« Je suis un Marocain d’origine iranienne, avec un cœur qui bat au rythme tchèque »

Mohamed Sina Ostowar, photo: Magdalena Hrozínková

Mohamed Sina Ostowar est pharmacien à Rabat. Son père était le premier gynécologue iranien au Maroc et son oncle a étudié la pharmacie à Bratislava, du temps de l’ancienne Tchécoslovaquie. « Etudier à l’étranger était tout à fait courant dans notre famille », explique-t-il. Lui-même a d’abord opté pour la France, mais c’est dans la Tchécoslovaquie post-communiste qu’il a finalement obtenu son diplôme universitaire… avant de rentrer définitivement au Maroc. A Rabat, Mohamed Sina Ostowar a raconté son parcours au micro de Radio Prague.

Mohamed Sina Ostowar,  photo: Magdalena Hrozínková
« Je n’ai pas fait que des études de pharmacie en Tchécoslovaquie, puisqu’à l’époque où je suis parti, en 1990-1991, c’était encore la Tchécoslovaquie. J’ai commencé par faire une année de langue à Dobruška. Cela a été mon premier contact avec la République tchèque. Après j’ai effectivement intégré la faculté de pharmacie à Brno où j’ai fini mes études en 1998. Après j’ai intégré le centre hospitalier universitaire d’Olomouc où j’ai travaillé au service de microbiologie et d’immunoanalyse. J’ai eu ensuite l’honneur de pouvoir travailler à l’hôpital militaire d’Olomouc, au laboratoire de biochimie et d’hématologie. En 2000, je suis rentré au Maroc où j’ai actuellement une officine. »

A l’époque, c’était votre choix la Tchécoslovaquie ?

« Tout à fait. »

Vous n’étiez pas le seul je crois. J’ai récemment rencontré un pharmacien de Casablanca qui a fait, comme vous, ses études à Brno et qui avait passé une année à Dobruška également.

« Effectivement, c’est mon cousin. Ensuite, un autre cousin et une cousine également nous ont rejoints, ils ont tous fait des études de pharmacie. Nous n’étions pas beaucoup de Marocains en réalité à Brno et nous étions tous de la même famille. Au centre de langues de Dobruška, plusieurs nationalités et plusieurs continents étaient représentés. Nous avions un ami, d’ailleurs auquel je pense souvent, Petros, un Chypriote. Il y avait des Syriens, des Yéménites et même André, un Malgache. Il y avait aussi des étudiants venant de la Zambie, du Bénin et du Cap Vert. Le centre de Dobruška était spécialisé pour les étudiants qui se préparaient à faire des études universitaires dans le domaine médical, paramédical et aussi agronomique pour ceux qui voulaient intégrer l’école d’agronomie à Prague. »

Quel est le souvenir que vous avez gardé de cette année-là ?

« Au début quand on va aussi loin et qu’on ne maîtrise ni la langue ni la culture, on a quelques appréhensions mais tout s’est très bien passé et j’en garde un très bon souvenir. »

Et de vos années professionnelles en République tchèque ?

Dobruška,  photo: Archives de Radio Prague
« Je me souviens de cette époque-là avec beaucoup de nostalgie. Je dois mettre l’accent sur le fait que j’ai été immédiatement très bien intégré. J’ai des amis tchèques que je vois encore aujourd’hui. La semaine dernière, nous sommes tous partis au ski… Nous nous voyons très régulièrement et nos enfants ont grandi ensemble. »

Vous avez toutefois pris la décision de revenir au Maroc, pour quelles raisons ?

« Dès le départ, je pensais rentrer au Maroc, c’est-à-dire faire des études en République tchèque et après venir travailler au Maroc. A tel point qu’au début, quand je suis parti à Dobruška, je ne pensais pas finir en pharmacie. Je voulais intégrer l’école d’agronomie de Prague où il y avait une spécialité de culture tropicale et subtropicale. J’avais dès le départ l’intention de revenir. Aujourd’hui je vais deux ou trois fois par an en République tchèque avec énormément de plaisir. »

Quels sont vos souvenirs de la République tchèque et du pays des années 1990 ?

« Je pense que, bien entendu, le pays a évolué. Le regard que je porte sur ce pays a aussi évolué. Une petite chose qui m’avait attristé c’était le fait que les grands centres commerciaux ont tué les centres-villes. Je me souviens de celui de Brno dans les années 1990, il était magnifique avec de petits cafés qui avaient un charme particulier, de petits restaurants, de jolies boutiques. Après l’apparition des centres commerciaux, les centres-villes ont un peu dépéri. Mais j’ai l’impression que depuis deux ans, ils ont quand même refleuri. »

Les Tchèques ont-ils changé depuis les années postrévolutionnaires ?

« Avec moi, je n’ai jamais ressenti de changement. Mes amis sont toujours mes amis et ce sont toujours les mêmes choses qui nous font rire. »

Professeur Ostowar,  co-fondateur de la clinique Beauséjour à Rabat
Aujourd’hui est-ce que vous ressentez cette méfiance à l’égard des étrangers dont on parle souvent en République tchèque surtout à l’ égard des musulmans ?

« Je vais quand même parler du fait que j’ai été marié avec une Tchèque, Petra. J’ai un fils qui vit en République tchèque, qui s’appelle Ali. Sincèrement il ne s’est jamais plaint. Je ne pense pas que nous ayons été concernés par ce type de problème. Une petite remarque quand même : je trouve assez amusant que quelqu’un qui s’appelle Okamura puisse critiquer les étrangers… »

Vous n’avez pas perdu votre tchèque, il est toujours excellent. Est-ce que c’était une langue facile finalement à apprendre ?

