Fraudes, escroqueries, ou comment les Tchèques creusent des tunnels

Photo: Archives de ČRo7

L’actualité tchèque ces dernières semaines a été marquée par de nombreuses affaires de corruption et autres fraudes financières. Rien que sur Radio Prague, depuis la mi-octobre, nous avons évoqué la démission du ministre du Commerce et de l’Industrie, la privatisation de la société minière de Most, le controversé « super appel d’offres écologique » ou encore l’achat de grâces présidentielles… On le constate, malgré la prétendue volonté du gouvernement de lutter contre, la corruption et les escroqueries en tous genres restent monnaie courante en République tchèque. Omniprésentes, fraude et corruption le sont depuis au moins une vingtaine d’années et les grandes transformations politiques et économiques. Un fléau qui touche donc de nombreux niveaux de la vie publique et du monde des affaires en République tchèque, mais qui a également une retomble sur la langue tchèque : l’invention du mot « tunelovat », en lien direct avec le mot « tunel » - « tunnel », en est la confirmation.

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Nous l’avons déjà évoqué à plusieurs reprises dans cette rubrique, quelques mots tirant leur origine de la langue tchèque sont passés dans le langage courant international. Il s’agit plus précisément de « robot », « polka », « dollar », « pistolet » ou même encore « obus », autant de mots que l’on retrouve aujourd’hui dans la langue française.

Le cas du mot « tunel » - « tunnel », est lui bien différent. D’abord, concernant son étymologie, il ne possède aucune origine tchèque. Comme en français, mais aussi en allemand, en espagnol, en italien ou même encore en turc, le mot tchèque est emprunté de l’anglais « tunnel ». Plus exactement, il est issu du moyen anglais « tonel » (littéralement un « filet tubulaire »), lui-même issu de l'ancien français « tonnelle ». Son sens premier, comme on le conçoit partout dans le monde, est une voie ou une galerie de communication souterraine percée à travers ou sous quelque chose, une montagne, une colline, une rivière ou même la mer. En tchèque, le mot « tunel » possède donc ce sens premier. Rien de très surprenant jusque là. Mais il possède également un sens très particulier, propre à la langue tchèque, et c’est bien entendu surtout ce sens-là qui nous intéresse.

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En tchèque, donc, un « tunel » peut également désigner une fraude, une escroquerie, concrètement un moyen illégal de transférer, détourner, de l’argent appartenant à une société, à une banque ou se trouvant sur un fonds financier vers un compte bancaire privé d’une personne physique. Pour désigner cette opération réalisée par un « tunelář », un escroc financier donc, il existe également le verbe « tunelovat », apparu dans les médias tchèques vers le milieu des années 1990, soit en pleine période de privatisations.

Un peu paradoxalement, même si nous connaissons bien le mot « tunnel », le verbe « tunelovat » est difficilement traduisible en français. Il ne serait sans doute pas question, dans le cas présent de fraude financière, de « creuser ou de percer un tunnel », il faudrait donc là aussi inventer un nouveau mot, qui pourrait être par exemple « tunneler », dont la conjugaison ne serait toutefois ni très belle ni très pratique. Notons cependant, et c’est là une précision importante, que la langue anglaise a, elle, trouvé un équivalent au mot tchèque « tunelování », c’est-à-dire l’action qui consiste à « tunelovat » ou « tunneler », avec « tunneling », un terme apparu vers l’an 2000, là aussi, semble-t-il, pour la première fois dans deux magazines économiques spécialisés. Précisons encore que les auteurs des articles n’avaient alors pas oublié de rendre à César ce qui appartient à César et de mentionner que ce nouveau mot « tunneling » tirait son origine du tchèque… Au moins, depuis, les Tchèques, même si la majorité d’entre eux n’en est pas particulièrement fière, peuvent se targuer d’avoir donné un nouveau mot au monde.

'Faites sauter la banque !'
Bien entendu, il faut encore se poser la question légitime de savoir pourquoi les Tchèques font référence au « tunnel » pour désigner ces transactions financières frauduleuses. D’abord, « tunelovat » serait inspiré de certains films comme la comédie française de 1964 « Faites sauter la banque ! » dans laquelle Louis de Funès joue le rôle principal. Ruiné par le directeur d’une banque l’ayant mal conseillé et volé, le père d’une famille décide de creuser un tunnel depuis sa cave qui doit aboutir à la salle des coffres de la banque…

Photo: Commission européenne
Mais on peut aussi supposer qu’il existe une autre raison : tandis que l’on évoque souvent la transparence lorsque l’on parle de lutte contre la corruption, pour qualifier une gestion ou le fait de ne pas dissimuler ses activités ou ses revenus, le tunnel, lui, inversement, évoque l’idée d’obscurité, de trou noir. Or, les opérations frauduleuses sont réussies lorsqu’elles se font dans le secret, un peu comme pour les voleurs qui opèrent la nuit pour ne pas être vus. Et malheureusement, force est de constater, à la lumière de l’actualité, qu’en ce qui concerne la corruption et les fraudes financières et fiscales en tous genres, les Tchèques ne voient pas encore le bout du tunnel…

C’est sur ce constat que s’achève ce « Tchèque du bout de la langue ». En attendant de nous retrouver dans quinze jours pour découvrir d'autres curiosités et « richesses » de la langue tchèque, « richesses » que nous ne « tunnelerons » pas, portez-vous du mieux possible - mějte se co nejlíp!, portez le soleil en vous - slunce v duši, salut et à bientôt - zatím ahoj!


Rediffusion du 12/11/2011