Le romantisme et l’Eveil national en Bohême

Socha Karla Hynka Máchy na Petřině

Pour cette émission spéciale 1er mai, comment ne pas penser au romantisme ? Les jeunes amoureux vont s’embrasser devant la statue du poète Karel Hynek Mácha à Petřín et la nature dévoile ses charmes. Mais si nous évoquons aujourd’hui le romantisme en Bohême, c’est pour montrer qu’il fut aussi un mouvement politique, dans le cadre de la Renaissance nationale. La période romantique fut en même temps un véritable modèle de «co-patriotisme» entre Tchèques et Allemands de Bohême.

Le romantisme désigne, dans les pays allemands, autrichiens et tchèques, l’époque allant de 1815 à la Révolution de 1848, époque appelée le Vormärz, l’avant-mars. Derrière les envolées lyriques, n’oublions pas que c’est aussi l’époque du Biedermeier, qui, en Autriche et sans doute par répercussion en Bohême, consacre le règne du confort bourgeois.

C’est à l’époque romantique que Prague prend une image qui vaut toujours, celle de la Ville aux Cent Tours. Pour citer Bernard Michel, Prague devient alors une personne. A la base, une double influence, celle de Paris et de Vienne. La maquette de Paris par Symphorien Caron exposée à Prague donne au lithographe tchèque, Antonín Langweil, l’idée de faire celle de Prague, en 1826. On essaie de trouver, dans chaque recoin de la ville, la Prague magique qui se définit alors sur le modèle des Mystères de Paris, d’Eugène Sue. Dès lors, l’image de Prague est comme une obsession pour de nombreux artistes comme le dessinateur Vincenc Morstadt, juriste dans le civil et qui a laissé de nombreuses aquarelles de Prague.

De Vienne, la pièce d’Adolf Bäuerle, «Aline ou Vienne», est traduite en tchèque et réadaptée dans le contexte pragois par Jan Nepomuk Štěpánek. «Aline ou Prague», tel sera le titre de la copie qui ne se cache pas d’en être une. Le «Il n’existe qu’une Vienne» devient «Le monde entier n’a pas de Prague !».

La statue de Goethe à Marianské Lázně | Photo: Radio Prague Int.
A la formation de cette nouvelle image correspond par ailleurs le développement du tourisme en Bohême, au début du siècle. Prague, mais aussi les villes d’eau de l’ouest comme Karlovy Vary ou Marianské Lázně. Plus connue sous le nom de Marienbad, cette dernière verra Goethe y séjourner régulièrement. Pour ces touristes, allemands pour la plupart, une nouvelle littérature voit le jour. Il s’agit bel et bien des ancêtres de nos guides touristiques, dans une forme plus littéraire on s’en doute. Citons «Description de Prague» de Reinhold en 1832, en allemand ou encore «Description de la capitale royale Prague pour les étrangers et les autochtones», de Karel Ladislav Zap.

La période romantique voit surtout la renaissance de la conscience nationale. Et celle-ci s’accompagne aussi de fêtes populaires, qui sont le fait de corporations ou d’associations. Les tailleurs de Bubenec ont leur fête, le Slamnik, de même les cordonniers de Nusle célèbrent la Fidlovačka. Le tissu associatif est traditionnellement dense dans les pays tchèques et autrichiens. C’est d’ailleurs de l’une des nombreuses chansons qui fleurissent lors de ces fêtes, que naîtra l’hymne national tchèque, «Kde Domov Můj», «Où est ma patrie» ? Enfin, c’est en 1840 que se tient le premier bal tchèque, promis à une longue tradition. Le romantisme en Europe centrale divise volontiers la vie en principes opposés. Dans la mythologie slave qui prend alors forme, les Allemands, agressifs et pillards sont définis comme l’inverse exact du Slave, dont le Tilleul symbolise le pacifisme. Une vision bien sûr simpliste mais qui n’aboutit pas pour autant à une russophilie généralisée. A la place, on adhère à l’austroslavisme, mais avec des droits nationaux respectés pour les Slaves.

