Barbora Osvaldová : « Il faut comprendre que tout ce qui est écrit dans un journal n'est pas forcément la vérité. » (II)

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Nous poursuivons aujourd'hui l'entretien réalisé avec Barbora Osvaldová, la responsable du département journalisme de la Faculté des Sciences humaines de l'Université Charles à Prague. Elle nous dressait un portrait de la presse tchèque contemporaine et nous expliquait les évolutions des contenus et des pratiques journalistiques, liés, pour beaucoup, à l'apparition d'Internet. Dans cette seconde partie, elle revient sur le rôle de la presse tchèque en tant que relais d'informations et d'opinions et s'interroge sur la porosité entre les médias dits « sérieux » et ceux dont la ligne éditoriale est clairement tournée vers le racolage et le sensationnalisme. C'est pourquoi, il est important selon elle, que le public puisse être éduqué aux médias afin de pouvoir les utiliser en connaissance de cause.

Barbora Osvaldová,  photo: iksz.fsv.cuni.cz
La question de l'impact des médias sur l' « opinion » alimente les discussions entre sociologues, journalistes et autres spécialistes du sujet. La télévision, la presse, la radio ou encore Internet définissent-ils les sujets légitimes, ceux qui peuvent et doivent être débattus ou se font-ils tout simplement le relais des opinions qui seraient présentes dans la société ? Barbora Osvaldová considère qu'il s'agit d'un mécanisme à double-sens, les médias influençant autant l' « opinion publique » qu'ils sont influencés par elle :

« Bien sûr, il y a cette possibilité d'établir l'agenda médiatique, de mettre en avant et de développer des thèmes qui vont ensuite être discutés au sein de la société. C'est un premier point. Il faut dire que cela peut aussi se produire dans le sens inverse : quelque chose ne va pas dans la société, et les journalistes doivent alors réagir à ce problème. C'est un mécanisme à double-sens. Mais, pour avoir observé nos grands médias, je dois dire que cela dépend des journalistes en service à un moment donné. Parce que si un journaliste a une opinion différente de celui qui était à son poste le jour précédent, il doit adapter ses commentaires et son actualité en conséquence. C'est ce qu'on appelle en principe un ' gate keeper ', c'est-à-dire le ' gardien des portes ', celui qui laisse passer les informations et en bloque d'autres. Ainsi, quelqu'un sélectionnera les nouvelles en fonction de ses intérêts et opinions. On voit donc des journaux qui écrivent un jour d'une certaine façon, et le lendemain, d'une façon totalement différente. Ils n'ont pas une orientation bien définie. »

Cependant, les sujets en une ne dépendent pas de la personnalité des journalistes. Les médias seraient dans l'ensemble relativement « suiveurs », influencés par leur environnement médiatique. Ils se copient entre eux pour sélectionner les informations qu'ils jugent dignes d'être publiées. Si un média développe un certain sujet, les autres auront ainsi tendance à en parler également, au lieu de s'en démarquer, afin de ne pas être écartés de la compétition. Le sujet acquiert une certaine légitimité puisque tout le monde en parle. Barbora Osvaldová considère que ces choix conduisent les journaux à mettre en avant des informations secondaires :

« Il y a trois mois, il y a eu cet accident d'un autobus belge. Quand on observait les éditions des journaux à ce moment-là, on constatait que toutes les rédactions plaçaient ce fait divers en première page. Ce qui est intéressant, c'est que le 15 mars, le lendemain de cet accident, c'est l'anniversaire d'un événement survenu en 1938, puisque les nazis envahissaient la Tchécoslovaquie. Et ces journaux n'avaient aucune information à ce sujet. Alors qu'ils parlaient tous de l'accident. C'est évidemment tragique, pourtant, selon moi, certaines nouvelles ne sont pas aussi essentielles que d'autres. Je considère que certaines informations sont plus importantes. »

Cela m'énerve parfois de constater que les informations sélectionnées ne sont pas les plus importantes pour la société.

Selon Barbora Osvaldová, certaines informations sont ainsi occultées, volontairement ou non, alors que ce sont précisément celles qui devraient être développées :

« Cela m'énerve parfois de constater que les informations sélectionnées ne sont pas les plus importantes pour la société. Personnellement, je pense que les nouvelles internationales sont essentielles car elles influencent ce qui va se passer chez nous. Bien que cela puisse être l'inverse également. Parfois, vous apprenez par exemple qu’en République tchèque, les œufs sont plus chers et vous allez avoir des pages et des pages à ce sujet. Cette information va en cacher d'autres, par exemple, le début d'une guerre. Il m'apparaît bien plus important d'informer sur ce danger potentiel que sur le prix des œufs. »

Il existe en République tchèque une presse à scandale, relativement prospère, qui réalise ses ventes grâce à ce genre d'actualité : le prix des œufs, les dernières frasques des vedettes de la télévision ou encore les histoires de crime sordide. Les deux principaux titres de cette presse à sensation, que l'on nomme ici les « bulvár », sont Aha! et Blesk. Ce dernier est le quotidien le plus lu en République tchèque. Selon l'enquête Media Projekt de l'année 2010, il pouvait compter près de 1,6 million de lecteurs chaque jour. Il faut de plus souligner que Aha! et Blesk appartiennent tous deux à l'un des plus grands groupes de presse du pays, la société Ringier Axel Springer CZ. Or, la qualité de certains médias tchèques souffrirait de la perméabilité entre les médias traditionnels et les médias « people » :

