Naděje : bientôt 25 ans dans la rue…

Photo : Kristýna Maková

Cela fait bientôt vingt-cinq ans que Naděje est dans la rue, à se battre contre la faim, le froid et, parfois, l’indifférence des gens. Créée à en 1990 peu après la fin du communisme, Naděje (qui signifie « espoir » en tchèque) est la première association à s’être intéressée au sort des sans-abris. Elle est aujourd’hui la plus grande organisation en République tchèque à s’occuper de ce problème de société. Selon le ministère du Travail et des Affaires sociales, le pays compterait à ce jour 30 000 personnes sans toit, tandis que 100 000 seraient menacés de le perdre. Naděje tente de leur apporter de l’espoir et des solutions adaptées.

Photo : Archives de Naděje
« Nous avons commencé Naděje avec ma femme. Elle était professeure et moi je travaillais comme polygraphe dans l’imprimerie. Puis il y a eu la Révolution, l’ouverture de nouvelles possibilités, et on s’est demandé ce qu’on allait faire d'utile. »

Ilja Hradecký, fondateur de Naděje :

« Tout d’un coup, de nombreux refugiés sont arrivés en République tchèque : nous avons donc décidé de les aider, et assez rapidement nous avons cherché à professionnaliser notre action et à fonder une association. »

Photo : ČT24
« Nous avons commencé avec notre argent personnel, nous achetions de la nourriture, qu’on apportait ensuite à la gare. Au début, c’était pour les réfugiés, puis peu à peu les sans-abris sont venus vers nous. On n’aurait jamais pu imaginer un tel développement de l’association, c’était au-delà de nos espérances. »

« Aujourd’hui, nous sommes présents aux quatre coins de la République tchèque. Nous avons vingt-quatre centres, de la frontière avec l’Allemagne jusqu’à celle avec la Slovaquie. »

Et s’il est juste de louer le prix de tant d’efforts, ce résultat n’est que la réussite d’un échec : en effet, selon les rapports du gouvernement, plus de 30 000 personnes vivraient dans la rue en République tchèque et 100 000 environ seraient menacés de perdre leur logement. Un phénomène social d’autant plus préoccupant qu’il frappe de manière croissante les personnes âgées de plus de 60 ans. Quand ils sont incapables de payer leur loyer à cause d’une pension insuffisante, les retraités sont parfois condamnés à retrouver dans la rue leurs compagnons d’infortune : d’anciens prisonniers, des handicapés, mais aussi des divorcés et des chômeurs. Autre constat relevé dans le supplément du journal Lidové noviny : les jeunes parmi les SDF représenteraient un cinquième des cas. Enfin depuis quelques années, à la demande de la ville de Prague, Naděje a également ouvert un centre d’accueil pour la communauté rom.

Photo : Kristýna Maková
« À Prague, nous travaillons avec des individus, non des familles. Les familles sont prises en charge par d’autres associations. Notre travail se divise en plusieurs types d’actions : il y a le travail de terrain, dans la rue ; des travailleurs sociaux font des tours dans la ville et invitent les sans-abris à venir dans nos centres. Dans les centres de jour, les personnes dans le besoin ont tout d’abord la possibilité de se laver, puis de recevoir un repas et également de changer leurs habits. Un accompagnement social est aussi prévu pour ceux qui le souhaitent. Il y a des cabinets médicaux et des psychologues. »

Ilja Hradecký,  photo : ČT24
En dehors de ces services de base que les équipes de jours prodiguent au quotidien, Naděje a ouvert, grâce au soutien de la ville de Prague, des centres de nuit. Ainsi, environ 800 lits sont mis à disposition tout au long de l’année, des foyers ou stands chauffés que les personnes doivent quitter le matin venu. Ilja Hradecký poursuit :

« Il y a deux semaines nous avons ouvert le foyer d’hiver, ce qui élargit nos capacités d’hébergement. Cela fait plusieurs années qu’il tourne. Il reste ouvert pendant trois mois et accueille en général les personnes qui ne souhaitent pas d’autres services qu’un endroit où passer la nuit. Autrement, il existe des maisons spéciales où il est possible de rester plusieurs mois, voire un an ou plus. Des travailleurs sociaux s’occupent d’accompagner certains SDF dans la recherche d’un emploi. Ils sont là pour conseiller, pour trouver avec eux un emploi, un logement, etc. »

