Architecture alternative : pour un retour à la nature

Photo: Josef Jiroušek

Pour évoquer l’état actuel de l’architecture écologique, appelée aussi environnementale, nous avons rencontré Jan Jaroslav Sterec, spécialiste de l’éco-conception et fervent défenseur des plantes. Dans son jardin situé dans le nord-ouest de Prague, il était accompagné de son collègue, Josef Jiroušek, architecte qui rénove actuellement des matériaux anciens. Après les récentes inondations du début du mois de juin, la question d’une meilleure gestion de l’eau et de son intégration dans l’architecture mérite d’être posée.

Photo: Josef Jiroušek
C’est dans le quartier verdoyant de Suchdol que Jan Jaroslav Sterec a créé, pour la troisième fois déjà, un jardin autonome, autrement dit indépendant de toute gestion municipale. Mais avant cela, l’éternel étudiant qu’il est et qui continue de suivre des cours dans deux universités, a été évincé de deux lieux similaires en raison de l’urbanisation progressive. Et même s’il n’habite qu’à dix minutes de son jardin, Jan Jaroslav Sterec ne cesse de louer ce phénomène original et pourtant très ancien des colonies de jardins, qui sont aujourd’hui de plus en plus mises à l’écart et fragilisées par les nouvelles constructions :

« À l’origine, ces colonies de jardins permettaient aux diverses générations de travailler ensemble ; le grand-père cultivait des légumes avec son petit-fils. Mais cela a tendance à disparaître. Les nouveaux aménagements, les nouvelles constructions ne pensent plus en termes d’autosuffisance. Au contraire, elles détruisent les anciennes structures, où tout était disponible dans un cercle de cinq kilomètres. Mais c’est un phénomène mondial : on s’installe dans un endroit sans penser à son alimentation. Le problème est que ce système est très fragile. Comme ce jardin a un grand puits, nous sommes complètement autonomes par rapport à l’eau de la ville. Ici, c’est comme une île verte indépendante, sans clôtures. Les gens vivent les uns à côté des autres, ensemble, et se respectent. Il doit s’agir d’une structure en mosaïque. »

Collègue et ancien collaborateur de Jan Sterec, Josef Jiroušek, spécialiste des matériaux de construction, et notamment du ciment romain, souligne la prolifération excessive de certains matériaux au détriment d’autres plus anciens et abandonnés, et précise ce qu’est « l’architecture écologique » :

Photo: Josef Jiroušek
« L’architecture environnementale fait participer ses usagers au processus de création. Au fur et à mesure, la relation de l’usager avec ce processus s’affine donc, elle s’approfondit, et l’utilisation même de la future construction se cristallise. Ainsi, l’usager avance lui aussi. C’est là un aspect tout à fait primordial de l’architecture environnementale. »

Jan Sterec fait un parallèle avec le passé :

« Il est vraiment nécessaire de créer ensemble, de participer à la formation de quelque chose. Sous le communisme, différents matériaux manquaient, certes, mais les gens étaient habitués à tout faire eux-mêmes. Et c’est ce que l’on voit aussi dans ces colonies de jardins : tout est diversement assemblé, mais cela garde une certaine esthétique. Il n’y pas trop de choses, ces endroits ont leur propre mesure. »

La mesure est un mot qui perdrait toujours un peu plus de son sens ; la vraie mesure d’une chose étant effacée par une autre mesure, qui se voudrait plus importante. Josef Jiroušek s’explique :

« L’écart entre les collines, si bien réparties dans le centre de la Bohême, change considérablement. Les autoroutes modifient les mesures et arrachent les gens de la réalité. C’est quelque chose d’extrêmement dangereux qui n’a jamais été dit ou même souligné par personne. En fin de compte, l’impact environnemental ne sera aussi horrible que celui laissé sur les personnes et dans leurs cerveaux. »

