« Réalisons l’Europe » : des films documentaires réalisés par de jeunes collégiens (I)

« Réalisons l’Europe » : c’est le nom d’un projet mené par Vincent Moissenet, professeur de français au collège de Paron, en Bourgogne. En 2003, il réalise avec sa classe un premier film documentaire sur la première guerre mondiale, puis un second l’année suivante sur la résistance au nazisme. Ainsi, depuis presque dix ans, les adolescents de cet établissement bourguignon sont embarqués à la découverte de l’histoire européenne, en passant cette année par Prague. Vincent Moissenet est au micro de Radio Prague.

« Le projet de cet année s’inscrit dans le cadre d’une sorte de cycle de films documentaires que l’on a commencé il y a déjà sept ans. Ce cycle s’appelle ‘réalisons l’Europe’ parce qu’il a vocation à intéresser les jeunes Français mais pourquoi pas les jeunes Européens – si on arrive à traduire, ce n’est pas le cas pour l’instant – à l’histoire récente de l’Europe, surtout au XXe siècle. C’est une histoire qui nous permet de comprendre un peu d’où vient le projet de l’Union européenne, sachant que l’idée un peu folle était de terminer ce cycle par un travail sur la réalisation de cette Europe. Mais avant d’aborder cette histoire qui n’est pas forcément passionnante à première vue, de l’extérieur, quand on n’est pas entré dans l’origine qui a fait que des gens ont porté ce projet révolutionnaire, il fallait s’intéresser à l’histoire qui a précédé la construction de l’Union européenne. On s’est intéressé pour cela à la première guerre mondiale et à la seconde guerre mondiale et notamment à ce que nous avaient dit d’anciens déportés, que finalement l’Europe était née dans les camps de concentration, où ces résistants de multiple nationalités avaient été rassemblés. Ce sont des réflexions qui nous enrichissent sur l’histoire de l’Europe, et qui nous ont encouragés à poursuivre ce travail, à la fois historique, mais aussi sur la mémoire. Qu’est-ce qu’on doit garder, nous, citoyens et futurs citoyens de l’Europe, et nous qui enseignons ? Les adultes nous disent aussi qu’ils ont appris beaucoup de choses en voyant nos films. Ce sont des films qui sont adaptés pour les jeunes mais en même temps, c’est une vision qui permet de changer les connaissances. »

Le thème de cette année est la guerre froide. Vous êtes à Prague, puis vous irez en Pologne. Quel est le programme de ce séjour ?

« Nous étions déjà venus à Prague, il y a cinq ans, et notamment à Terezin, lorsqu’on avait travaillé sur les crimes contre l’humanité, et cette année nous revenons avec un projet spécifique sur tout ce qui s’est passé après la seconde guerre mondiale en prenant en compte évidemment cette division de l’Europe qui suit la deuxième guerre mondiale. Et nous venons à Prague en nous posant des questions très simples. Qu’est-ce qu’est devenue la Tchécoslovaquie avec la libération soviétique en 1945 jusqu’à ce qu’on a appelé la révolution de velours, en nous intéressant aussi à l’entrée dans l’Union européenne. Pour les Tchèques et les Slovaques, ça a été quelque chose d’important, et ça nous permet de mieux comprendre des aspects de la société en venant ici. Et nous nous intéressons aux grandes étapes de l’histoire tchécoslovaque, du communisme qui a imprégné la société pendant plusieurs décennies, et il y a aussi des évènements fondamentaux qui font que certaines personnes ont quitté ce pays et sont venus en France. C’est toujours cette mémoire partagée parce que l’on rencontre des gens en France ou ici. Tous nous parlent de cette histoire, qui a fait que parfois ils ont été obligés de partir, soit ils sont restés ici, pour mener un combat. On rencontre aussi des gens qui ont été favorables au communisme. On essaie de comprendre, sans avoir trop d’a priori. »

A chaque projet, vous réussissez à rencontrer des personnalités importantes, des historiens, écrivains, et des témoins. Y-a-t-il une interview qui vous a particulièrement marquée ?

« On a eu la chance grâce à l’aide de l’UE de faire un voyage de cinq jours à Berlin. On a fait des interviews avec des gens qui ont été très marqués par la période communiste. Celui qui me vient à l’esprit en premier est un monsieur qui a plus de 80 ans aujourd’hui, mais qui a été arrêté en 1945 à l’âge de 15 ans, parce qu’il était soupçonné de faire partie des jeunes nazis qui voulaient encore faire de la résistance. Ce monsieur, qui était tout à fait innocent, avait peut-être été dénoncé. Il est arrêté, interrogé à la méthode soviétique, enfermé dans une cellule dans le noir pendant plusieurs jours, torturé de différentes façons, à 15 ans, en pleine adolescence. Pour disons s’en débarrasser, il est interné en camp de concentration de Sachsenhausen, à 30 km au nord de Berlin. Il y reste pendant un an et demi, avec beaucoup d’autres jeunes, qui comme lui avaient été arrêtés, sans aucune preuve, sans jugement. C’est quelque chose qui est marquant, autant pour les jeunes que pour nous. C’est aussi la continuation de ce régime, un deuxième régime totalitaire que les Allemands vont connaître, qui utilise le camp de concentration en profitant des locaux en quelque sorte. C’est aussi cette perpétuation de l’utilisation du camp de concentration comme outil politique qui nous a intéressés. Et nous avons eu la chance que ce monsieur nous accompagne dans les cellules où il avait été emprisonné, dans une tristement célèbre prison de Berlin, utilisée ensuite par la Stasi. Et il nous a ensuite rejoins dans le camp de Sachsenhausen. Cela montre que ce projet tient à cœur aussi aux gens à qui l’on demande de nous donner un témoignage, parce qu’il trouve que le projet est original et parce qu’ils sont contents que ce soient des Français, parce qu’ils se disent que c’est une histoire européenne. »

A Prague, les collégiens de Vincent Moissenet ont rencontré l’ancien dissident Petr Uhl, qui partage l’opinion selon laquelle cette histoire doit être transmise à ces jeunes Européens. Petr Uhl :

« C’est important dans le sens où il faut bien sûr donner, redonner, transmettre les expériences aux autres. Et si ce sont les gens d’un autre pays, ce qui est le cas de la France, même si on est ensemble dans l’Union européenne, il est très important de se connaître en Europe parce que notre maison européenne est commune. Si des enfants qui ont quatorze ans, quinze ans s’intéressent, menés par leurs professeurs – et ils vont même en Pologne – c’est très important pour leur avenir, pour leur formation européenne. »

Deuxième partie de l’entretien avec Vincent Moissenet la semaine prochaine