Marie-José Růžičková : « Moi, j’improvise dans la peinture, mon mari improvise dans la musique » (2e partie)

'La comète', photo: victoire, rajče.net

Après une première partie la semaine dernière, nous vous proposons la suite de l’entretien réalisé avec la peintre Marie-José Růžičková. Née à Monaco, Marie-Jo se marie au début des années 1980 avec un Tchèque, le musicien de jazz, Karel Růžička. Elle décide de le suivre derrière le rideau de fer. Au micro de Radio Prague, Marie-Jo Růžičková nous livre son témoignage ou du moins un fragment de ce qu’a été sa vie artistique, influencée en grande partie par la musique.

Marie-José Růžičková,  photo: victoire,  rajče.net
Trente ans après votre première venue, et avec le recul, comment les Tchèques vous ont-ils accueillie, et est-ce que cet accueil a changé avec le temps ?

Disons qu’au départ, on vous regarde avec méfiance, hormis l’entourage familial et les amis musiciens, peintres, le cercle culturel de mon mari. Là, j’ai été très bien accueillie et adoptée. Les gens vous regardent d’une drôle de façon, parce que vous ne parlez pas la langue. Ils ne savaient pas si vous étiez touriste ou non, donc il fallait les apprivoiser. A l’époque, les gens achetaient n’importe quoi dans les magasins. Du moment qu’il y avait quelque chose, ils achetaient. Moi j’arrivais, je triais. Je disais : non ceci ne me plaît pas, cette tomate, elle n’est pas belle. Je choisissais, alors on me regardait en pensant : comment pouvais-je me permettre de choisir. Le prix est le même, donc je veux de la bonne marchandise. Une fois, le marchand de légumes m’a dit : « Non, non, les pommes de terre ne les achetez pas. Venez dimanche. » Mon mari m’a dit : « Dimanche, tu parles. » Je lui ai répondu : « Tu vas voir ». Dimanche, on y est allé, et quand le vendeur m’a vu arriver, il m’a dit : « Regardez, elles sont belles les pommes de terres. » Donc il suffisait d’arriver à établir une certaine communication.

'La comète',  photo: victoire,  rajče.net
À l’époque, le lait était vendu dans des sacs plastiques. En bleu, c’était le lait entier et en rouge le « polotučný », le lait demi-écrémé. Vous l’achetiez, vous le faisiez bouillir et il caillait. Je le ramenais alors, en disant que je ne voulais pas de lait caillé. On m’a dit un jour : « Vous êtes la seule ». Ce à quoi j’ai répondu : « Et je serai la seule. Mettez-le dans le frigo, ne le laissez pas dehors. » On me regardait alors comme si j’arrivais d’une planète inconnue. Mais, les fois d’après, j’arrivais et je ne voyais plus le lait dehors, il était rangé au frigo. C’étaient des petites choses, mais ils n’y pensaient pas, ou alors ils s’en foutaient. Si des gens le leur faisaient remarquer, peut-être alors ils finissaient par se rendre compte de ce qu’on leur avait dit. Et peut-être que cela a amélioré un petit peu la qualité de vie.

Vous trouvez que la mentalité des Tchèques a évolué depuis ? De quelle façon ?

'La comète',  photo: victoire,  rajče.net
La mentalité n’a pas encore assez évolué. Après la Révolution, je dirais que les Tchèques ont fait leur crise d’adolescence, comme on dit. Mais, ils n’en sont pas encore tout à fait sortis. Ils se cherchent. Il y a trop de questions et pas suffisamment de vie continue, ni de politique continue. Ça change tout le temps. On ne sait plus à qui donner sa confiance. C’est perturbant. Et le Tchèque n’est pas habitué à prendre sa vie en main. On dit prendre le taureau par les cornes. Il a toujours été habitué à subir et réussir à faire comme s’il n’y avait rien de gênant, à ignorer, ce qui est une chose extraordinaire. Ils attendent que quelqu’un d’autre trouve la solution ou que le problème se résolve tout seul. C’est rare qu’ils disent « Allez, ça suffit ». On a vu, dans l’histoire, quand ils se mettent en colère, ils jettent des gens par la fenêtre [la Défénestration de Prague, ndlr]. C’est le seul pays où il y a eu ce que l’on appelle la Révolution de velours. Et encore parfois on se demande comment elle a eu lieu : grâce aux étudiants. Mais ça va venir.
'Noe',  photo: victoire,  rajče.net
La nouvelle génération, c'est-à-dire les enfants de la génération qui a fait la révolution, eux, ont la possibilité d’aller faire des stages à l’étranger, d’aller étudier et travailler à l’étranger. Et cela change quand même la façon de raisonner. Je pense qu’ici il y avait un potentiel d’intelligence, de création du point de vue technique, qui était extraordinaire. Ce potentiel existe toujours, mais il faut lui laisser le temps de renaître. La nouvelle génération, elle pense. Des jeunes sont en train d’étudier, ont des idées et arrivent à inventer des choses extraordinaires. Ce potentiel, dans le passé, a été muselé. Mais ça recommence, je suis sûre que ça va repartir.

