Visas canadiens : « C’est une histoire dont on va parler longtemps »

Retour sur la décision des autorités canadiennes de réintroduire l’obligation de visas pour les ressortissants tchèques : une histoire dont on n’a pas fini de parler à Prague, et dont on parle aussi beaucoup à Ottawa. Manon Globensky est l’envoyée spéciale de Radio Canada à Prague :

« C’est une histoire dont on va parler longtemps, d’une part parce qu’il n’y a pas que la République tchèque qui est impliquée, il y a aussi le Mexique. Le Mexique est un important partenaire commercial pour le Canada et est aussi une destination touristique importante pour le Canada, comme le Canada l'est pour les Mexicains. Le nombre de visiteurs tchèques au Canada n’est peut-être pas aussi important mais la mesure a été perçue aussi négativement et elle fait jaser à Ottawa comme ici. Au Canada on essaie de comprendre pourquoi il y a autant de Tchèques qui demandent le statut de réfugié. »

Les politiciens tchèques critiquent Ottawa et parlent d’un politique d’asile ‘laxiste’ de la part des autorités canadiennes. Comment la critique a-t-elle été reçue à Ottawa ?

« Je ne sais pas si c’est en réponse à ça, mais le ministre canadien de l’Immigration Jason Kenney, au moment où il a annoncé la nouvelle exigeance de visa, a dit qu’il voulait revoir le système qui fait qu’on accorde ou pas le statut de réfugié au Canada. Il n’a pas admis qu’il était trop laxiste mais il a dit que des gens venaient au Canada et abusaient du système. Selon lui il faut trouver une façon de pouvoir aider ceux qui ont vraiment besoin d’aide et ne pas permettre aux ‘réfugiés économiques’ de profiter du système. Ce n’est pas la première fois qu’on entend un tel discours au Canada, mais c’est un discours qui peut aussi être très négatif par rapport aux demandeurs d’asile, parce que ce ne sont pas tous des migrants économiques. Il y a des gens qui ont vraiment des raisons de demander ce statut de réfugié. C’est une des choses qui sont intéressantes à voir ici sur le terrain, essayer de comprendre ce qui pousse ces gens qui font ces demandes d’asile au Canada. Est-ce que ce sont vraiment des raisons économiques ou est-ce qu’ils partent d’ici parce qu’ils se sentent persécutés ou ne sentent pas qu’ils sont à leur place ? »

Qu’en pensez vous de ce que vous avez pu voir et entendre ici ?

« Je pense que la réponse est très partagée. Le Canada lui-même démontre l’ambiguïté de la réponse puisqu’il donne ce statut de réfugiés à certains demandeurs en provenance de République tchèque. La population rom est la population la plus touchée par cet état de fait. Quand on parle aux Roms eux-mêmes, la réponse n’est pas uniforme. La moitié des gens à qui j’ai parlé m’ont dit qu’ils étaient à l’aise dans leur vie ici en RT et ne sentent pas nécessairement une discrimination, mais ils connaissent d’autres Roms de leur communauté qui ont été victimes de discrimination ou même de harcèlement ou de persécution. Les autres 50% vivent eux-mêmes cette réalité très dure et partiraient peut-être s’ils le pouvaient. Ce n’est pas unanime mais on entend ça. Une des personnes à qui je parlais me disait que c’est 80% de discrimination et 20% de raisons économiques qui font qu’on se déracine mais on ne se déracine pas aussi facilement que ça. C’est une décision difficile à prendre que le Canada vient de rendre encore plus difficile avec cette exigence de visa. »

Les Tchèques ont dit qu’ils allaient essayer de faire en sorte que l’Union européenne dans son ensemble impose des visas aux ressortissants canadiens comme mesure de réciprocité. Le craint-on au Canada ou sait-on que cette démarche n’a que peu de chances d’aboutir à Bruxelles?

« C’est sûr que ça serait un énorme problème pour le Canada parce qu’on parle de 27 pays et les Canadiens voyagent énormément. Ils ont des liens familiaux aussi avec la France, la Grande-Bretagne, l’Italie, la Grèce, le Portugal et l’Espagne aussi. Commencer à penser qu’il faudrait un visa pour tous ces pays-là serait difficile. Mais depuis que je suis arrivé, je n’ai pas l’impression que c’est une exigence du gouvernement tchèque, qui veut revenir au statu quo ante, à l’exemption de visas. C’est plus ce but qui est important qu’une mesure de réciprocité. En fait, cette procédure a apparemment été déclenchée parce que c’est la façon dont il faut faire les choses au niveau de la Commission européenne mais le résultat ne sera pas nécessairement l’imposition de visas pour les Canadiens en Europe. »

L’ambassade du Canada à Vienne,  photo: CTK
Il y a une chose qui a du mal à passer à Prague : le fait que l’ambassade du Canada n’a pas ouvert de service de visas, ce qui oblige les ressortissants tchèques qui veulent aller au Canada à se rendre jusqu’à Vienne pour faire la demande de visas…

« On entend beaucoup ça, c’est un énorme obstacle, même si les choses s’arrangent un peu puisqu’on peut faire les demandes par la poste. Mais le gouvernement tchèque indique son intention de continuer à demander au Canada que la section consulaire soit rouverte ici à Prague pour qu’au moins ce nouvel obstacle soit éliminé. Ici on se dit déterminé à obtenir que les procédures puissent se faire à Prague, pour ne pas ajouter l’odieux au difficile. »