Photo illustrative : Radio Prague
Car pour Naděje comme pour la ville de Prague et les autres associations concernées par le problème des sans-abris, le défi demeure de les aider à retrouver des conditions de vie décente avec un maximum d’autonomie. Or, le chemin de l’emploi est plus que jamais semé d’embûches pour ces personnes qui, comme Ilja Hradecký en témoigne à juste titre, ne sont généralement pas très en forme et n’ont surtout pas eu de rapport d’égal à égal depuis des années. C’est pourquoi l’association a développé un programme de réinsertion et s’est par ailleurs rapprochée d’initiatives offrant un emploi à ces laissés-pour-compte. Les cimetières de Prague recrutent par exemple depuis un an et demi ceux qui le souhaitent pour des travaux de jardinage. Aleš Strnad, responsable des programmes de terrain à Naděje, précise :

Aleš Strnad,  photo : Archives de Naděje
« Grâce à cet emploi, les sans-abris reprennent l’habitude de travailler et perçoivent un salaire qui leur permet de payer un loyer et d’acheter des affaires personnelles. »

Enfin, pour les personnes âgées, Naděje a également adapté ses services et ouvert un foyer spécial pour les sans-abris de 70 ans et plus. Ils y restent en général jusqu’à la fin de leur vie. À ce jour, l’association compte vingt-quatre centres en République tchèque. En 2010, le seul centre de jour de la gare centrale à Prague a coûté 11 millions de couronnes (400 000 euros) en frais de fonctionnement. Ilja Hradecký explique :

« Financièrement, c’est un gros problème, car le système public de financement des services sociaux en République tchèque n’est pas encore organisé. Durant ces vingt-quatre dernières années, nous avons fait avec. Nous recevons quelques subventions de l’État et de la ville, mais ce n’est pas suffisant. Donc nous sommes très reconnaissants pour toute générosité de la part des gens ou d’entreprises. Les banques alimentaires nous fournissent de la nourriture gratuitement. Elles reçoivent elles-mêmes gratuitement ces produits de producteurs et distributeurs, et c’est une très grande aide pour nous. Les vêtements sont souvent apportés par les gens. Mais ce qui est très important, c’est de pouvoir payer nos employés. Parce que malheureusement dans ce pays, le travail social n’a pas de prestige et très peu de reconnaissance. C’est très mal payé. »

Photo : Archives de Naděje
Les médecins, psychologues et travailleurs sociaux dont l’association a besoin pour assurer une continuité dans la qualité de ses services manquent, malheureusement, non par faute de motivation mais pour une raison toute simple et compréhensible. Ilja Hradecký :

« Les salaires que nous sommes en mesure d’offrir à nos employés sont en deçà de la moyenne. Ils font du très bon travail, mais certains d’entre eux, notamment parce qu’ils ont des enfants, décident de quitter Naděje pour un poste mieux payé et plus sécurisé. Pour nous, c’est un très gros problème. »

Photo : Archives de Naděje
Quant à nous, comment pouvons-nous, à notre tour et à notre échelle, aider les sans-abris ? Sur ce point, Ilja Hradecký suggère :

« Apporter une aide de manière directe, c’est difficile, parce qu’en général, il n’est pas garanti que l’argent que vous donnez aux sans-abris servira à acheter de la nourriture. Ce que je recommande donc, quand vous rencontrez une personne dans la rue, c’est plutôt de l’accompagner vers un centre de Naděje ou d’une autre association. Et si vous souhaitez apporter une aide financière, donnez-la plutôt à une association qui s’occupe de leur venir en aide. »

À l’occasion des fêtes de fin d’année, Naděje organise un réveillon de Noël dans certains de ses centres. Ilja Hradecký :



Photo : Archives de Naděje
« Il y a un repas qui est servi, nous chantons des chants de Noël et nous offrons des petits cadeaux. Ces cadeaux sont en général des vêtements chauds comme des gants, des bonnets et des chaussettes chaudes ou quelque chose à manger comme des fruits. Les fruits sont en effet ce dont les sans-abris ont le plus besoin. Ils manquent terriblement de vitamines. Quand ils achètent quelque chose en général c’est de la viande et du pain, mais rarement des fruits. »

Une occasion de penser à offrir ce qui apparaît pour nous superflu et qui peut être pour d’autres essentiel.