Le premier jour du reste de nos vies

Photo: Barbora Kmentová
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Noël. Outre les festivités, les traditions, le temps passé en famille, les retrouvailles avec ses proches, la fête de Noël est aussi une raison de plus pour passer le coup de fil qu’on a toujours remis au lendemain à un ami d’enfance ou à un frère avec lequel on ne parle plus. Peut-être s’agit-il d’un moment qui nous rend plus sensibles aux questions existentielles, celles que nous évitons tout au long de l’année, et qui révèlent par exemple notre attitude envers le caractère éphémère de nos vies…

… ou autrement dit envers la mort et la période de la fin de la vie. En ce mois de décembre, cette thématique a même fait l’objet d’une enquête réalisée par l’agence STEM/MARK sous l’impulsion de l’hospice Cesta domů (« Le chemin de la maison » ou « Le chemin vers chez soi » pourraient en être les traductions françaises). Il s’agit de la seconde enquête de ce type (la première a été réalisée en 2011) qui étudie les attitudes des gens par rapport au processus de la mort et au traitement des personnes atteintes de maladies incurables. Radio Prague vous propose une analyse des résultats de ce sondage publié une quinzaine de jours avant Noël, ainsi qu’un aperçu de l’état des soins palliatifs en République tchèque, tout en espérant briser les tabous liés à ce sujet et l’ouvrir à la réflexion. Interrogé sur l’opportunité de parler de ce thème pendant les fêtes de Noël, directeur de Cesta domů, Marek Uhlíř répond :

Marek Uhlíř,  photo: Site officiel du l'hospice Cesta domů
« Ce que je peux dire, c’est que nos patients passent aussi Noël. Les gens meurent aussi pendant Noël et même pendant le Nouvel An. La mort se répartit sur tous les jours de l’année. Je pense que c’est un sujet dont on doit parler tous les jours et donc ce n’est pas étonnant de l’évoquer pendant la période de Noël. Aussi, ouvrir ce sujet pourrait être un bon cadeau pour certaines personnes qui pourraient avoir du mal à l’aborder durant d’autres journées plus « normales », car c’est une discussion difficile, mais l’avoir engagée peut servir dans des situations futures qui sont encore plus difficiles. »

Quelles sont donc les conclusions majeures de cette recherche ? Comme le remarque Marek Uhlíř, ces conclusions, plus qu’elles ne surprennent, confirment ce que l’on pourrait supposer. Ainsi ressort au premier plan le manque d’envie général d’aborder le sujet de la mort (une réticence d’ailleurs plus prononcée chez les femmes que chez les hommes). 61% de toutes les personnes interrogées n’ont jamais abordé ce sujet avec leurs proches. Pourquoi ? « Parce que la mort est encore loin » répondent 32,9 % d’entre elles, « car je ne veux pas la faire approcher en en parlant » ajoute 24,5 % de ce panel, « pour ne pas faire peur à ma famille » complètent 14,8 % des sondés. Pour Kateřina Rusinová, médecin à l’Hôpital général universitaire de Prague-Karlovo náměstí, cette réticence à réfléchir sur la mort est tout à fait compréhensible :

« Je pense que c’est général et que c’est bien. Il faut vivre, profiter de la vie, mais il faut avoir un plan B. On ne peut pas passer la vie à réfléchir sur la mort, mais en ayant un plan B, on est plus libre. En ayant partagé avec quelqu’un ces questions difficiles, on est plus libre de passer à autre chose. »

Photo: Barbora Kmentová
Ce plan B qu’évoque Kateřina Rusinová est en effet une alternative au traitement que propose la médecine moderne au moment où elle n’améliore plus la qualité de vie de la personne atteinte d’une maladie incurable et en phase terminale. De son côté, la médecine, grâce aux avancées technologiques, a toujours de nouveaux traitements à proposer. Ainsi, il incombe aux patients d’exprimer leurs souhaits quant à la dernière phase de leur vie. Dans ce sens, Kateřina Rusinová pose une question fondamentale : à savoir si la médecine prolonge la vie ou si elle prolonge plutôt la fin de vie. Les soins palliatifs à domicile qui se destinent à soulager la douleur et de fournir un soutien psychologique à toute la famille, représentent, selon elle, la meilleure option pour les patients qui font face à l’impossibilité thérapeutique. C’est-à-dire, les soins palliatifs à domicile leur permettent de passer leurs derniers moments entourés par leurs proches tout en bénéficiant de l’assistance médicale très professionnelle :

« L’échec du traitement, ce n’est pas un échec de la vie ou un échec fatal. J’ai toujours un temps devant moi qui peut être rempli d’un sens profond, je peux passer du temps avec ma famille et les soins palliatifs aident à donner du sens à cette période où je n’ai plus d’option thérapeutique curative. »

Photo: Site officiel du l'hospice Cesta domů
Pour une personne qui se trouve en phase terminale d’une maladie, les soins palliatifs à domicile permettent non seulement de soulager les douleurs physiques, mais offrent également un soutien psychologique. L’importance de ces soins rendus à domicile prend encore plus d’ampleur si on prend en compte les résultats de la récente enquête. En effet, 78 % des personnes sondées souhaitent mourir chez elles, dans un environnement familier, alors que les statistiques montrent que 69 % des gens passent leurs derniers moments à l’hôpital ou dans une « maison pour personnes atteintes d’une maladie longue » (LDN). Cesta domů est un des centres de soins palliatifs à domicile qui contribuent à ce qu’un plus grand nombre de personnes puissent quitter la vie dans les conditions qu’elles souhaitent. Fondé en 2001, cet hospice propose déjà depuis douze ans ses services aux familles pragoises. Son équipe en a déjà accompagné 1200. Marek Uhlíř, directeur de Cesta domů depuis 2012, explique ce qui différencie son établissement des centres médicaux ordinaires :

