Accord sur le nucléaire iranien : « Aucune attente en Iran sur les droits de l’homme et la liberté d’expression »

Iran, photo : Aquarius.geomar.de, Wikimedia CC BY-SA 3.0

Ce mardi, après d’interminables négociations, l’accord sur le nucléaire iranien a été conclu à Vienne. Fin de la diplomatie de balcon au Palais Coburg, mais aussi fin des sanctions : désormais Téhéran va officiellement devenir un acteur comme les autres - ou presque - sur la scène internationale. En Iran, les attentes de la population sont grandes au niveau économique, mais les Iraniens ne se font guère d'illusions quant à la situation des droits de l'homme ou la liberté de parole, surtout depuis la répression violente de ce qui a été appelé la révolution verte, en 2009. Première partie aujourd’hui de l’entretien réalisé avec Armand Mostofi. Il dirige Radio Farda, le service en persan de Radio Free Europe, une radio subventionnée par le Congrès américain et qui émet depuis Prague.

Photo : Kristýna Maková,  ČRo - Radio Prague
«Nous sommes dans l’immeuble de Radio Europe Libre/Radio Liberté à Prague, siège d’une organisation de radiodiffusion et multimédias. Il y a ici vingt services qui travaillent. Moi, je suis directeur du service Iran qui émet 24h sur 24h en langue persane. »

…qui s’appelle Radio Farda et qui a des taux d’audience et des chiffres sur les réseaux sociaux en constante augmentation, et ce malgré la censure imposée en Iran sur internet et sur les émetteurs en ondes moyennes notamment.

« Oui, brouillage et filtrage. Nous procurons à nos auditeurs des logiciels pour passer à travers le filtrage, un proxy. »

Photo illustrative : Stuart Miles,  FreeDigitalPhotos.net
Sans entrer dans les questions techniques, c’est un système qui permet d’accéder à des sites qui sont interdits ou filtrés dans le pays.

« Oui, ce système permet aux auditeurs et utilisateurs du web d’accéder à notre site. A travers notre site, ils peuvent écouter nos programmes avec une qualité de son FM. »

Les chiffres - on voit des tableaux devant nous – ont-ils beaucoup augmenté ces derniers temps, ces dernières années ?

« Oui, comme vous le voyez, le graphique des réseaux sociaux est en forte hausse. »

Plus de 1 300 000 likes sur Facebook…

« Oui, le mois dernier nous avons eu plus de 20 millions de visites sur notre site web malgré le filtrage. Et plus de 40 millions de pages vues, plus de 20 millions d’écoutes d’une durée moyenne de plus de 20 minutes. Et puis, un sondage qui vient d’être fait montre que nous sommes pratiquement la radio la plus écoutée à l’intérieur de l’Iran. »

Avec une cible particulière : les jeunes citadins de 20 à 40 ans, c’est ça ?

« Exact. »

Radio Farda
Les négociations qui viennent de s’achever dans la capitale autrichienne sont-elles une grosse partie de l’actualité que vous couvrez ? Quel est le gros du travail quotidien de Radio Farda ?

« Ecoutez, juste avant votre arrivée aujourd’hui même, je parlais avec l’un de mes collègues. Je lui ai dit : ‘Le fait est que la circulation de l’information en Iran est censurée, sinon que ferait-on ici ?’. Deuxièmement, c’est vrai que certaines informations, c’est commun, censure ou pas censure, s’il y a un accident de train ou une inondation ici et là, les médias censurés donnent les nouvelles aussi bien que nous. Mais il y a des domaines que les médias à l’intérieur du pays n’ont pas le droit de toucher. Cela doit être très important pour nous pour informer les gens des sujets dont le régime ne souhaite pas que les gens soient informés.

Un stockage du pétrole en Iran,  photo : National Iranian Oil Company,  Wikimedia Public Domain
« Dernier exemple, c’est bizarre, il y a un mois, nous avons appris qu’une plateforme pétrolière commandée pour l’exploration pétrolière dans le Golfe persique avait disparu. Comment une plateforme pétrolière peut-elle disparaître ? Nous avons appris qu’elle n’avait pas disparu. L’Iran l’avait payée, mais pas complètement payée. La dernière partie a été payée avec du retard, et la compagnie constructrice l’a revendue à une autre compagnie dans le Golfe du Mexique. L’intermédiaire de cette transaction a empoché l’argent et ne l’a pas rendu. Plusieurs dizaines de millions de dollars ont disparu… Nous avons creusé et nous sommes arrivés à la conclusion que ce n’était pas la seule plateforme. Il y avait deux plateformes… Aujourd’hui, dans notre conférence de rédaction, un collègue a indiqué que plusieurs autres plateformes ont disparu. C’est le genre d’informations que le régime ne souhaite pas divulguer aux Iraniens… »

Si vous diffusez ce genre d’informations, les autorités rétorquent ou font savoir que vous n’êtes qu’une radio financée par le Congrès américain, à la solde de l’administration US ?

