Ces Québécois Tchèques d’origine ou d’adoption

Montréal, photo: David Iliff, CC BY-SA 3.0

Si près de 94 000 personnes d’origine tchèque vivent au Canada, dont près de 3 000 au Québec, les liens entre les deux régions sont loin d’être unilatéraux. De nombreux Québécois sont eux aussi installés en République tchèque, où ils contribuent à l’essor de la communauté francophone. Radio Prague est allé à la rencontre de quelques-uns d’entre eux.

Montréal,  photo: David Iliff,  CC BY-SA 3.0
Quelque 6 200 kilomètres, un océan et six heures de décalage horaire séparent la République tchèque de la région francophone du Canada. Cette distance n’empêche cependant pas de nombreux Québécois de venir s’installer en République tchèque, notamment à Prague.

Matthew a déménagé il y a trois ans de cela après des vacances réussies en République tchèque. Ce jeune homme originaire d’une ville proche de Montréal explique avoir été attiré, entre autres, par le faible coût de la vie et la douceur de vivre pragoise :

« C’est une ville qui est grande sans être trop grande. Les transports en commun sont géniaux, les prix sont abordables en général, il y a plein d’activités. Il y a aussi les parcs, dont les Pragois profitent vraiment. Il y a souvent des restaurants, des endroits où l’on peut aller passer du temps. A Montréal, à moins de prendre un ballon ou d’aller lire dans un parc, il n’y a rien à faire, alors qu’ici beaucoup plus de monde profite des parcs et des endroits publics. »

Patricia, 31 ans, a quant à elle déménagé en République tchèque il y a dix ans de cela. D’origine tchèque, elle enseigne l’anglais et le français à Prague et dirige « La belle Poutine », un stand qui, chaque été, réunit autochtones, touristes de passage et Québécois résidant à Prague autour de ce plat québécois typique.

« Ce que j’aime le plus à Prague, c’est sa centralité par rapport à l’Europe. Je peux prendre l’avion et me retrouver dans un monde totalement différent en une heure ou deux. Ce que j’aime aussi, et je pense que ça concerne l’Europe en général, c’est la liberté qui est donnée aux gens. Par exemple, on peut facilement se promener dans les rues de Prague avec une bière à la main sans se faire arrêter par la police, ce qui arrive tout le temps au Québec. »

Parmi ces Québécois devenus Tchèques d’adoption, nombreux sont ceux à avoir des parents ou de la famille d’origine tchèque ou slovaque. Leur installation en République tchèque est donc souvent l’occasion de retrouver cette famille lointaine ou de mieux connaître une culture qui leur est proche. C’est le cas par exemple de Mathias, 23 ans, originaire de Montréal et installé à Prague depuis un an et demi. Après deux voyages en République tchèque au cours desquels il s’est passionné pour le pays et pour sa richesse culturelle, Mathias a décidé de s’y installer afin d’apprendre la langue de son père, qui avait quitté la Tchécoslovaquie pour le Québec dans les années 1980 :

« Notre père ne voulait pas nous parler en tchèque. En fait, il nous a parlé en tchèque, jusqu’à ce que commence l’école. C’est l’école qui a voulu que l’on arrête de parler le tchèque et l’espagnol (ma mère est chilienne). Du coup, mon père n’a plus vu l’intérêt de continuer. Beaucoup de personnes n’apprennent pas le tchèque, et cela devient un manque par la suite. Tu te dis ‘je suis moitié Tchèque’, mais tu ne parles pas la langue. Pour moi, c’était une disgrâce. J’ai l’impression que beaucoup de gens ressentent la même chose, ils cherchent aussi à retrouver leurs racines pour découvrir la langue et la culture tchèques qui leur ont manqué durant leur enfance. Moi, je veux que mes enfants soient comme moi : je veux qu’ils parlent les langues de mes parents. Je veux qu’ils parlent français, anglais, espagnol et tchèque. Ils devront absolument parler les langues avec lesquelles j’ai grandi. C’est très important pour moi de perpétuer cet héritage. Je voudrais que les enfants de mes frères parlent tchèque également. Pour moi, c’est extrêmement important. »

Justement, parmi les étapes nécessaires à une intégration réussie en République tchèque, l’apprentissage de la langue reste un cap difficile. Nicolas, originaire de la rive Sud de Montréal et installé à Prague depuis 2011, explique pourquoi :