Prague 1848
D’ailleurs, la période romantique, c’est aussi celle où Allemands et Tchèques se rassemblent pour scruter ensemble l’héritage historique du royaume de Bohême, son riche passé. L’Eveil national (Obrozeni) rassemble plus qu’il ne sépare les deux communautés. Car, à côté des nationalistes privilégiant la langue et prônant donc la rupture entre Tchèques et Allemands, d’autres font preuve d’un patriotisme du sol, mêlant les nationalités ayant contribué à la grandeur du passé tchèque. Le parcours de Carl Postl l’illustre bien.

Uffo Horn
Allemand de Bohême, entré dans l’ordre des Chevaliers de Malte, il étudie à la faculté philosophique de l’université Charles de Prague. Ce jeune homme brillant et ambitieux est reçu dans les salons de la noblesse de Prague, dont le comte Christian Clam-Gallas. En 1823, suite à un blocage de sa carrière politique, il s’installe aux Etats-Unis, où il écrira «Austria as it is». Et lors des premiers mois de la Révolution de 1848, le leader des étudiants allemands, Uffo Horn, prête main forte à ses collègues tchèques. On est loin des batailles rangées entre étudiants tchèques et allemands qui se feront régulières dans le dernier quart du XIXème siècle.

La révolution de 1848 sonne le glas du romantisme mais aussi de ce rêve. Après, le nationalisme devient strictement linguistique côté tchèque, tandis que les Allemands de Bohême adhèrent au pangermanisme et se tournent, à cet effet, vers l’Assemblée de Francfort. Les affrontements commencent…

Pourtant, au début de la révolution encore, on voit Tchèques et Allemands côte à côte. Ainsi, des radicaux allemands tels Ludwig Ruppert ou Moritz Hartmann. Et dans le Comité national élu le 10 avril, la présidence revient à un noble allemand très populaire et favorable aux Tchèques, le comte Adalbert Deym. Le mouvement compte également quelques représentants de la haute bourgeoisie allemande de Bohême, comme Simon Lämmel.

Même mixité chez les femmes, que l’on voit, peut-être pour la première fois à ce point, sur le devant de la scène lors des émeutes révolutionnaires. En mars, la femme de lettres Bozena Nemcova et plusieurs autres rédigent une pétition demandant la libération des prisonniers politiques détenus en Autriche, en majorité des Italiens et des Polonais. Dans les rues de Prague, on voit indifféremment des femmes tchèques ou allemandes défiler avec des cocardes portant le symbole de la Prague parlementaire : un lion de Bohême à deux queues entre des bandes rouges et blanches.

La rupture entre Tchèques et Allemands de Bohême aura lieu en avril 1848, alors que se tiennent les élections au Parlement de Francfort. Rappelons que la Bohême, outre son appartenance à l’Empire autrichien, faisait également partie de la Confédération germanique depuis 1815. La noblesse allemande fait son choix : son destin ne sera ni tchèque, ni autrichien mais allemand.

Après, c’est la rupture et la fin d’un modèle qui n’était pas sans rappeler l’époque hussite ou celle précédant la Montagne Blanche au début du XVIIème siècle, quand on avait vu des nobles tchèques et allemands participer à la troisième défenestration contre deux représentants du pouvoir royal, par ailleurs tchèques.

Prague 1848
Rappelons enfin le rôle non négligeable de l’épopée napoléonienne dans l’impulsion au romantisme tchèque. Nous l’avions déjà évoqué sur nos ondes, la Révolution française n’avait pas touché les Pays tchèques dans un premier temps. En revanche, à la faveur des émeutes révolutionnaires de 1848, on voit apparaître de nombreux clubs, qui ne sont pas sans rappeler les journées parisiennes des années 1790. Leur naissance a par ailleurs été facilité par la tradition du tissu associatif en Bohême.

Une garde communale de 3 500 membres est créée en 1848, qui rassemble toutes les tendances politiques. De leur côté, les étudiants forment une légion armée d’environ 3 000 hommes, sur le modèle de la légion académique de l’Université de Vienne. Les clubs les plus célèbres s’appellent la Concorde, la Slavia ou encore, en dehors de Prague, le Tilleul slave. Voilà peut-être le dernier acte politique du romantisme tchèque. Ensuite viendra le temps des affrontements nationalistes puis celui des réalités, avec la création de la Tchécoslovaquie en 1918.