Armand Mostofi,  photo : Archives de Armand Mostofi
« Bien sûr, et du sionisme international et de la CIA et de l’arrogance mondiale et tous les autres noms que vous souhaitez ! »

Cela ne semble pas suffire à dissuader les Iraniens de vous suivre…

« Notre ancien PDG, ici, avait pour devise ‘Report news, tell truth' : nous transmettons les nouvelles, nous disons la vérité. Et en tant que journaliste, vous savez combien les gens, dans une société fermée, sont assoiffés de vérité. »

C’est risqué parfois pour vos journalistes et pour vous-même. Et surtout, cela veut dire que c’est difficile de rentrer au pays. Une de vos collègues en 2007 a eu des ennuis à Téhéran parce qu’elle était rentrée chez sa vieille mère…

Iran,  photo : Aquarius.geomar.de,  Wikimedia CC BY-SA 3.0
« Oui, elle a été coincée pendant plus de neuf mois en Iran. Depuis lors, on demande fortement à nos collègues de ne pas y mettre les pieds. En effet, personne n’y rentre. Danger physique ? Jusqu’alors non, nous n’avons rien eu. Danger disons de l’ordre de la menace psychologique, oui. Harcèlement ? Beaucoup. Sur les membres de la famille, particulièrement en Iran ? Oui, constamment. »

Radio Farda signifie Radio Demain. Et il y a des pages internet qui ont été créées en Iran, Radio Hier, où il y a des rumeurs et parfois des vraies informations sur les membres de vos équipes à la radio…

« Oui, un mélange d’informations interceptées dans nos communications ou sur nos pages Facebook et de mensonges. C’était uniquement pour harceler et mettre les gens sous pression psychologique. Ce n’était pas seulement ce site-là, il y en a plusieurs : des pages Facebook, d’autres sites. Les créateurs ou meneurs de cette campagne psychologique pensaient nous déstabiliser. Mais après plusieurs mois ou plusieurs années, je pense qu’ils sont désillusionnés… »

Carte des installations nucléaires iraniennes,  photo : Sémhur,  Wikimedia CC-BY-SA-3.0
Cet accord sur le nucléaire est-il crucial pour l’avenir de l’Iran et l’avenir du monde ?

« Pour l’avenir de l’Iran, certes, pour l’avenir du monde, n’exagérons rien… Pour l’Iran, c’est très important en raison des sanctions qui seront levées. Il y avait deux types de sanctions. Des sanctions qui n’avaient qu’une portée symbolique : le refus de visas pour les dirigeants iraniens – ils ne faisaient pas la queue devant les ambassades occidentales pour obtenir des visas ! – le gel de leurs avoirs dans les banques américaines et européennes – ils n’avaient pas d’avoirs ni de chalets en Suisse ! »

Photo : Dani Simmonds,  Free Images
« En revanche, quand les sanctions ont touché le transfert d’argent, les échanges bancaires, le système SWIFT, ça les a littéralement pris à la gorge : ils ont perdu des dizaines de milliards de dollars. Selon l’aveu des dirigeants iraniens eux-mêmes, 25 milliards de dollars ont été bloqués en Chine, 10 milliards en Inde, 35 milliards aux Emirats arabes unis, etc. Donc, ils ont été étranglés, c’est ça qui les a amenés à la table des négociations. »

« Un accord qui permet la levée des sanctions, bien sûr, pour eux, c’est un ballon d’oxygène. C’est très important pour le régime et son avenir. »

L’aboutissement de ces négociations suscite-t-il de l’espoir chez les Iraniens ?

La révolution verte en 2009,  photo : Hamed Saber,  CC BY 2.0
« Sur la vie matérielle et l’économie, oui, il y a beaucoup d’espoir. Sur l’emploi, les échanges commerciaux et les investissements étrangers, logiquement oui. Mais sur les droits de l’homme ou la liberté d’expression, non. Non seulement il n’y aura pas d’amélioration, mais il n’y a même pas d’espoir que cela puisse évoluer. »

Les attentes ont-elles diminué depuis l’échec de la révolution verte en 2009 ?

« Ce mouvement vert a été écrasé très brutalement, une chape de plomb est ensuite tombée sur l’Iran et n’a pas été levée depuis. N’oubliez pas que les dirigeants du mouvement vert (Mir Hossein Moussavi et Medhi Karoubi, ndlr) sont toujours privés de leur liberté, assignés à résidence. Cela montre que le régime a toujours peur de la répétition de ce type de mouvement. »

Ali Khamenei,  photo : Seyedkhan,  Wikimedia CC BY-SA 4.0
« Les dirigeant iraniens – pas seulement MM. Zarif et Rouhani mais aussi le guide suprême l’ayatollah Khamenei – ont dit clairement qu’ils négociaient uniquement sur la question nucléaire et surtout pas sur les droits de l’homme ! Tout est clair dès le premier jour. »

« L’autre facteur, c’est le facteur de la peur. Le fameux Daesh est à cinquante kilomètres à vol d’oiseau de la frontière iranienne. Donc, pour la défense du pays, les gens ont parfois tendance - et ont peut-être raison - de fermer les yeux sur certaines anomalies ici et là afin que la sécurité du pays tout entier ne soit pas en danger… »

Nous sommes dans vos locaux de Prague, d’où Radio Free Europe émet depuis vingt ans et son déménagement de Munich. Václav Havel avait insisté pour que le siège soit installé à Prague. Quel a été le rôle de la République tchèque dans le développement de cette radio ?

« Sans le soutien des gouvernements tchèques successifs aux droits de l’homme et à la liberté d’expression, Radio Farda ne pourrait pas émettre depuis Prague. Depuis douze ans que cette radio émet en persan, les dirigeants iraniens n’ont épargné aucune pression au gouvernement tchèque pour que cette radio soit réduite au silence. Je vous rappelle que l’Iran n’a pas d’ambassadeur en Tchéquie et n’accepte pas d’ambassadeur tchèque en Iran. Malgré toutes les pressions et les profits que les sociétés tchèques auraient pu faire en Iran, les autorités tchèques ont soutenu les droits de l’homme et la liberté d’expression. En tant que journaliste iranien, je les en remercie. »


Suite de cet entretien dans le prochain Panorama, le 21/7/2015