Le siècle de la valse et de la polka

Photo: Musée national

Aujourd'hui, émission spéciale à l'occasion du 1er mai qui est jour férié en République tchèque. Exceptionnellement, nous n'évoquerons ni l'histoire de la fête du travail, ni le traditionnel baiser des amoureux au pied de la statue du poète romantique Karel Hynek Mácha, sur la colline de Petřín. Radio Prague vous invite au Musée de la musique, dans le quartier de Malá Strana. Aménagé dans l'ancienne église baroque, le musée est rempli de rythmes de valses et de polkas, deux danses mises à l'honneur au travers d'une exposition intitulée « Le siècle de la valse et de la polka. »

Photo: Archives de Radio Prague
La polka tchèque la plus connue au monde, c'est Škoda lásky – Dommage l'amour, plus connue dans les pays francophones sous le titre de Rosemonde. Le manuscrit autographe de Škoda lásky est l'un des objets les plus rares exposés actuellement au Musée de la musique. Composée en 1927 par Jaromír Vejvoda, cette polka a vite gagné en popularité. La commissaire de l'exposition Eva Paulová revient sur les nombreuses péripéties qu'elle a rencontrées :

« A l'origine c'était une mélodie relativement simple, elle s'appelait la Polka de Zbraslav et son auteur, Jaromír Vejvoda, l'avait offerte à la publication contre une somme marginale. Devenue bientôt une des chansons les plus populaires, les paroles de Škoda lásky ont été finalisées en 1934, bien que pas tout-à-fait : comme on le sait, cet air a continué de vivre sa propre vie indépendamment de son auteur. Très vite, il s'est diffusé dans le monde entier pour être chanté sous différentes appellations. Beaucoup ignorent, jusqu'à nos jours, son origine tchèque. Škoda lásky s'est diffusée en Allemagne, en Angleterre, aux Etats-Unis. Elle a figuré dans le répertoire des orchestres de légende de Glenn Miller et Benny Goodman. Beaucoup d'interprètes comme Billie Holiday et Frank Sinatra l'ont chantée. Devenue hymne non-officiel des forces alliées pendant la Seconde Guerre mondiale, ce sont les champs de bataille qui lui ont apporté une gloire mondiale. »

En Amérique, Škoda lásky est connue sous ses noms moins romantiques : Beer Barrel Polka ou Roll Out the Barrel. Le célèbre trio américain Andrew Sisters l'a interprétée sous le titre de Here Comes the Navy.

Quant à l'histoire de la polka, elle remonte au début du XIXe siècle, période de formation de la musique nationale tchèque. Deux danses – la polka, à l'allure vive et rythmée, et la valse, élégante et majestueuse, apparaissent alors en pays tchèqus. Eva Paulová ne doute pas de l'origine tchèque de la polka, même si certains Polonais affirment, de leur côté, que la polka est une danse de chez eux :

Eva Paulová,  photo: Musée national
« La polka est incontestablement d'origine tchèque, elle est apparue pour la première fois dans la région de Bohême orientale. Pour ce qui est de l'origine du mot polka qui signifie en tchèque Polonaise, selon la théorie la plus répandue, il exprime l'écho de l'insurrection des Polonais contre les troupes tsaristes auprès des milieux patriotiques tchèques. La polka gagne vite en popularité à l'étranger. Dès 1840, le maître de ballet du Théâtre des Etats Johann Raab la présente à Paris, où elle remporte un énorme succès. De Paris, elle se diffuse à Londres, en Amérique et en Russie. Devenue très à la mode, elle est dansée dans des grands bals comme celui de 1845 auquel s'était présentée la reine d'Angleterre Victoria et le prince Albert. »

Photo: Musée national
Au Musée de la musique, on peut admirer plusieurs manuscrits autographes des polkas de Bedřich Smetana dont on connaît la passion pour cette danse devenue symbole du Renouveau national. C'est à l'âge de 16 ans que le jeune Smetana compose sa première polka dédiée à Louise. « Le souvenir de Plzeň » est une autre polka de Smetana dont le manuscrit est à voir à l'exposition « Le siècle de la valse et de la polka », comme l'observe Eva Paulová :