« C'est vrai qu'il est simple de distinguer les prétendus journaux ‘bulvár’ des journaux dits 'sérieux'. Mais je ne suis pas sûre à 100% que les éléments qui concourent à faire un ‘bulvár’, ne s'introduisent pas dans la conception de ces journaux 'sérieux'. Et on observe parfois le processus inverse. Etant donné que la République tchèque dispose d'un marché de la presse limité, des journalistes issus des chaînes de télévision publique, ou du service public, se retrouvent sur la chaîne privée Nova, et inversement. Ainsi, vous découvrez parfois que des journalistes, que vous seriez tenté de considérer comme issus de la presse ‘bulvár’, ont atterri sur une chaîne de service public, et ils ne devraient pas s'y trouver. »

Depuis octobre 2011, Petr Dvořák est le nouveau directeur général de la Télévision publique tchèque. Il occupait auparavant la même fonction pour Nova, chaîne de télévision qu'il a ouverte à de nombreux programmes people, à la téléréalité et à des journaux télévisés faisant la part belle au sensationnalisme.

Les événements récents qui se sont déroulés dans la petite ville de Břeclav, au sud de la Moravie, font réfléchir à propos de cette tendance à privilégier le spectacle et l'émotion au détriment de l'information. Au mois d'avril, un adolescent de 15 ans déclare avoir été agressé par trois Roms qui lui demandaient une cigarette. Les médias s'emparent de cette histoire et en font leurs gros titres : des manifestations anti-roms se déroulent dans la ville, des contre-manifestations, des artistes s'en mêlent, tels que les chanteurs Jaromír Nohavica ou Michal David, prenant fait et cause pour le garçon... Finalement, un mois plus tard, ce dernier avoue avoir menti. Il s'est blessé tout seul et a eu peur de la réaction de sa mère. Les médias ne sont évidemment pas responsables du mensonge de ce mythomane. Il n'en reste pas moins qu'ils ont contribué à amplifier ce qui n'était ni plus ni moins qu'un fait divers, mais dont la dimension anti-rom allait forcément trouver un écho.

Il y a donc aujourd'hui une nécessité : il faut comprendre que tout ce qui est écrit dans un journal n'est pas forcément la vérité.

Récemment, la sociologue Jiřina Šiklová notait à ce sujet que la presse avait une tendance lourde à rapporter les faits divers impliquant des Roms alors qu'une manifestation culturelle comme la Fête internationale des Roms, qui s'est déroulée à la fin du mois de mai, n'a pas fait l'objet d'une seule ligne dans les grands journaux nationaux. Pour Barbora Osvaldová, ces biais de l'information, cette agenda médiatique qui s'impose, rendent nécessaire une éducation de la population à l'usage et à la compréhension des médias :

« Nous avons des cours de sociologie des médias, car nous pensons que le public doit être formé, éduqué, et préparé à utiliser les médias. Parce que nous nous trouvons désormais dans une situation assez complexe. Avant les années 1990, on ne pouvait pas croire ce que racontaient les différents médias. Après la fin du régime communiste, les gens ont commencé à leur faire confiance sans limite. Il y a donc aujourd'hui une nécessité : il faut comprendre que tout ce qui est écrit dans un journal n'est pas forcément la vérité. Ainsi, il faut préparer les gens à ne pas prendre pour argent comptant un éditorial qui correspond seulement à l'opinion de celui qui l'écrit. Il existe d'autres opinions. Aussi, quand il y a des actualités, celles-ci ont été sélectionnées selon des critères dont ne disposent pas les lecteurs, les auditeurs ou les spectateurs. C'est ce qu'il faut comprendre afin de ne pas se dire : 'Je l'ai vu à la télévision, cela doit être vrai '. »

Photo: Archives de Radio Prague
Pour comprendre l'actualité et la façon dont elle est faite, il faudrait également multiplier les points de vue et diversifier ses sources d'information. Mais les gens privilégient les médias avec lesquels ils pensent partager une certaine vision du monde :

« En ce qui concerne les nouvelles, les choses sont claires, il faut réagir en fonction de ce qui se passe dans la société. Mais les journalistes d'opinion, les pages d'opinion peuvent être différentes. J'ai eu connaissance d'une expérience, en France, après 1945. Les nouvelles de plusieurs journaux ont été mélangées ; les lecteurs n'en ont pas voulu car ils désiraient connaître l'orientation politique de la presse qu'ils lisent. Je vois bien personnellement, que je lis plus volontiers les journaux qui me conviennent, qui ont des points de vue avec lesquels je suis d'accord, que les journaux qui m'agacent. C'est pourtant une erreur, on devrait lire différentes choses, le plus de choses possible. Mais pour être en paix avec soi-même, il est certainement mieux de lire les choses qui nous sont compréhensibles. »