Prague pendant la Première guerre mondiale: le brave soldat mais pas seulement

Prague

Entretien aujourd'hui avec Claire Morelon, qui travaille sur une thèse entre l'université de Birmingham et Sciences-Po sur Prague pendant la Première guerre mondiale.

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Bonjour Claire Morelon, vous avez décidé de vous lancer dans une thèse qui porte sur la ville de Prague pendant la première guerre mondiale. Pourquoi avoir décidé de choisir ce thème?

« C’est un peu un intérêt qui s’est un peu développé au cours des années, au départ pour la Tchéquie et l’histoire tchèque. J’ai fait des études d’histoire et je me suis vraiment passionnée pour la Première guerre mondiale en temps que sujet et j’ai réalisé que ça tombait bien parce qu’il n’y avait pas grand-chose sur la Première guerre mondiale en général, et dans les pays d’Europe centrale et orientale et plus précisément dans le cas tchèque il n’y avait pas grand-chose donc je me suis intéressé à ça. J’ai vu qu’il y avait toute une nouvelle historiographie qui s’intéresse aux problématiques des villes en guerre : comment une ville réagit en temps de guerre, comment les habitants vivent la guerre et donc ça m’intéressait beaucoup de m’intéresser à cette expérience quotidienne avec l’exemple de Prague qui n’avait pas était fait. »

Vous en êtes au tout début de cette thèse mais votre master, quand vous étiez encore à Sciences Po, portait déjà sur la première guerre mondiale et sur la deuxième ville tchèque, Brno. Est-ce que l’on pourrait commencer peut-être par parler des différences entre Brno la morave et Prague la bohémienne ?

« J’avais étudié Brno parce que je m’intéressais beaucoup aux problématiques des nationalités, des loyautés et de la complexité de ses allégeances ; parce que c’est une ville qui en 1910 a à peu près 60 % d’Allemands 40 % de Tchèques et en 1921 la ville s’est agrandie donc on se retrouve avec à peu près le pourcentage inverse de Tchèques et d’Allemands. A Prague cette problématique ne se retrouve pas tellement parce que c’est une ville beaucoup plus clairement tchèque, c’est la capitale tchèque au début du XXème déjà. »

Prague en 1911 | Photo: public domain
Je pense que c’est un recensement de 1910 dont vous parlez. On a cette image de Prague ville cosmopolite ou en tout cas ville où les communautés sont mélangées, mais la proportion de la population allemande est très inférieure selon ces chiffres…

« Oui elle est bien inférieure mais il faut bien préciser que l’on parle dont la langue d’usage est le tchèque ou l’allemand. »

Ce sont les termes du recensement de 1910 ?

« Exactement, ce sont les termes du recensement autrichien et j’insiste parce que ce n’est pas forcément un ressenti national très fort. On vous demande quelle est la langue que vous parlez tous les jours et vous répondez. Il y a énormément de bilinguisme à Prague et ce n’est pas forcément pris en compte par le recensement. Dans le recensement on coche juste une case tchèque ou allemand, il n’y a pas forcément le choix de mettre allemand et tchèque. Donc c’est un peu compliqué mais en terme de chiffre basique on a peu près 7% d’Allemands, de gens qui parlent allemand en 1910 à Prague. Ce sont des populations qui sont beaucoup au centre ville. Et évidemment comme c’était une population qui a donné des écrivains extraordinaires, c’est normal que l’on s’en souvienne d’autant plus que c’était une part importante de la vie culturelle praguoise de l’époque. »

Si vous parlez des écrivains on pense d’abord à Kafka, et c’est important aussi puisque dans ce recensement et de ces chiffres on ne sait pas vraiment qui était allemands ou qui parlait allemand quotidiennement, il y avait aussi la communauté juive…

« Oui, la communauté juive qui donc à Prague, et encore une fois ce n’est pas la même chose à Brno, constitue une bonne partie de la minorité allemande, un peu plus de la moitié d’après les chiffres qui j’ai vu. C’est vraiment le nerf de cette communauté culturelle allemande. Mais à Prague il y a encore une spécificité, en comparant encore avec Brno où la majorité des juifs sont allemands, ou parlent allemand, alors qu’il y a une communauté juive tchèque à Prague. Du coup les chiffres de la communauté juive ne recoupent pas complètement… Tout ça est complexe. »

C’est complexe et vous en êtes au début de vos travaux sur Prague… La vie quotidienne pendant la guerre, c’est ce qui vous intéresse en premier lieu, comment on vécu les gens pendant ces quatre ans du premier conflit mondial ?