Photo: Josef Jiroušek
L’être humain serait de plus en plus séparé, détaché, du processus de la nature, un phénomène provoqué notamment par les grandes villes, où l’isolement vis-à-vis de la nature est le plus évident. Par le biais d’une multitude de slogans vendant des produits toujours plus « naturels », l’être humain se sent conforté dans ses choix. Jan Sterec :

« Mon dessein esthétique comme philosophique est que tout est en forme de cercle. C’est comme lorsque l’on se comporte mal avec les enfants, cela revient en quelque sorte vers nous au final. Mais tout dépend de la taille du cercle. Je concevrais le tout de façon non carrée. C’est ma philosophie, celle de l’irrégularité des choses. »

S’ensuit la visite du jardin, où se trouve également un sauna en bois et des toilettes écologiques. Le tout côtoie d’autres jardins, dans lesquels des gens s’occupent de leurs potagers, font des barbecues ou se reposent tout simplement le dimanche. Nous voilà dans un tipi, où la température est augmentée de plusieurs degrés. Jan Sterec toujours :

« Nous pouvons y entrer, afin de percevoir la différence de climat. Les indigènes n’étaient vraiment pas bêtes à aucun endroit du monde, en pensant aux constructions africaines rondes et même aux igloos, ils représentent une grande surface pour un minimum de frais pour la construction, ainsi qu’avec de bonnes qualités statiques. »

Jan Sterec nous livre également sa vision de l’utilité future de cet endroit vert :

« Une idée ce serait d’en faire un jardin commun, où des amis pourraient cultiver des plantes pour eux-mêmes, et à tour de rôle chacun arroserait les plantes des autres. Puis une autre idée, c’est aussi celle du rassemblement, des rencontres, car on a souvent tendance de regarder des films traitant de l’écologie sur un ordinateur, mais j’envisagerais de les projeter ici même dans le jardin. Vous voyez, ici j’ai préparé la toile, ici on pourra s’asseoir, et grâce au contact avec la nature, grâce aux « toits verts », c’est un endroit idéal pour venir discuter d’une approche plus complexe à l’égard de notre environnement. »

Notre intérêt se porte sur les « toits verts », une toiture naturelle remplaçant la toiture classique. Jan Sterec nous avertit des préjugés entourant ces toits:

Photo: Josef Jiroušek
« On a tendance de considérer ici les penthouses ou les « toits verts » comme quelque chose d’exclusif et uniquement réservés aux riches, en se disant que cela doit beaucoup coûter, que beaucoup de terre est nécessaire etc. Et pourtant le « toit vert » c’est tout à fait autre chose. À l’origine, ce toit vert doit recouvrir des surfaces moches ou abimés, il rétablit immédiatement l’isolation, le micro climat change à l’intérieur, et la forme esthétique se trouve également modifiée de l’extérieur. Et cela est beaucoup moins cher qu’autre chose. Regardez comme les plantes succulentes ont besoin de très peu de terre pour vivre. Cette terre doit être mauvaise car les plantes succulentes doivent passer par la période de sécheresse, pendant laquelle elles incorporent le plus d’eau possible grâce aux averses. Et en fait, au sein de chaque plante, il y a une autre petite plante, où s’accumule cette eau. »

L’idée de ces « toits verts » provient de la Scandinavie, où ils servaient de protection, grâce à la superposition des couches d’écorces de bouleau. En relation avec l’évènement récent des inondations, le fait de repenser l’architecture, afin d’en réaliser une meilleure et de prévenir certaines situations, a été plus que vital.

