Reproduire l’énergie des étoiles : le projet ITER en République tchèque

Pohled zevnitř reaktoru

Renaud Dejarnac est chercheur en sciences physiques, à l’Académie des Sciences de République tchèque. Il travaille, dans le cadre d’Euratom, sur un projet scientifique mondial.

Renaud Dejarnac, vous êtes chercheur en sciences physiques, vous travaillez à Prague pour l’Académie des sciences. Ce n’est pas forcément très commun de rencontrer un jeune chercheur français qui travaille pour la recherche tchèque. Comment êtes-vous arrivé à Prague ?

« Je suis venu après mes études. J’ai fait des études au centre du CEA (Commissariat à l’énergie atomique), à Cadarache, à côté d'Aix-en-Provence. A l’issue de ma thèse, je voulais continuer dans la recherche et j’avais des collègues qui avaient des collaborations avec une équipe tchèque, puisqu’on travaillait sur un projet européen. Je suis donc venu ici pour faire un post-doc. Et je suis ensuite resté ici. »

Quel était le sujet du post-doc, ou pouvez-vous nous expliquer ce sur quoi vous travaillez ?

« J’ai fait une thèse sur la physique des plasmas appliquée à la fusion thermonucléaire contrôlée. C’est en fait l’énergie qu’il y a dans les étoiles, ou dans notre soleil, et ce qu’on essaie de faire, c’est de la contrôler, pour pouvoir produire de l’énergie, de l’électricité. C’est une alternative à l’énergie nucléaire que l’on connaît, qui est polluante et qui utilise de l’uranium qui va disparaitre d’ici une centaine d’années. Donc des chercheurs, dans les années 1960, ont essayé de trouver une alternative pour produire de l’énergie en utilisant la fusion de l’hydrogène. C’est le même processus que ce qui se passe dans les étoiles. »

Pour créer quel type d’énergie ? De l’électricité pour les besoins domestiques ?

« Ce sera une alternative à l’énergie nucléaire. Mais c’est en fait une énergie nucléaire. Dans le nucléaire, il y a la fission d’uranium, et la fusion d’hydrogène. Tout le monde connaît la fission d’uranium. C’est ce qu’on utilise principalement, du moins en France, où 80 % de l’énergie nucléaire provient de centrales nucléaires de fission. Et là, on est en train de développer une énergie plus propre. Il n’y a pratiquement pas de radioactivité, et surtout avec une quantité de fuel qui est illimitée. Parce qu’on va faire de la fusion d’hydrogène, et l’hydrogène, on peut le trouver dans l’eau, par exemple, et on a besoin de quantités infiniment petites pour produire énormément d’énergie. Et ce serait donc pour produire des centrales qui produiront de l’électricité. »

Y a-t-il les mêmes dangers que l’énergie nucléaire telle qu’on la connaît aujourd’hui ?

« Non. Pour expliquer comment ça marche, on peut dire qu’on essaie de créer ces fusions de particules d’hydrogène dans des machines que l’on appelle tokamak, qui est un acronyme russe, qui veut dire chambre toroïdale à vide à confinement magnétique. C’est une grosse machine torique. Il n’y a pas de danger d’explosion parce que dans ces machines, on va créer un vide qui est à peu près un milliard de fois moindre que la pression atmosphérique. Et on a besoin de cette pression ou densité très faible pour pouvoir réaliser des réactions de fusion, parce que si la densité est trop élevée, ça ne va pas marcher. »

Vous travaillez dans le cadre du projet international ITER. De quoi s’agit-il ?

Photo: www.iter.org
« Le projet ITER est un projet qui a été initié en 1985 entre le bloc de l’Est et de l’Ouest, entre Reagan et Gorbatchev, pour avoir un projet commun, qui puisse apporter quelque chose à l’humanité, et produire un réacteur qui pourrait produire de l’énergie de façon illimitée. Pour diverses raisons, il a fallu attendre 30 ans pour voir ce projet ITER naître. Et il y a trois ans, un contrat a été signé entre sept grandes parties, qui sont les Etats-Unis, la Russie, l’Europe, le Japon, l’Inde, la Chine, et la Corée du sud. Et tous ces pays ont mis leurs efforts en commun pour créer un réacteur expérimental, qui marcherait avec l’énergie de fusion pour produire de l’électricité.

