L'avenir de la Terre selon un sociologue et un biologiste tchèques

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« La fin du monde approche ». « Des catastrophes d'une ampleur encore jamais atteinte menacent l'Europe ». Ou encore, « Il ne reste plus qu'une à deux générations pour sauver le monde ». Le très sérieux quotidien tchèque Lidové noviny serait-il en mal de sensations ? C'est ce que pourraient laisser à penser les gros titres d'entretiens et d'articles récemment publiés par l'un des journaux les plus lus dans le pays. Pourtant, si les formules choisies sont choquantes, elles résument fidèlement la réflexion de Jan Keller et Josef Rusek, deux ardents défenseurs tchèques de la cause écologique. Présentation du raisonnement très réaliste de ces deux scientifiques...

Bien que Jan Keller et Josef Rusek soient l'un comme l'autre deux penseurs écologistes influents et convaincus, leur mode de pensée et leur manière d'appréhender la cause écologique sont pourtant opposés. Le premier, Jan Keller, est peut-être le sociologue tchèque le plus connu, mais aussi le plus controversé. Professeur à l'université d'Ostrava, en Moravie du nord, l'homme aux cheveux longs aime provoquer la controverse. Un domaine dans lequel il excelle même d'ailleurs parfois. A l'image de l'entretien qu'il a récemment accordé au journal Lidové noviny. Opposant farouche aux processus de consommation et de globalisation, qu'il considère comme des moyens de suicide collectif, mais aussi apôtre de l'apocalypse, Jan Keller n'a donc pas hésité à annoncer la prochaine fin du monde.

Josef Rusek, quant à lui, fait partie de cette poignée de scientifiques tchèques qui, chacun dans leur domaine, sont régulièrement cités dans le milieu très fermé de la recherche scientifique. Un de ceux pour qui les recherches assurent une reconnaissance et une écoute dépassant les frontières de la République tchèque. Surtout, c'est un éminent biologiste de terrain, qui travaille depuis plus de vingt ans à l'Institut de la biologie de terrain à Ceské Budejovice, en Bohême du sud. Le vice-président du Comité national tchèque des changements globaux et le président du Comité pour les questions de l'environnement s'est notamment penché sur l'influence des inondations du mois d'août dernier sur les organismes végétaux et sur la terre. Lui aussi s'est confié à Lidové noviny. Et lui aussi met en garde face aux catastrophes naturelles qui menacent l'homme si celui-ci ne prend pas très vite conscience des limites et des lois de la nature.

D'après le sociologue Jan Keller, les besoins de consommation actuels de l'homme sont trop importants. La multiplication des catastrophes ne serait donc plus qu'une question de temps. Mais afin d'empêcher que l'humanité ne vive la dernière étape de son histoire, il existe encore, selon Keller, trois solutions pour faire face aux catastrophes écologiques. La première serait d'inventer une technique qui permettrait d'économiser les ressources naturelles tout en parvenant à une production avec un rendement plus effectif. La deuxième, urgente, affirme le sociologue, consisterait à intervenir dans le mécanisme économique, voire politique, qui fonctionne sur la planète. Dans ce but, il propose une décentralisation radicale, plutôt qu'une dictature écologique. Enfin, la troisième solution, la plus utopiste mais aussi celle en laquelle espèrent le plus les activistes écologistes, serait de convaincre les hommes de changer leur système de valeurs. Seulement, toujours d'après Keller, le problème repose sur le fait que l'homme serait incapable de se projeter plus loin que sur un horizon qui ne concerne que lui et un entourage qui lui est très proche. Dès lors, comment lui demander de se solidariser avec les générations futures qui hériteront de la planète qu'on leur aura laissée ?

Josef Rusek, biologiste qu'il est, se base sur des éléments tout autres que des considérations sociologiques, voire des spéculations philosophiques. Son domaine à lui, c'est le terrain et ses études. N'empêche, ses conclusions rejoignent celles de Jan Keller. Car il est scientifiquement prouvé que les changements de climat sont l'oeuvre de l'homme. C'est pourquoi l'humanité est menacée, dans un avenir plus ou moins proche, par une catastrophe naturelle d'envergure mondiale. Le professeur en biologie constate d'ailleurs avec beaucoup d'amertume que de trop nombreux hommes politiques, mais aussi journalistes et représentants de l'opinion publique, sous-estiment les caprices répétés de la météo et les dégâts qui en découlent. Selon Rusek, il ne fait aucun doute que, par son action lors de ces dernières décennies, l'homme a contribué non seulement aux changements climatiques, mais aussi à des phénomènes comme les inondations ou la destruction d'écosystèmes entiers. Il est donc urgent que l'homme modifie son comportement vis à vis de la nature sous peine de connaître des catastrophes d'envergure toujours plus importante. En ce qui concerne la République tchèque, Rusek mentionne tout particulièrement la menace de précipitations et d'inondations encore plus étendues que celles catastrophiques connues par le pays en 1997 et en août dernier.

La dégradation de la terre est étroitement liée avec les changements de climat, est convaincu Josef Rusek. Ainsi, en République tchèque, la terre serait en train de mourir, lentement. Cette terre qui est la base de tout écosystème. Principales causes : l'activité industrielle de l'homme et l'émission de gaz carbonique, notamment par les moteurs à explosion. Dès lors, lors de chaque averse, des pluies acides font retomber sur terre les différents métaux lourds, le phosphore, le soufre et même des composés d'azote que l'on croit évaporés dans l'atmosphère après leur émission. Ainsi, en République tchèque, selon Josef Rusek, pas moins de quarante kilos d'azote pur retomberaient sur chaque hectare de terre par an ! Un fait encore aggravé par les engrais chimiques utilisés par les agriculteurs et qui participe à la mort lente des organismes présents dans la terre, comme les vers, les bactéries ou les champignons microscopiques. Un phénomène qui explique le compactage et l'étouffement du sol. On sait donc pourquoi l'eau a désormais de plus en plus tendance à rester en surface au lieu de pénétrer dans la terre et de rejoindre les nappes fréatiques.

Ni Josef Rusek, ni Jan Keller ne sont contre le développement de la civilisation. Mais d'après eux, la seule question qui compte est de savoir s'il est encore possible de ralentir ou d'inverser le cours des changements de climat, s'il n'est tout simplement pas trop tard. Car Josef Rusek le sait, on ne peut plus douter scientifiquement des changements de climat et du rôle néfaste par l'activité de l'homme sur Terre. Lui -aussi rejoint enfin Jan Keller lorsqu'il aspire à ce que tous les Etats de la planète parviennent à des accords en matière d'écologie. Parce que conclut-il, la menace d'une catastrophe naturelle d'envergure mondiale n'est plus le fruit de l'imagination, mais une théorie scientifiquement vérifiée...