« C’est cette idée là qui m’intéresse, c'est-à-dire de voir comment on s’est mobilisé pour le conflit puis contre le confit, contre la guerre, comment l’Etat autrichien a essayé de mobiliser la population de Prague pour l’effort de guerre, comment elle a échoué, comment les activistes nationaux, c'est-à-dire les leaders nationaux tchèques réussissent à dire que eux vont apporter une solution à tous les problèmes notamment les problèmes de vie quotidienne ; parce qu’à partir de 1918 on meurt de faim vraiment dans les rues de Prague. »

Où sont les sources pour votre travail ?

« Les archives nationales à Prague, notamment les archives de la police, pour voir les manifestations, qui va dans la rue et pourquoi. A Vienne je pense aller voir les archives de guerre,. Sinon je vais essayer de voir ce que les autorités militaires disent de la situation à Prague. Ensuite des fonds plus réduits, des fonds d’associations ou des fonds de théâtre aux archives municipales de Prague mais c’est un peu difficile d’accès donc je ne sais pas encore comment cela va s’articuler. Et puis la presse, même si elle était très censurée pendant la guerre, c’était toujours une source. Et les gens qui avaient laissé des mémoires sur la vie quotidienne à Prague pendant la guerre. »

Les archives de guerre à Vienne c’est pour vous l’occasion de trouver des documents sur le comportement soit de la hiérarchie militaire soit de l’Etat austro-hongrois envers la population tchèque, envers les militaires tchèques qui sont de plus en plus mal vu au fur et a mesure que la guerre se poursuit…

« Tout à fait. C’est ça qui est intéressant ; de voir la tension entre les autorités civiles et autorités militaires, vraiment au niveau de l’Autriche-Hongrie, entre des militaires qui sont très méfiants par rapport aux Tchèques de façon complètement général, c'est-à-dire que l’on considère que les Tchèques sont suspect à priori, et des autorités civiles qui sont beaucoup plus habituées, qui sont là depuis des années et qui essayent de mitiger cette répression. Il y a une répression très forte qui s’installe et qui est plus ou moins le fait des préjugés des militaires : on arrête systématiquement tous les professeurs et instituteurs tchèques et on les met en prison. »

Parce qu’ils enseignent l’histoire de la nation tchèque ?

« Voilà, mais ce sont des gens qui ont enseigné l’histoire de la nation tchèque pendant 20 ans et cela ne posait pas de problème avant mais tout d’un coup en temps de guerre on considère que l’idée nationale tchèque n’est plus acceptable. C’est un peu de la part de Vienne une façon de se tirer une balle dans le pied parce qu’en lançant cette répression contre les Tchèques ils rendent un peu impossible une loyauté à l’Etat austro hongrois. Ce que j’aimerais montrer c’est que cette aliénation par rapport à l’Etat autrichien est autant le fait de l’Etat autrichien que des leaders nationaux finalement. »

En citant vos futures sources, vous n’avez pas parlé du livre de référence auquel on peut penser en vous écoutant : Les aventures du brave soldat Chveïk…

« C’est sûr que j’ai beaucoup aimer lire Chveïk et je pense que ça reste très intéressant justement sur cette espèce de paranoïa des militaires. Je pense que c’est vraiment une satire de ce commandement militaire borné et plein de préjugé par rapport au Tchèque et qui sont ‘une bande de simulateurs’ et qui je pense que ça retranscrit bien cette façon un peu tchèque de prendre les choses avec humour. Je pense que dans les cabarets il y avait toutes sortes de pièces qui se moquaient de l’Etat de guerre et de la répression des Tchèques par l’Etat autrichien. Si j’arrive à trouver des sources là-dessus, ce serait une très bonne chose. »

Ce sujet est selon vous essentiel pour comprendre les relations entre Tchèques et Allemands pendant le XXe siècle ou la première moitié du XXe siècle ?

« Absolument, la première guerre mondiale est un peu une matrice du XXe siècle et je pense que ça a peut-être pas assez été exploré de voir quelle matrice elle a été pour ces pays d’Europe centrale et orientale. Clairement ; on avait un Etat qui était supra national en 1914 et puis pendant la guerre comme je viens de le dire les autorités autrichiennes se mettent à perdre un peu cette position supranationale en persécutant les Tchèques puis on a un état tchécoslovaque en 1918. Du coup la radicalisation de la population des deux cotés commence vraiment avec la première guerre mondiale et tout le reste qui suit, la montée des années 1930 et puis l’expulsion des allemands en 1945 ; on peut trouver des racines dans ce qui s’est passé pendant le premier conflit. »