Denis Dumoulin, passionné par les relations tchéco-helvétiques

Denis Dumoulin est professeur d’histoire dans un lycée de la ville suisse de Sion et passionné par l’histoire des relations entre son pays et les pays tchèques.

Denis Dumoulin
« Ça m’intéresse surtout à cause du nombre de contacts qui ont existé tout au long de l’histoire avec les pays tchèques autrefois, la Tchécoslovaquie plus tard et la République tchèque aujourd’hui. Ce n’est pas quelque chose de très original, on aurait pu trouver des choses identiques avec d’autres pays, mais là il me semble qu’il y a énormément de choses dans plusieurs domaines et à presque chaque époque. »

C’est-à-dire que dans vos recherches vous avez pu faire remonter ces liens à une époque bien antérieure à la création de la Tchécoslovaquie ?

« Certainement, avec même une très grosse surprise quand on découvre chez Jules César une mention des Boïens, les ancêtres des Tchèques, avec les Helvètes, un siècle avant Jésus-Christ, c’est tout à fait étonnant et cela se poursuit au Moyen-âge puis à l’époque de la Guerre de Trente ans et à l’époque du XIXe siècle. Pratiquement à chaque époque il y a des contacts, parfois anecdotiques mais très réguliers en tout cas. »

Avec aussi au début du XXe siècle un personnage qui s’appelle William Ritter...

William Ritter
« Alors William Ritter est semble-t-il plus connu à Prague que chez nous en Suisse. Il est un des francophones qui ont découvert l’Europe centrale et notamment sa musique : il a écrit la première biographie en français de Smetana, il était l’ami de Mahler – Mahler lui aurait même peut-être dédié une de ses symphonies – et puis il a aussi défendu le peintre Max Švabinský et tout cela a fait beaucoup pour la connaissance du monde culturel tchèque dans les pays francophones. En dehors de cela c’est évidemment un personnage plus discutable sur bien des aspects, notamment sur son antisémitisme... »

Un antisémitisme affiché et qui a fait l’objet de débats et conférences consacrés à Ritter en France également... Ces liens entre la future Tchécoslovaquie et la Suisse sont par ailleurs marqués par des événements ponctuels et notamment par un discours prononcé par Masaryk en 1915 à Genève. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

« Lorsque Masaryk quitte Prague en 1914, il passe à Genève pour rentrer en contact avec certains Tchèques avec lesquels il constitue une sorte de groupe de résistance. Il a prévu d’y passer une journée ou deux seulement mais va en fait rester plusieurs années en Suisse avec des interruptions, et en 1915 il prononce un discours à l’occasion d’une conférence sur le 500e anniversaire de la mort de Jan Hus. Et c’est à cette occasion qu’il va parler l’une des toutes premières fois du projet de la constitution d’une Tchécoslovaquie moderne. Dans l’histoire de la Tchécoslovaquie cette conférence de Genève est considérée comme une des toutes premières étapes. A Genève on a continué à cultiver le souvenir de cette épisode, aussi bien après à la SDN ou dans l’hôtel où il était descendu. Cela a été une étape au moins aussi importante que celle de la déclaration de Washington par exemple. »

Les liens entre Masaryk et la Suisse ne s’arrêtent pas là, parce qu’il a eu également de la famille en Suisse...

Olga Masaryková- Revilliodová
« Oui, sa fille Olga a épousé un médecin genevois, le docteur Revilliod, et ils ont eu deux fils. Donc Masaryk avait deux petits-fils genevois qui sont fréquemment venus passer leurs vacances estivales à Lány. Malheureusement ces deux fils ont connu un destin assez tragique, ils sont tous les deux morts pendant la Deuxième Guerre mondiale, mais les liens entre Masaryk et la Suisse romande étaient au moins aussi importants sur le plan familial que sur le plan historique ou politique. Masaryk était aussi le seul homme politique d’Europe centrale qui défendait une idée de démocratie humaniste et fraternelle. C’était tellement rare à l’époque que ça ne pouvait qu’intéresser les Suisses aussi. »

On parlait de Jan Hus il y a un instant ; est-ce que ces liens au niveau religieux ont permis aux Tchèques et aux Suisses de renforcer leurs relations ? On sait notamment que plusieurs Tchèques sont allés étudier à la faculté de théologie protestante de Bâle...

« Il y a des choses assez étonnantes dans l’histoire de Hus. D’abord, avant d’être exécuté à Constance il a été fait prisonnier dans le château de Gottlieben qui aujourd’hui se trouve en Suisse. Et puis les hussites, persécutés ou chassés de Bohême, sont venus assez fréquemment à Bâle. Les frères moraves aussi sont présents un peu partout. Il y a des rencontres documentées qui montrent que des missionnaires ou des ‘porteurs du message hussite’ sont passés en Suisse. A l’époque de la Réforme entre autres, les positions en matière religieuse n’étaient pas aussi fixes et aussi fermes qu’on pourrait l’imaginer aujourd’hui. Il y a des régions aujourd’hui considérées comme catholiques qui sont passées au protestantisme pendant plusieurs années. Le hussitisme et les frères moraves ont laissé des traces un peu partout en Suisse, même de manière anecdoctique. »


Rediffusion du 16/03/2010