hésitant dans ses gestes et manifestement « společensky unavený » - « socialement fatigué », comme disent avec une certaine élégance les Tchèques, en un mot éméché, comme l’a noté plus prosaïquement La Voix de la Russie, à laquelle on estime pouvoir faire confiance en la matière depuis l’ère Boris Eltsine.

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L’oeil vitreux, plus près de dormir debout ou d’une chute que d’exécuter un pas de danse comme l’illustre ancien président russe, le président tchèque est ainsi apparu dans un état d’ébriété avancé le 9 mai dernier lors de la cérémonie d’ouverture de l’exposition des joyaux de la couronne de Bohême, qui se tenait (quand même…) à la cathédrale Saint-Guy au Château de Prague. Aux côtés du Premier ministre, du cardinal et archevêque de Prague, du maire de la ville ou encore de la présidente de la Chambre des députés, le comportement de Miloš Zeman n’est bien entendu pas passé inaperçu. Et pour cause : il a fait fort, très fort même ! C’est le moins que l’on puisse dire.

Seulement, et pour reprendre une expression de la langue française, c’était un peu trop fort, et pour le coup pas seulement de café... Suite aux réactions choquées qu’ont suscitées les images auprès du public, la porte-parole du Château de Prague a publié un communiqué le lendemain dans lequel elle expliquait que la fatigue du président Zeman était causée par son emploi du temps surchargé et par ce qu’elle a désigné comme une « lehká viróza », littéralement une « légère virose » ou un « léger virus », dirions-nous peut-être plutôt en français. Vous comprendrez bien qu’il n’en fallait pas plus pour faire éclater de rire un grand nombre de Tchèques et, nous concernant, pour nous donner un nouveau sujet pour cette rubrique...

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Dans le dictionnaire français, le mot « virus » possède trois sens. On passera celui du virus informatique, qui ne nous intéresse guère dans le cas présent, même si on pourrait quand même noter qu’en tchèque, le mot utilisé pour désigner un programme parasitant un système informatique et perturbant son bon fonctionnement est aussi « virus » (prononcer alors « virousse » en roulant le « r »).

En revanche, les deux autres sens doivent faire l’objet de notre attention. Le sens premier, le sens propre, le plus courant ou le sens médical si vous préférez, est celui qui désigne un micro-organisme infectieux et contagieux. On parle par exemple du virus de la grippe. Bien entendu, c’est de ce type de virus (ne serait-ce que selon la version officielle) dont il s’agissait pour le président tchèque, même si son entourage s’est bien abstenu de préciser de quel type concrèt de virus il s’agissait.

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Mais si nous étions mauvaise langue, nous pourrions également affirmer qu’il en allait peut-être aussi du deuxième sens du mot « virus », à savoir une contagion morale, une passion pour quelque chose. Car si certains ont le virus de la musique, des mathématiques, de la lecture, du cinéma ou encore du sport, le président Zeman ne cache pas, lui, qu’il a, sinon un virus, du moins un sérieux penchant pour l’alcool. Lors de la campagne électorale en début d’année, il a ainsi déclaré qu’il consommait cinq à six verres de vin et deux à trois verres de « slivovice » (une eau-de-vie de prune très prisée des Tchèques) par jour. Un régime quotidien qui devrait donc permettre à Miloš Zeman de « tenir la route » lors de certaines réceptions officielles plus arrosées que d’autres, comme celle à laquelle il a participé à l’ambassade de Russie, le 9 mai, pour célébrer le Jour de la Victoire... Car avant de se rendre à la cathédrale Saint-Guy pour assister à la sortie des joyaux de Bohême avant leur exposition publique, le président tchèque était apparu trinquant un verre de vin à la main et d’humeur très joyeuse avec l’ambassadeur de Russie. Et aucune maladie virale que ce soit, ou virose donc – « viróza », ne semblait alors l’affecter. Ainsi donc pour les faits. Libre à chacun ensuite d’en faire sa propre interprétation, comme ne s’en sont d’ailleurs pas privés les Tchèques.

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Dans le dictionnaire étymologique tchèque, le mot « viróza » ne possède pas le sens figuré que l’on connaît en français, celui de contagion pour quelque chose, et que nous venons d’évoquer. En tchèque, le sens reconnu est le sens commun de maladie virale – « virové onemocnění » ou « viróza » - virose, maladie qui est due à un virus. Du moins tel était le cas jusqu’à cette fameuse cérémonie du 9 mai dernier. Depuis, et même s’il ne s’agit là sans doute que d’un phénomène passager de mode et que rien n’a bien entendu encore été officialisé par l’Institut de la langue tchèque de l’Académie des sciences, le terme « viróza » a acquis également un sens figuré qui est celui de « opilost » - ivresse, ébriété, enivrement. Désormais, lorsque les Tchèques boivent comme leur président un petit coup de trop, qu’ils sont « socialement fatigués » - « společensky unavení », ils affirment souffrir d’une « viróza » - une virose donc dont la prononciation n’est pas sans nous faire penser à une certaine vie en rose (et quelle vie !) ou à la cirrhose (et quelle vie…), cette célèbre maladie du foie – « jaterní cirhóza », qui résulte souvent d’une consommation chronique d’alcool.

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Nous tenons quand même à vous rassurer : on ne saurait vous dire si la consommation de vin et de « slivovice » aide le président tchèque à voir la vie en rose, mais on peut affirmer que la « viróza » dont il a souffert après son passage aux célébrations de la Grande Victoire à l’ambassade de Russie n’a rien à voir avec la « cirhóza ». Le curieux virus dont il était question est disparu aussi vite qu’il était apparu. Nous le pensons sincèrement – « Myslíme to upřímně », comme disait l’ancien Premier ministre Stanislav Gross, dont la façon de penser était tout sauf sincère et dont le slogan osé, comme la « viróza » de Miloš Zeman, s’est vite popularisé auprès de Tchèques généralement très habiles dans l’usage de l’ironie.

Quel que soit leur pays, les gens ont généralement pour habitude de se souhaiter une bonne santé. Pour une fois, en conclusion de ce « Tchèque du bout de la langue » et comme les Tchèques le font désormais entre eux, nous aurions presque envie du contraire et de vous souhaiter une « virose de la vie en rose », ce désormais célèbre virus à la Zeman. Vous nous direz ensuite avant la diffusion de la prochaine rubrique dans quinze jours si vous en êtes guéris… Hic ! D’ici-là, hic !, portez-vous du mieux possible - mějte se co nejlíp !, portez le soleil en vous - slunce v duši, hic !, salut et à bientôt - zatím ahoj ! Hic !