« Bedřich Smetana a transposé la polka dans la musique tchèque, que ce soit dans sa forme de danse ou sa forme stylisée. Le rythme plein de tempérament de la polka retentit dans la deuxième partie du quatuor ‘De ma vie’ de Smetana. Dans notre musée, nous exposons le manuscrit autographe du premier acte de l'opéra ‘La Fiancée vendue’ avec la célèbre polka à la fin. »

Photo: Musée national
De la polka, passons à la valse, danse de société très appréciée notamment dans les milieux nobles et bourgeois du XIXe siècle. Son nom vient de l'allemand Walzer qui signifie tourner en cercle. Selon Eva Paulová, la valse s'est développée en opposition aux danses de cour dansées en Autriche, telles que le menuet, qui étaient très formelles sous l'influence de la cour de Versailles. Ainsi, il y avait une grande différence entre ces danses de cour rigides dansées en ligne et la valse à trois temps dansée en couple fermé en rotation :

« Les premiers compositeurs de valses célèbres étaient liés aux débuts mêmes de la musique classique romantique : Carl Maria von Weber, avec son Rondo brillant dit Invitation à la valse, Ludwig van Beethoven et Franz Schubert. Tous ces compositeurs ont débuté avec des valses. La différence entre la valse et ses précurseurs est documentée par Mozart qui se souvient que des Praguois avaient dansé sur les mélodies des Noces de Figaro. De même, la mise en scène d'Una Cosa rara citée par Mozart dans la scène finale de Don Giovanni témoigne du fait que la valse a été dansée pour la première fois dans un opéra, sur une scène de théâtre. »

Photo: Musée national
La valse a longtemps été considérée comme inconvenante parce qu’elle se dansait en « couple fermé », l'homme faisant face à la femme, et non pas côte à côte comme dans le menuet par exemple. Pour cette raison, de nombreux édits interdisaient la valse qualifiée d'immorale. En dépit de cela, la polka et la valse ont acquis une grande popularité en pays tchèques :

« On peut dire que les deux danses, la polka ainsi que la valse, sont nées en pays tchèques. Quant à la valse, ses origines se situent à la fin du XVIIIe siècle dans les régions de Bohême du sud-ouest, de Bavière et d'Autriche occidentale. Les deux danses sont une réaction de la bourgeoisie naissante aux danses de cour rigides, artificielles et dansées en rang, typiques pour le XVIIIe siècle. La valse en tant que danse de salon a été définitivement codifiée à l'époque de la première République tchécoslovaque, entre 1920 et 1930, en Angleterre. »

Photo: Musée national
Considérées au départ comme danses populaires, la valse ainsi que la polka apparaissent dans les symphonies, le ballet, l'opéra et l'opérette. Parmi les compositeurs de valses les plus célèbres, l'exposition évoque notamment Frédéric Chopin, Johann Strauss père et fils, et Antonín Dvořák, auteur des Valses praguoises.

La danse est une activité très populaire au XIXe siècle. Hélas, elle ne peut être pratiquée que pendant une courte période de l'année. Conformément aux conventions établies par l'Eglise, on danse dans des périodes de l'année strictement définies et la majorité des bals ont lieu pendant la période du Carême, uniquement. Au XIXe siècle, les bals sont aussi un événement de société de première importance, comme le souligne Eva Paulová :

Photo: Musée national
« L'exposition ne peut pas faire l’impasse sur l'importance des bals, de la valse et de la polka pour le Réveil national tchèque. Ainsi elle évoque les premiers bals patriotiques organisés au XIXe siècle sur l'île Žofín à Prague, ainsi que les premiers bals slaves à Vienne. Ces événements sont à la fois une manifestation du patriotisme tchèque dont l'expression est le port de costume national. »

Dans le courant du long XIXe siècle, les premières écoles de danses ouvrent à Prague : l'Ecole royale tchèque de Karel Link et l'école du maître de danse Richard Kaska. Cette dernière s'installe dans les locaux de Měšťanská beseda, centre politico-culturel de la bourgeoise praguoise fondé en 1845 à deux pas du Musée de la musique dans lequel nous vous avons invité, aujourd'hui.