« Ce qui est très différent, c’est que les soins palliatifs à domicile par définition ne sont pas seulement des soins médicaux. C’est un écosystème de services pour la famille, pas seulement pour le patient. Il y a non seulement des docteurs, des infirmiers, mais aussi des psychothérapeutes, des travailleurs sociaux ; il y a 90 bénévoles qui ont suivi une formation d’un an et travaillent ensuite avec nous. Ce que nous essayons de faire c’est à la fois d’aider les gens dans le contexte médical et de travailler avec toute la famille pour soigner les relations au sein de la famille, faciliter la communication, nous parlons aussi aux enfants, pour qu’ils comprennent ce qui se passe avec leur maman ou papa. »

La récente enquête a également la vertu de comparer pour la première fois le regard de la population et des professionnels de la santé, mais aussi des médecins et des infirmiers, sur la fin de vie. Marek Uhlíř commente les résultats :

Photo: Commission européenne
« On imaginait que dans les hôpitaux, les docteurs n’ont pas trop de temps pour parler aux patients, mais nous avons été surpris de voir qu’ils en ont vraiment très peu. Lors de la plus importante discussion d’une vie, quand on vous annonce que vous êtes malade et que vous n’avez qu’une courte espérance de vie, les médecins consacrent dix minutes. Ce qui était aussi surprenant, c’est que les gens disent vouloir connaître la vérité sur leur état de santé réel et ils veulent l’apprendre seuls et décider comment et à qui le dire ensuite. Il y a véritablement un minimum des gens qui ne souhaitent pas connaître leur état de santé. En revanche, les médecins estiment qu’un cinquième des patients ne souhaitent pas connaître la vérité et souvent, les médecins la disent tout d’abord à la famille et après au patient, ce qui est le contraire de ce que les gens veulent. »

Plus de la moitié des médecins interrogés (57%) affirment qu’il est difficile pour eux d’aborder ce sujet avec le patient et ils y consacrent en moyenne dix minutes de leur temps. En revanche, Kateřina Rusinová, qui parle souvent de ces questions avec ses patients, souligne que si les débuts de la conversation clé sont difficiles, au bout de cinq minutes vient un sentiment de soulagement du côté du patient et de sa famille. Il s’avère qu’ils ont souvent depuis un certain temps le désir d’exprimer leurs souhaits quant à leurs derniers moments et ils apprécient le fait d’être écoutés. Pour faciliter cette communication, Kateřina Rusinová participe aux travaux préparatoires et à l’étude de terrain d’un groupe de spécialistes qui visent à créer une unité de soins palliatifs mobiles pour assister les médecins. Si pour le moment, ils se familiarisent avec l’état des lieux, la raison d’être ainsi que l’objectif de cette équipe sont désormais clairs :

« Les unités de soins palliatifs existent au nombre de deux ou trois en République tchèque. En France, les soins palliatifs sont consacrés dans le droit et il y a donc des lits pour les soins palliatifs. Cela serait notre objectif, mais un groupe de consultation palliative mobile est bien sûr plus facile à mettre en place et à organiser comme premier pas. Cela consiste à mettre en place un groupe de médecins, infirmières etc. qui sont prêts à faire des consultations pour des malades qui en expriment le souhait ou à qui on propose un plan B. C’est un groupe qui intègre la dimension de l’hôpital et est prêt à consulter tous les patients, qui facilite la discussion de ce plan, qui fournit des contacts utiles pour la famille etc. »

Photo: Site officiel du l'hospice Cesta domů
En République tchèque, les soins palliatifs à domicile ne sont pas couverts par les assurances maladies. Malgré le fait qu’il s’agit d’un service moins cher qu’un séjour à l’hôpital, les caisses d’assurances n’ont pas prêté l’oreille à cette argumentation. Le prix d’une journée de services d’un médecin ou infirmier de Cesta domů a été calculé à 2 500 couronnes (un peu moins de 100 euros). Le prix moyen d’une visite à domicile chez le patient s’élève à 1900 couronnes dont 200 sont versées par la famille, le reste est couvert par Cesta domů. Son budget est composé pour les deux tiers de donations individuelles et pour le tiers restant de subventions publiques.

L’enquête que nous vous avons présentée tout au long de ce reportage révèle également que Kateřina Rusinová, ses collègues et toute l’équipe de Marek Uhlíř à Cesta domů, agissent dans un environnement de méconnaissance généralisée par rapport à la notion des soins palliatifs. En effet, 79 % des sondés affirment ne pas savoir ce dont il s’agit. C’est aussi l’ambition de Cesta domů de briser les tabous par rapport à la mort, de dépasser les mythes qui entourent la fin de vie. A cette prise de conscience correspond notamment le propos de l’auteur Anne Wilson Shaef imprimé sur les agendas 2014 de Cesta domů : Aujourd’hui, c’est la première journée du reste de ta vie.