"Le fait que la République tchèque soit relativement épargnée par le nationalisme est le résultat paradoxal de notre récente histoire"

Nouveau gouvernement, photo: CTK

Depuis le début de la semaine, le pays a donc enfin un nouveau gouvernement, trois mois après les élections législatives. Un gouvernement qui pourrait bien ne tenir que quelques semaines, voire quelques mois selon les pronostics, avant l'organisation de nouvelles élections. Que peut-on retenir de ces trois derniers mois, des difficiles négociations et des multiples revirements de situation ? C'est la première question que Radio Prague a posé au sociologue Jan Keller, professeur à l'université d'Ostrava:

Martin Bursik,  photo: CTK
« La politique tchèque se trouve pour le moment dans une impasse. Elle est devenue une querelle personnelle entre les chefs de partis. Les programmes politiques ont été abandonnés et toute la lutte se déroule au niveau des animosités personnelles. Par exemple, l'ex-premier ministre et chef des sociaux-démocrates Jiri Paroubek est l'ennemi juré du chef du parti vert Martin Bursik : c'est la raison pour laquelle on ne peut pas compter sur la coopération entre les sociaux-démocrates et les écologistes, bien que leurs programmes soient - on le voit au niveau européen - plutôt à gauche. En bref, les trois derniers mois nous ont appris que l'élite politique en RT ne se comporte pas de manière rationnelle et qu'elle met l'accent sur les ambitions personnelles voire les faiblesses émotionnelles, en négligeant l'intérêt public. »

Cela vous a-t-il surpris ?

Jiri Paroubek,  photo: CTK
« Ce qui m'a surpris le plus, c'est un certain aveuglement de la part de la classe politique dans son ensemble. On sait bien depuis Alexis de Tocqueville qu'une des causes principales de la révolution française était le clivage entre les privilèges de la noblesse d'une part et son inutilité du point de vue de l'administration du pays. Il ne faut pas avoir peur que l'histoire puisse se répéter chez nous, mais en tout cas la classe politique tchèque est déjà privilégiée voire anoblie dans une mesure comparable avec les privilèges de l'élite communiste sous notre ancien régime. Les événements des mois derniers ont montré que la responsabilité de l'élite politique contemporaine commence elle-aussi à être comparable à celle de l'ancien régime. C'est une grande surprise, surtout pour ceux qui n'aiment pas la théorie de Vilfredo Pareto sur la circulation des élites. »

Qu'est-ce que cette crise peut avoir comme influence sur les électeurs tchèques ?

« L'influence, nous allons la voir sans doute lors des prochaines élections. La majorité silencieuse peut s'amplifier encore davantage que jusqu'à présent. Lors des élections sénatoriales, seulement 20% des électeurs continuent à voter et pour la plupart d'entre eux le Sénat est une institution sans raison d'être. On peut craindre que la méfiance vis-à-vis des institutions politiques puisse être contagieuse. Ce serait bien sûr le produit le plus dangereux de la situation actuelle. »

Qu'est-ce qui selon vous explique que dans le contexte actuel centre-européen la République tchèque soit relativement épargnée par la montée du nationalisme et du populisme, comme en Pologne et en Slovaquie par exemple ?

« Heureusement, nous sommes épargnés par le danger du nationalisme, en comparaison avec nos voisins les plus proches. A mon avis, c'est le résultat paradoxal de notre histoire proche. On a expulsé les minorités ethniques de notre pays et créé une société presque homogène au niveau national. Si notre société était hétérogène comme la société française par exemple, ce serait une épreuve assez grave pour notre capacité de tolérance et personnellement je n'ose pas en présager le résultat... Quant au populisme, la situation est encore moins claire. Surtout dans la politique du parti de droite (ODS) qui a gagné les élections, il y a beaucoup de populisme. Ils ont promis aux électeurs de diminuer les impôts et en même temps d'augmenter les retraites par exemple. Ils ont promis de relever les salaires dans le secteur public et même dans le secteur privé, bien que le gouvernement ne puisse pas influencer le comportement des entreprises privées. Alors on ne peut pas dire que notre société soit épargnée par le populisme. »

Une autre particularité de la République tchèque, c'est l'importance de ce parti communiste non réformé qui récolte encore beaucoup de voix. Quelle est l'avenir de ce parti ?

« Le destin du parti communiste dépend à mon avis entièrement de la politique du parti social-démocrate (CSSD). Si le CSSD se met à pratiquer la cohabitation avec le parti de droite ODS, beaucoup d'électeurs en seront touchés et recommenceront à voter communiste. Leur soutien pourra alors à mon avis dépasser 20%. En revanche, si le CSSD se radicalise pour la défense de l'Etat-providence, l'électorat des communistes en sera sensiblement affaibli. Les communistes ne sont pas en voie de dépérissement. On ne peut pas oublier qu'ils représentent toujours plus d'électeurs que les deux petits partis qui voulaient participer au gouvernement. Alors je suppose que dans les années à venir, sociaux-démocrates et communistes vont créer une forme de coopération, parce que le sauvetage de l'Etat-providence est un défi plus actuel que le passé parfois assez sombre du parti communiste. »

Le maintien de ce parti communiste constitue-t-il un problème pour la République tchèque ?

« Oui, parce que cette impasse dont je parlais au début est en grande partie causée par la survie de ce parti communiste. »