« J’avoue qu’aujourd’hui il m’est difficile de lire les classiques tchèques en tchèque. »

Vous faites l’effort quand même, c’est assez rare !

« J’essaye mais c’est quand même très difficile. C’est une langue très riche et qui permet de donner beaucoup de sens à une phrase avec juste un suffixe ou un préfixe. J’aime beaucoup cette langue, elle permet vraiment de s’exprimer en toute liberté. »

Est-ce que vous vous sentez un peu être quelqu’un d’autre quand vous parlez tchèque ?

« Effectivement quand je passe du français à l’arabe, de l’arabe au tchèque, je m’exprime d’une manière peut-être un peu différente mais les idées restent quand même les mêmes. »

Les Tchèques et les Marocains, ont-ils quelque chose en commun ?

« Certainement, les Tchèques et les Marocains ont le sens de l’hospitalité, l’amour des belles choses et le sens de la convivialité. »

Maintenant vous tenez une pharmacie à Rabat. Est-ce que professionnellement vous êtes en contact avec la République tchèque ?

Photo illustrative: Lenka Šipošová,  ČRo
« Mes amis tchèques sont soit pharmaciens, soit ils travaillent au SÚKL (soit l’Institut national en charge du contrôle des médicaments, ndlr). Chaque fois que je viens en République tchèque, j’ai l’occasion de passer quelques heures dans les pharmacies, j’ai même eu l’occasion de visiter une pharmacie d’hôpital, ce qui me concerne particulièrement. Oui, j’essaye de me tenir au courant et de voir les nouveautés en République tchèque. »

Avez-vous des médicaments tchèques dans votre pharmacie ?

« Non, malheureusement. Au Maroc, le marché est détenu par des sociétés françaises ou anglaises. »

Peut-on comparer le secteur de la santé tchèque et marocain ?

« Le système est très différent en grande partie à cause du système d’assurance qui est très ancien en République tchèque. Au Maroc, c’est encore tout nouveau, ce sont les premiers pas. Les gens n’étaient pas assurés, il n’y avait pas une partie du salaire qui était consacrée à l’assurance maladie. Au Maroc, le système a commencé à être mis en place il y a quatre ou cinq ans. »

Les gens démunis ont-ils accès aux soins médicaux ?

Rabat,  photo: Magdalena Hrozínková
« Ils ont accès aux soins médicaux dans des centres de santé qui ne sont pas toujours bien équipés. Au niveau de la pharmacie, il n’y pas d’assurance valable. Les gens démunis n’ont pas accès aux médicaments. »

Est-ce qu’il vous arrive, dans votre pharmacie, d’offrir des médicaments aux gens qui en ont besoin mais qui n’ont pas d’argent ?

« Vous savez, tous les gens qui viennent à la pharmacie ont un besoin de médicaments, mais parfois la situation est difficile et je me permets d’intervenir dans ce sens-là. Il y a parfois des patients qui viennent avec une ordonnance et qui me demandent ce qu’il y a dans cette ordonnance. Je leur réponds qu’il y a ceci et ceci et ils me disent : ‘Quel est le médicament le plus important ?’ ou alors ‘Est-ce qu’il y a une injection ?’. Ils veulent toujours la forme injectable, quand elle est disponible. Ou alors je leur donne des échantillons que je reçois de la part des laboratoires médicaux, d’ailleurs c’est le but je crois. »

Existe-t-il une coopération entre la République tchèque et le Maroc dans le domaine de la santé ? Y a-t-il des échanges de jeunes médecins par exemple ou d’étudiants en médecine ?

« Je ne suis pas au courant d’échanges de jeunes médecins, mais je sais que depuis bientôt deux décennies, il existe une coopération au niveau de la médecine vétérinaire. J’ai eu moi-même l’occasion de rencontrer ici certains vétérinaires que je connaissais de Brno. A Fez, j’ai rencontré une enseignante de parasitologie que je connaissais de la faculté. Elle travaillait dans un hôpital qui était consacré aux animaux qu’on utilise pour le transport dans la vieille ville c’est-à-dire les ânes et les mules. »

Pour revenir à la République tchèque, y a-t-il une personnalité tchèque ou des personnalités tchèques du secteur de votre choix, culture, médecine, politique que vous estimez particulièrement et qui vous a influencé dans votre vie ?

« Je pense que toutes les personnes qui ont pu avoir la chance de vivre en République tchèque ont été plus ou moins atteintes par la personnalité de Václav Havel. J’ai été guidé par ce monsieur d’une certaine manière je pense. Parmi les personnalités politiques actuelles, ce serait Karel Schwarzenberg sans hésitation, parce que c’est un chasseur et que je suis chasseur aussi. »

Rabat | Photo: Magdalena Hrozínková,  Radio Prague Int.

Vous suivez la politique tchèque, j’ai l’impression ?

« Oui, si j’ai le temps le matin, je regarde Seznam.cz sur mon écran d’ordinateur. Quand il y a un événement particulièrement intéressant, je passe aux autres journaux, comme Mladá fronta Dnes par exemple. »

Y a-t-il une phrase en tchèque que vous aimez particulièrement, un proverbe, une expression, un mot ?

« Quand je suis avec des amis en République tchèque, j’aime bien leur dire ceci : 'Jsem Maročan íránského původu, ale moje srdíčko bije česky'. »

Pourriez-vous le dire en français, pour nos auditeurs ?

« Je suis un Marocain d’origine iranienne, avec un cœur qui bat au rythme tchèque. »