« La question de l'interdiction du KSČM ressort à chaque fois qu’il y a des problèmes un peu plus profonds »

Entretien aujourd'hui avec Michel Perottino, secrétaire général du Centre français de recherche en sciences sociales (CeFReS) basé à Prague. Un entretien qui a pour principal sujet la récente initiative politique visant à faire interdire le parti communiste tchèque (KSČM).

Michel Perottino
Est-ce que pour commencer on peut essayer de définir ce Parti communiste de Bohême et de Moravie (KSČM), un parti souvent décrit comme le dernier parti communiste non réformé représenté dans un parlement d’un pays post-communiste ?

« C’est un parti qui en fait est né juste après la révolution de velours, donc ce n’est pas directement le parti qui a été au pouvoir avant 1989. Mais il s’inscrit dans la continuité du KSČ d’avant 1989 – il a notamment repris tous les militants – et effectivement il ne s’est pas transformé, au plan idéologique notamment, donc il reste d’une certaine manière dans la ligne des anciens partis communistes classiques. Il faut quand même aussi prendre en considération un élément important, à savoir qu’on va lui reprocher de ne pas s’être transformé en parti social-démocrate, mais c’est un parti qui s’est quand même adapté aux nouvelles conditions démocratiques. »

Comment analyser cette nouvelle initiative de faire interdire le KSČM ?

« C’est une initiative gouvernementale, ou en tout cas ministérielle, qui a été lancée il y a quelques jours mais qui se situe dans la continuité. Ce n’est pas la première fois que certaines personnalités politiques invitent le gouvernement à interdire le KSČM. Il faut voir aussi que la critique du KSČM est récurrente. On a quand même souvent dans l’histoire politique tchèque depuis 1989 des vagues d’anticommunisme. Il est vrai que depuis quelques années, ces vagues sont souvent liées à une volonté d’interdire le parti communiste. Il faut bien voir aussi qu’il y a quelques mois ou quelques années la même procédure a été appliquée aux jeunesses communistes puis, de manière plus efficace au parti d’extrême droite, le Parti ouvrier, qui lui a été interdit. »

Cette initiative vient des partis de la coalition gouvernementale, notamment du Parti TOP 09, dont le vice-président Miroslav Kalousek a pourtant eu il y a quelques années des velléités de gouverner avec les communistes lorsqu’il était encore à la tête du Parti Chrétien-démocrate…

« Il faut replacer toute cette affaire dans son contexte politique. C’est d’abord avant tout un problème politico-politicien, c'est-à-dire qu’effectivement la demande d’interdiction du KSČM émane dans une configuration et actualité politiques un peu particulières. On peut dire que d’une certaine manière cela ressort à chaque fois qu’il y a des problèmes un peu plus profonds. »

Ce qui fait dire à certains politologues que c’est pour masquer notamment des affaires de corruption…

Radek John
« C’est vraisemblable effectivement oui. Des affaires pas forcément liées à TOP 09, peut-être plus précisément à l’ODS. Mais des affaires de corruption qui touchent le gouvernement à l’heure actuelle. L’autre élément à prendre en considération est que c’est au ministre de l’Intérieur de monter le dossier pour cette demande d’interdiction. On ne peut pas dire que ce ministre est actuellement dans une bonne posture, notamment vis-à-vis de la police ou des sapeurs-pompiers. »

On parlait de TOP 09, du ministre Radek John, chef du parti Affaires Publiques, et de l’ODS du Premier ministre, qui a décidé cette semaine de radier du parti des cellules régionales de l’ODS qui collaboraient depuis déjà plusieurs mois voire plusieurs années avec le KSČM au niveau local. Est-ce qu’il y a une surenchère concernant l’anticommunisme entre ces trois partis ?

« A partir du moment où on lance officiellement au niveau gouvernementale l’interdiction du KSČM, il devient très ennuyeux d’avoir au niveau local le principal parti du gouvernement, l’ODS, qui est en coalition avec soit des élus communistes soit des personnes élues sur une liste communiste. Effectivement c’est assez logique et c’est plus pour répondre à d’éventuelles critiques dans le camp de la droite que l’ODS est obligé de prendre ce type de mesures et d’exclure certains membres de l’ODS. Il faut noter que la collaboration entre des partis non communistes et le parti communiste au niveau local est un phénomène qui existe depuis très longtemps. C’est souvent perçu comme paradoxal ou ‘anormal’ lorsqu’il s’agit d’élus de droite, mais c’est relativement fréquent. »

Ces élus communistes, même au niveau national, sont utiles à tous les partis quand on a besoin d’eux. On se souvient entre autres de l’élection du président de la République…

Václav Klaus
« La première élection du président Klaus a été présentée comme une élection permise grâce aux voix des élus communiste. Ce qui à mon avis est plus important, mais qui va dans le même sens, est que pendant sa première campagne, Vaclav Klaus est allé voir aussi les communistes. Il les a fait rentrer dans le jeu parlementaire normal : un candidat présidentiel va voir tous les partis pour discuter et éventuellement obtenir leur soutien. Après, le résultat, c’est-à-dire savoir si les communistes ont vraiment donné leurs voix à Klaus : c’est une hypothèse, souvent présentée mais pas étayée. »

Dans un récent numéro, l’hebdomadaire Respekt présentait un article de trois pages intitulé ‘Pourquoi il serait bon d’interdire le Parti communiste’. Quel rôle jouent les médias tchèques dans cette affaire ?

« L’anticommunisme est toujours présent en République tchèque, par vagues. Je dirais que le rôle des médias est un petit peu biaisé, dans la mesure où la quasi-totalité des grands titres et des chaînes de télévision est assez clairement du côté de la légitimité de l’interdiction du parti communiste. »