S’il y a un souvenir des plus marquants que vous gardez de vos débuts, lequel ce serait ?

'Presto ma non troppo',  photo: victoire,  rajče.net
Les files d’attente dans la rue. On voyait une queue et on se disait « Vite, vite, vite ». Les gens avaient plusieurs sacs plastiques avec eux. Et quand il y avait une queue, on y allait. On ne savait pas ce qu’il y avait, mais on y allait. Parce que cela voulait dire qu’il y avait quelque chose qu’on n’avait pas l’habitude d’avoir. Ça pouvait être des tomates, ça pouvait être une pastèque, ça pouvait être des oignons. Ça quand même, c’était étonnant.

Trente ans plus tard, vous sentez-vous plus Tchèque, Française ou Tchéco-Française ?

Je me sens Tchèque. J’ai demandé la nationalité tchèque après la Révolution. Quand je suis ici, je suis Tchèque. Je parle tchèque aussi, pas parfaitement, mais ça va. Et quand je suis en France, je suis Française, c’est comme ça.

Où vous sentez-vous le plus chez vous ?

Je me sens très bien ici. Je ne peux pas en dire autant à Monaco, ça a trop changé. Le Monaco de mon enfance, de ma jeunesse, celui que j’ai connu, n’existe plus. C’est un Monaco moderne, style Amérique ou Chine moderne actuelle. Donc pour moi c’est quelque chose de complètement étranger. Par contre, j’ai besoin des vieilles pierres. Donc ici je me sens bien. Il y a même des mouettes. Il y a un autre parfum que celui de la mer, mais il y a des mouettes. Ça m’avait étonné d’ailleurs.

En quoi être venue à Prague a été bénéfique pour vous, du point de vue artistique ?

'Pont Charles',  photo: victoire,  rajče.net
Il m’a fallu trois ans pour que je commence à dessiner Prague. Je me disais : c’est trop beau, c’est trop extraordinaire, et je ne pouvais pas. Après je me suis dit : « Zut, j’ai envie de faire quelque chose, ce sera comme ce sera, mais ça viendra de moi. Et je pense que Prague me pardonnera, si cela ne lui plaît pas.

Pouvez-vous présenter rapidement ce que vous peignez ?

'Le petit ange',  photo: victoire,  rajče.net
Lorsque je vois un endroit qui me plaît, je commence à faire un petit croquis. Mais le plus souvent, je peins dans les clubs de jazz, parce que je suis mon mari. Cela vient donc de l’inspiration musicale. La véritable inspiration ne vient pas à chaque fois bien sûr, mais il y a parfois des motifs intéressants. Parfois, il y a un motif qui illustre une composition de mon mari, et ça donne lieu à la couverture de son prochain CD. Disons que j’ai toujours été inspirée par la musique. Après, il y a d’autre choses auxquelles je pense et que je dessine. Prague, c’est incroyable : vous vous placez à n’importe quel endroit, vous regardez et ça vous donne une dizaine de tableaux. Vous pouvez toujours faire un croquis, mais ce ne sera jamais la même chose. C’est extraordinaire.

Pouvez-vous nous présenter un peu votre mari ?

Karel Růžička,  photo: ČT
Mon mari un musicien avec un grand M. C’est un pédagogue, parce qu’il enseigne au conservatoire Jaroslav Ježek. C’est un compositeur, parce qu’il compose aussi bien du jazz que de la musique contemporaine, ainsi que de la musique sacrée, il a fait une messe jazz, un Te Deum, un Magnificat et il a un Requiem en commande. Il a composé d’autres pièces, pour quatuor à cordes notamment. Mais il adore improviser. Moi j’improvise dans la peinture et en cuisine et mon mari improvise en musique. Nous sommes deux improvisateurs.