« Concernant les inondations dans les paysages urbains, c’est une immense question. Car tous les supermarchés, par exemple, ont ce que l’on appelle des ‘toits nus’, provoquant le déversement direct de l’eau dans les canaux, construits pour des écoulements de pointe. Mais la plupart du temps, le niveau d’eau n’est que minimal dans les canaux, lesquels sont toutefois onéreux en ville, en raison de leur trop grande taille. Si des pas sont effectués afin de réduire l’écoulement de pointe, en faisant, notamment, plus d’espaces verts entre les bâtiments, plus de « toits verts », et en construisant plus de fosses avec de petits lacs, à la place des routes goudronneuses en agglomération, alors tout cela contribuera, à une diminution du déversement de l’eau de pluies dans les canaux. A quelques pas d’ici, j’ai moi même réalisé un petit lac, sans écoulement, et qui vit paisiblement sa vie. Avec toutes ces avancées, il serait donc possible de réduire considérablement l’écoulement des eaux. Mais les gens doivent se persuader par eux-mêmes que cela marche, et que les plantes ne sont pas exigeantes dans leur culture. »

Photo: Josef Jiroušek
Mais pourquoi l’intérêt n’est il pas plus grand à l’égard de l’architecture écologique, et même alternative? Josef Jiroušek tente d’éclaircir cela:

« Comme dans la plupart des cas, tout est question de marché. Si vous poussez une nouvelle technologie devant vous, vers des endroits où il n’y a pas de demande, alors cette demande ne se formera pas d’elle-même, car de nouvelles technologies, et le business qui les concerne, y sont déjà établis. Les recettes des technologies actuelles coulent d’un endroit à un autre, les flux sont départagés. Et en fait, cette nouveauté, que représente l’architecture écologique, dicterait de nouvelles conditions, de nouveaux rapports, au sein du système. Et de ce point de vue, l’intérêt n’y est pas. Même si cela s’avère comme dix fois plus économiques, l’intérêt n’y sera pas. »

Au contraire pour Jan Sterec, il est nécessaire de créer la demande, qui n’existe pas, en raison d’une ‘non-connaissance’, d’une mauvaise information ou tout simplement en raison de l’ignorance du sujet. Alors, que faire pour changer ? Pour Jan Sterec, faire participer la tête et les bras, est tout simplement la première chose à faire :

« Nous sommes substantiellement liés à la nature, aux aliments, à leur production.. Le lien doit être compris, et davantage développé, mais surtout compris. Car il ne suffit pas de lire sur l’emballage combien d’additifs alimentaires compte tel ou tel produit, mais il est nécessaire de savoir, par exemple, combien de quantité d’eau sera utilisée pour la production de ce produit. »

Toutefois, Jan Sterec regrette le fait que vivre de manière responsable ne semble pas être stimulé de manière locale :

« J’ai l’impression que tout est perçu à travers des entités plus grandes. On parle davantage de la politique de notre État, mais on parle beaucoup moins de la politique du village ou des relations entre les voisins. Mais ce qui importe en premier, c’est ce qui est près de nous et proche de nous. Et non pas ce qui est loin. Je veux dire avec tout ça, que le transport change de manière absurde et totalement dénué de sens, les conditions locales. Nous n’attendons pas d’avoir des fraises, nous les voulons en décembre directement. Ce n’est qu’une question de rotation d’argent.»

Photo: Josef Jiroušek
Nous sommes témoins d’une ère accentuée par le gaspillage, où la durée de vie d’un objet est écourtée, afin que sa consommation soit plus rapide. Pour Jan Sterec, il est important de revenir vers la base de l’écologie :

« Ceci fait également partie de ma philosophie : tout se développe à partir du compostage, du fumier. Tout ce qui est mort, sert pour la suite, comme le renouvellement des plantes, lesquelles forment une entité. Nous, les hommes, nous sommes énormément préoccupés par cette opinion esthétique, que l’on ne cesse de cultiver en nous. »

S’il existe de nombreuses manières de prendre soin de l’environnement par le biais d’une architecture alternative et « amicale », l’aspect esthétique ainsi que l’aspect pratique des choses semblent parfois mettre des bâtons dans les roues dans notre avancée. Lors de notre départ de cet « îlot de verdure », Jan Sterec nous a informés qu’une autoroute devait peut-être prochainement voir le jour à l’endroit même de la colonie de ces jardins.