Michel Fleischmann, de Prague à Paris et de Paris à Prague

Michel Fleischmann
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Rencontre aujourd'hui avec un homme qui a passé une moitié de sa vie en France, et l'autre en République tchèque. Michel Fleischmann, fils de l'écrivain-diplomate Ivo Fleischmann, né à Prague en 1952, est parti à Paris avec sa famille en 1964. Après vingt-cinq ans passés en France, il est retourné dans son pays de naissance après la chute du communisme. Il est aujourd'hui à la tête d'une régie publicitaire et de deux stations de radio privées tchèques, Evropa 2 et Frekvence 1 - filiales du groupe français Lagardère.

Ivo Fleischmann, votre père, recevait à Prague de nombreux artistes et écrivains. Quels souvenirs gardez-vous de cette période ?

« Effectivement, mon père était poète, écrivain tchèque, ensuite écrivain français, et entre temps diplomate de la République tchécoslovaque en France. Il etait conseiller culturel à l'ambassade. Aussi bien que je me souvienne, à Prague-Vrsovice, je me souviens des visites d'écrivains français, puisque mon père s'est spécialisé sur la France et parlait le français, ainsi que ma mère. Et donc chez nous venaient des écrivains : ça passe par Louis Aragon et Elsa Triolet, mais aussi d'autres écrivains, comme Pablo Neruda, Yves Montand, Simone Signoret - ils sont tous écrivains quand même, Simone Signoret a écrit des romans si je me souviens bien. Et donc c'était ce monde-là, disons de la gauche occidentale. Moi j'étais enfant ici à Prague, donc j'écoutais de loin et je voyais ces gens passer. Cela dit, plus tard, lorsque mon père a été nommé à nouveau à Paris, on continuait à rencontrer ces gens-là, dont Vercors et toujours ce monde-là. Mon père juste après la guerre, avait déjà été attaché culturel de l'ambassade tchécoslovaque à Paris. C'est là qu'il a rencontré et fait connaissance avec ce monde d'intellectuels et de créateurs français comme Tristan Tzara ou Jean-Paul Sartre. »

En 1964, votre père est donc à nouveau nommé à Paris. Vous aviez un peu plus de dix ans à l'époque, quels souvenirs avez-vous de cette arrivée en france ?

Ivo Fleischmann,  photo: CTK
« Difficile, pour la simple raison que je ne parlais pas un mot de français. Mes parents m'ont 'lâché' dans un collège du XVe arrondissement. Donc j'ai dû me débrouiller. J'ai appris très vite le français et après ça allait mieux. Mon père a essayé dans les années soixante de renouer les relations qu'il avait après la Libération, et d'expliquer à la France que la République tchécoslovaque, bien que communiste, prenait le chemin d'une certaine libéralisation, telle qu'elle était un tout petit peu inscrite dans l'histoire de l'époque, qui a abouti à 1968 et au "socialisme à visage humain" d'Alexander Dubcek. Ca n'a duré qu'un petit moment...»

Ce mouvement a été écrasé par les troupes du Pacte de Varsovie. Vous étiez en vacances à ce moment-là en Tchécoslovaquie et avez dû rentrer en France tout seul. Cela a dû être un peu compliqué ?

Août 1968
« En août 1968, j'étais ici à Prague, plus précisément au nord de la Bohême. Rentrer du nord de la Bohême à la capitale n'était déjà pas évident. C'est mon oncle qui est venu me chercher et m'a déposé à la gare de Smichov, où j'ai pris un train jusqu'à la frontière. Arrivé à la frontière germano-tchèque, ils m'ont laissé passer, même si je n'avais pas de visa. Ce qui était plus difficile, c'était de passer la frontière germano-française, où on comprenait moins la situation. Dans le train, j'ai rencontré des jeunes de mon âge et me suis "intégré" parmi eux. Lorsque les douaniers sont arrivés, nous avons tous ensemble crié que le moniteur avait nos passeports et nos billets, et ils n'ont pas compté combien il y avait de gens dans le compartiment. C'est comme ça que j'ai passé la frontière... »

Votre père a été le premier diplomate à faire une demande d'asile politique en 1968. Est-ce qu'à cette époque votre famille pensait que la période de "normalisation" pourrait durer aussi longtemps ?

« Je pense que la seule idée de cette demande d'asile politique comme premier diplomate de la Tchécoslovaquie était avant tout d'essayer de dire qu'en Tchécoslovaquie, quelquechose avait été écrasé. Que ce n'avait pas seulement un côté politique mais aussi un côté culturel - mon père était beaucoup plus un homme de culture qu'un homme politique. Il voulait mettre point sur les i et dire déjà à l'époque que c'était un pays européen qui était écrasé et qu'il fallait bien en prendre conscience. »

A quand remonte votre premier séjour à Prague après la Révolution de velours ?

Novembre 1989
« Je travaillais à l'époque pour France Culture et ai été envoyé début décembre 1989 à Prague pour faire un reportage sur le thème du "retour au pays". Donc, j'avais un petit magnéto et j'ai enregistré mes premiers pas, après 20 ans, pour un petit peu donner une image de ce qui se passait dans ce pays. »

C'est ce premier voyage qui vous a donné envie de revenir habiter en Tchécoslovaquie ?

« Je ne me posais pas le problème de savoir si je devais rentrer ou pas. Je voyais seulement la possibilité de retrouver enfin une certaine enfance ou une adolescence perdue, et la question de rentrer ne se posait pas. C'est seulement après, lorsqu'on m'a proposé de venir à Prague et créer une radio que j'ai vraiment réalisé la chance que j'avais de pouvoir créer une station dans un pays où ce secteur des radios privées musicales n'existait pas. J'ai pris la décision de revenir ici, mais pour faire ce travail plus que pour quitter la France. Je vis toujours entre les deux pays. »