Bestov 2015 – 1è partie

Photo : Stuart Miles, FreeDigitalPhotos.net
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Première partie en cet avant-dernier jour de l’année de la rétrospective 2015 de Radio Prague. On ne voulait pas faire de Best of cette année – trop cliché, trop suranné – mais, devant le nombre de lettres, courriels et autres textos nous suppliant de ne pas déroger à la règle, nous avons cédé. Et pour la peine, notre bestov sera en deux parties, mercredi ET Jeudi.

Jean-Philippe Toussaint : J’aimerais créer avec le lecteur une fraternité humaine

Jean-Philippe Toussaint,  photo : Madeleinesantandrea,  CC BY-SA 3.0
Chacun des collaborateurs de la rédaction française a mis la main à la pâte à knedlík et choisi l’un des nombreux et truculents entretiens réalisés cette année. A commencer par le monsieur livre de Radio Prague, Vaclav Richter. Il a choisi un extrait tiré de l’interview qu’il a réalisé avec Jean-Philippe Toussaint.

Ecrivain de renommé internationale, Jean-Philippe Toussaint ne se limite pas à la littérature et ses activités s’étendent sur plusieurs domaines. Il est également cinéaste, photographe et plasticien qui mène ses riches activités dans plusieurs pays. Au mois de mai dernier, il est venu avec ses collaborateurs à Prague où il rencontré les traducteurs de ses livres et a présenté son site internet conçu comme une œuvre d’art. Dans une interview accordée à cette occasion à Václav Richter, Jean-Philippe Toussaint a parlé de l’accueil réservé dans le monde à ses livres traduits dans une vingtaine de langues et a évoqué également ses impressions pragoises :

« C’est surtout en Asie que ça a été surprenant. C’est l’accueil extraordinaire qui a été fait à mes livres au Japon au début des années 1990 et qui est le pays au monde où je vendais le plus de livres. C’était un succès incroyable pour mes premiers romans, ‘ La salle de bain’, ‘Monsieur’, ‘L’appareil photo’, qui m’a fait découvrir le Japon parce que c’est à cause de ce succès que j’ai été invité, que les universités faisaient appel à moi, que les éditeurs m’invitaient à chaque sortie de nouveaux livres, que mes films sont sortis au Japon. Donc le succès de mes livres m’a fait mieux connaître le Japon. C’est un peu mystérieux ce succès au Japon mais il se trouve qu’il s’est répété en Chine. Et c’est également le cas en Corée. Mes livres sont très bien reçus en Asie. Une des explications c’est peut-être que je m’intéresse à des choses très quotidiennes mais qu’il y a même une dimension métaphysique, dimension philosophique, universelle. Et ce mélange-là, c’est peut-être une des choses qui peuvent expliquer mon succès en Asie. »

Quand vous écrivez, pensez- vous à ceux à qui vous allez adresser vos livres ? Vous adressez-vous à un public international ?

« Oui et non, c’est plus compliqué que ça. Il y a sans doute un lecteur idéal mais je ne le définis pas vraiment. Mais il est vrai en tout cas que ce n’est pas centré sur le lecteur français ou francophone. Je sais que mes livres sont traduits, ils ont toujours été traduits, à part le premier. Je m’adresse à un lecteur universel, qui n’est ni chinois, ni tchèque, ni français, ni américain, c’est un homme, un être humain. A propos de Beckett j’ai parlé d’une fraternité humaine. J’aimerais créer avec le lecteur une fraternité humaine qui n’a rien à voir avec la langue proprement dire, qui est au-delà de la langue. Il y a un caractère universel dans certains traits humains et c’est ça que j’essaie de créer avec le lecteur - une complicité humaine. »

Photo : Minuit
Vos voyages vous ont amené dans de nombreuses villes, Tokyo, Berlin, Rome, et aussi à Prague. Vous avez rapporté de votre première visite à Prague un mauvais souvenir que vous évoquez dans votre livre « Autoportrait (à l’étranger) ». Prague vous donne-t-elle toujours cette mauvaise impression ?

« Oui, d’une façon très impertinente le chapitre qui s’appelle ‘Prague’ commence par la phrase ‘Prague, n’en parlons pas’. Le chapitre consacré à Prague se passe presque entièrement dans la gare de Dresde, c’est-à-dire en route vers Prague. Oui, je dois dire que j’ai été déçu par Prague lors de mes premières visites. Et il se trouve que hier après-midi, lorsque je suis arrivé à Prague, on est parti du château pour descendre vers la ville et on a fait une promenade d’une demi-heure. Le soleil venait de se coucher, on est allé manger dans un excellent restaurant et puis on a remonté à pied et je n’ai jamais eu ce sentiment de calme, de beauté. J’ai découvert la beauté et le charme de Prague à 57 ans. J’étais beaucoup plus sévère avant. C’était une sorte de rendez-vous manqué avec Prague. Mais il se trouve qu’il y a ma traductrice tchèque Jovanka Šotolová qui a traduit tous mes livres depuis le début, qui a été présente à toutes les rencontres de Seneffe en Belgique où je travaille avec mes traducteurs, qui est devenue amie, qui a travaillé aussi au site Internet que je fais. Et c’est pour ça qu’on est à Prague aujourd’hui. Et finalement j’ai découvert la beauté de la ville. Il a fallu du temps mais c’est une vraie révélation. »