« C’est complètement différent, c’est très difficile. Il y a ce que j’appelle des bruits de gorge, sans voyelles, comme pour les mots cou - ‘krk’, ou doigt - ‘prst’. C’est difficile à apprendre. Je suis d’ailleurs toujours en train d’apprendre… »

Face aux difficultés liées à l’installation dans un nouveau pays, notamment administratives, de nombreux groupes ont émergé sur les réseaux sociaux destinés aux francophones vivant à Prague. Sur Facebook, des groupes comme ‘Prahoo’, ‘Prague français et francophones’, ou encore ‘Peuple français à Prague’ font figure de réseaux d’entraide pour les francophones étrangers. Le groupe ‘Canadians in Czech Republic’ compte également plusieurs centaines de membres, dont des Québécois. On trouve sur ces groupes des offres d’emploi, de logement, de cours de tchèque ou encore des médecins parlant français. Matthew explique avoir énormément profité des conseils prodigués sur ces pages au cours de son installation :

« Il y avait déjà une forte communauté française à Prague. Quand je suis arrivé, j’ai tout de suite rejoint les groupes francophones de Prague. Cela a été assez facile car les gens s’entraidaient beaucoup. Maintenant, avec les réseaux sociaux, il y a plein de sites sur lesquels on peut poser des questions. Les gens sont très sympas, tout le monde s’entraide. Cela a été vraiment facile, je pense que j’ai eu plus d’aide que ce dont j’avais besoin. »

Nicolas explique également avoir bénéficié de l’aide proposée par la communauté d’expatriés vivant à Prague :

« Les expatriés ici sont toujours ensemble, ils s’entraident. Tout le monde est dans la même situation, tout le monde est seul et a besoin d’aide. Tout le monde ne parle pas anglais. Si quelqu’un cherche de l’aide, s’il a besoin de quelque chose en particulier, les expatriés sont là et vont l’aider, toujours. C’est ce que j’aime vraiment à Prague. »

Pour les expatriés québécois, l’acclimatation en République tchèque peut être parfois difficile, notamment en raison de l’éloignement de leurs proches et des différences de mode de vie, comme l’explique Patricia :

« Ma famille et mes amis me manquent le plus. J’essaie de leur rendre visite chaque année, ou alors ce sont eux qui viennent à Prague. On reste en contact par Skype. Cet hiver, ce qui me manque le plus, c’est de ne pas pouvoir mettre mes patins à glace, chez moi, de traverser la rue et d’aller jouer au hockey sur glace avec mes voisins. »

Plusieurs expatriés québécois expliquent également avoir été marqués par la différence entre le Québec et la République tchèque quant à l’accueil des étrangers. Au Québec, la notion d’interculturalisme occupe une place centrale dans le débat public, prônant les interactions entre les cultures majoritaire et minoritaires et la création d’une culture commune en respectant les différences individuelles. Mathias a ainsi remarqué le contraste existant quant à la relation des habitants avec les personnes de cultures étrangères :

« Aux dernières élections, il y avait un candidat qui affichait partout en République tchèque des affiches ‘Non au terrorisme et non à l’islam’ (Tomio Okamura, ndlr). Il est arrivé en quatrième position sur dix partis. Ça représente assez bien la vision de certains Tchèques sur l’intégration des nouvelles cultures. Aussi, beaucoup de gens ne tolèrent pas les personnes dont la couleur de peau est plus foncée. A Brno, j’ai vu une femme musulmane monter dans un train. Tous les yeux se sont immédiatement tournés vers elle, les gens roulaient des yeux, soupiraient, faisaient des commentaires. La difficulté à accepter les nouvelles cultures est quelque chose qui me désole ici. Pas forcément des musulmans, mais aussi des Espagnols, des Italiens, tous ceux qui sont en Erasmus à Prague ou à Brno. Je trouve ça vraiment désolant. Il y a vraiment une énorme différence avec le Québec au niveau de l’acceptation culturelle. »

En dépit de toutes les difficultés occasionnées par leur expatriation, nombreux sont ceux parmi la diaspora québécoise, comme Nicolas, qui envisagent de rester en République tchèque pour encore de nombreuses années, séduits par le dynamisme du pays et de sa capitale :

« Il y a toujours quelque chose à faire, n’importe quel jour de la semaine, tu peux sortir et rencontrer des gens. Aller boire une bière, dans un café ou à l’extérieur, l’été. C’est super. La vie ici, j’adore. »