On arrive à créer des réactions de fusion, mais on ne produit pas encore d’électricité ; ce sera sur le long terme. Surtout, on est obligé de donner de l’énergie pour faire marcher ces machines, mais l’énergie que l’on a en retour, est inférieure à l’énergie qu’on a mise à l’intérieur. Donc pour prouver qu’on peut produire de l’électricité avec la fusion, il faut construire ce projet ITER, parce que ça dépend de la taille des machines. Les plus grosses machines qui existent actuellement dans le monde ne sont pas assez grandes pour produire de l’énergie. »

Quelle est la place de la République tchèque et de l’Académie des sciences dans ce projet mondial et européen ?

Le tokamak à Culham,  photo: www.fusion.org.uk
« Dans ce projet mondial, une des parties est l’Union européenne, qui est elle-même divisée en différentes associations de recherche sur la fusion, dans chaque pays. Elles sont regroupées sous le contrat Euratom de l’Union européenne. Et c’est un sujet qui n’est pas du tout secret, donc on partage toutes les informations, et on travaille main dans la main.

Le plus gros tokamak du monde est pour le moment une machine européenne qui est basée en Angleterre, à Culham, à côté d’Oxford. Et des équipes de tous les laboratoires européens qui sont sous le contrat Euratom vont faire des expériences là-bas et travaillent main dans la main. »

Y a-t-il un tokamak en République tchèque ?

« Oui, il y a un tokamak. Jusqu’en 2006, il y avait le plus vieux tokamak en activité du monde, qui provenait d’un des premiers tokamaks de Russie, parce que ce sont les Russes qui ont inventé le principe de la fusion par confinement magnétique avec ces machines. Les premières expériences ont eu lieu au milieu des années 1960, et les premiers tokamaks étaient vraiment des pièces de musée. Mais les Tchèques ont récupéré un de ces premiers tokamaks, en 1977. Ils l’ont fait tourner et fonctionner à Prague, à l’Académie des sciences. Il y a eu beaucoup d’améliorations sur la machine, ce n’était pas la même machine qu’avant, mais au bout de 30 ans, la machine est arrivée à ses limites, et les Tchèques se sont vus offrir une machine toute neuve, un tokamak très intéressant et performant, de Grande-Bretagne. Le projet a commencé en 2006, et on a fait l’inauguration et les premières expériences l’an dernier. Et là, on travaille dessus. C’était à l’époque un des plus grands projets scientifiques de la République tchèque. »

Vous parlez des premières expériences soviétiques dans ce domaine. Les chercheurs soviétiques avaient une bonne réputation, les recherches étaient très poussées. Vous êtes Français, vous travaillez en République tchèque. Quelle est la réputation de la recherche tchèque dans votre domaine, les sciences physiques ?

Photo: ec.europa.eu
« En sciences physiques, je ne peux pas trop me prononcer, mais dans mon domaine et vu de France, on connaissait les Tchèques parce qu’ils font partie d’Euratom et on travaillait ensemble. Ils avaient une très bonne réputation, très actif, très dynamique. Et j’ai pu le vérifier en étant ici. C’est très agréable de travailler ici parce qu’on est très libre et les choses vont vite. C’est donc très appréciable. On a une machine expérimentale qui est moderne et convoitée, et les Tchèques l’ont faite très flexible. C’est très facile de venir faire des expériences et on a ainsi beaucoup de collaborations avec d’autres pays. Et ça a toujours été ainsi.

Photo: Commission européenne
Un directeur de l’association Euratom qui s’occupe de la fusion était venu faire une conférence ici et il avait donné les chiffres de tous les flux de chercheurs entre les différentes associations. Normalement, les petites associations se tournent naturellement vers les plus grandes, comme l’Angleterre, l’Allemagne ou la France, avec des grosses machines. Donc les flux vont de ces petits pays vers les plus gros pour partager les expériences sur les grosses machines. Mais la République tchèque était la seule petite association qui avait un flux de chercheurs qui venaient en République tchèque plus important que celui des chercheurs tchèques allant faire des expériences dans les autres associations. Ce qui montre bien que c’est un pôle attractif pour la recherche. »