L'histoire du festival de Karlovy Vary

Caroline Moine,  photo : Archives de l'université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines
Pour ce bestov 2015, Pierre Meignan a quant à lui choisi de causer ciné. En 2015, le festival international du film de Karlovy Vary, le plus important événement du genre en Europe centrale, fêtait sa 50e édition. Un bon prétexte pour se pencher sur l’histoire de cette manifestation qui a accompagné tout au long de son existence les mouvements cinématographiques en Tchécoslovaquie puis en République tchèque, qu’il s’agisse de la prédominance dans les années 1950 du réalisme-socialiste dans le cinéma ou de l’apparition de la nouvelle vague du cinéma tchécoslovaque durant la décennie suivante. C’est ce qu’avait expliqué l’historienne de la culture Caroline Moine.

Après la Seconde Guerre mondiale, tout est à reconstruire en Europe et la machine culturelle ne constitue pas une exception. Dans ce contexte, on assiste à ce que Caroline Moine appelle la deuxième génération de la création de festivals artistiques en Europe. En Tchécoslovaquie, le festival international de musique du Printemps de Prague naît en mai 1946. Quelques mois plus tard, c’est au tour d’un festival international de cinéma de faire son apparition…

« La première édition du festival n’a en fait pas eu lieu à Karlovy Vary mais dans l’autre ville d’eau de Mariánské Lázně, qui n’est pas très éloignée. C’est en août 1946 que s’ouvre ce premier festival de cinéma qui est lancé par l’Etat tchécoslovaque après la Seconde Guerre mondiale. L’objectif premier de ce festival est de pouvoir faire connaître une production cinématographique qui vient d’être nationalisée. Il y a une dimension diplomatique assez forte dans cet événement qui se déroule non pas à Prague mais dans ces deux villes d’eau pour une raison assez pratique puisqu’elles ont été moins touchées par la guerre, l’occupation et le conflit. Il y a des hôtels, la possibilité d’organiser ces événements et d’accueillir des invités étrangers. »

Karlovy Vary en 1948
L’année 1948 est marquée par la prise de pouvoir des communistes et les années 1950 dans le cinéma sont des années de réalisme-socialiste. Comment cela s’exprime dans le festival de Karlovy Vary ?

« Le festival va devenir un outil dans la politique culturelle du nouveau régime et devenir une tribune, non plus uniquement du cinéma tchécoslovaque mais tout simplement du cinéma du bloc de l’Est - pour aller rapidement -, donc des cinématographies des pays d’Europe centrale et orientale. Le slogan va devenir « Pour un homme nouveau et un homme meilleur ». Malgré ce relatif contrôle idéologique de la part du régime, on a une volonté à travers Karlovy Vary de garder un forum, un lieu où interviennent des réalisateurs, où se rencontrent des acteurs ne venant pas uniquement des pays de l’Est. »

Un deuxième festival ouvre ses portes à l’est du rideau de Fer, celui de Moscou en 1959. Jusqu’en 1993, il sera organisé une année sur deux en alternance avec celui de Karlovy Vary. Malgré cette concurrence nouvelle, ce dernier garde sa vocation initiale. Avec la relative libéralisation des années 1960, il reste une plate-forme importante entre professionnels de l’industrie cinématographique du monde entier.

Jiří Menzel remporte la récompense suprême,  un Globe de cristal,  pour Un Eté capricieux,  photo: Československý filmový týdeník / ČT
C’est à cette époque qu’entre en scène une nouvelle génération de cinéastes tchécoslovaques, bien souvent formés à la FAMU, l’école de cinéma de Prague, créée également en 1946, et désireux de s’affranchir des codes du réalisme-socialiste. Ces jeunes réalisateurs se prénomment Věra Chytilová, Jan Němec, Miloš Forman, Jiří Menzel ou encore Evald Schorm, et les festivals de cinéma vont contribuer à leur légitimation et à leur affirmation…

« Dans ces années 1960, le cinéma tchécoslovaque, et c’est ce qui fait tout son intérêt, va être programmé au festival de Karlovy Vary mais aussi et surtout dans d’autres festivals, y compris à l’ouest du rideau de fer. La nouvelle vague tchécoslovaque, représentée par quelques grands réalisateurs, va être vue, pas simplement à Karlovy Vary. Ce sera au festival du film de Locarno ou à la Mostra de Venise que vont pouvoir être découverts ces jeunes réalisateurs qui vont proposer un autre cinéma et qui vont du coup proposer un regard différent au public de l’ouest sur la société tchécoslovaque et sur les sociétés à l’Est. »