A Roztoky, un carnaval bien dans son temps

Photo: Vojtěch Ruschka

C’est un des carnavals probablement les plus en vogue en République tchèque depuis quelques années, et pourtant son histoire n’est encore que très récente. Mais c’est peut-être ce qui fait justement son succès : pas figé dans la tradition, le carnaval, organisé par Roztoč, une association de la commune, reste une fête vivante à laquelle tous ceux qui le veulent, et surtout les bénévoles, peuvent participer. Reportage à Roztoky, en Bohême centrale, où, samedi dernier, le carnaval fêtait son 20e anniversaire.

Photo: Vojtěch Ruschka
« Le programme commence en début d’après-midi avec beaucoup de musique, et surtout la danse de la ‘královna’ - reine. En effet, nous n'avons pas de roi, mais une reine, et même des reines, ce qui fait la spécificité de Roztoky… »

Roztoky et son Masopust : comme l’expliquent Dita et Magdalena, deux membres de l’équipe organisatrice, depuis quelques années maintenant, le temps d’une journée en période de carnaval, Prague devient la banlieue de Roztoky, commune de 8 000 habitants située à quelques kilomètres au nord de la capitale. Samedi dernier après-midi, grand soleil aidant, ils étaient plusieurs milliers, déguisés, masqués ou simples spectateurs, présents au château de Roztoky, point de départ de la fête, pour assister au premier temps fort du carnaval : l’élection de sa reine…

« Une nouvelle reine est élue chaque année. Les filles candidates doivent avoir au moins dix-huit ans pour pouvoir éventuellement boire de l’alcool, et être accompagnées de deux personnes qui assureront le rôle du 'cheval' et la porteront durant la procession. Dans leurs candidatures, elles doivent proposer quelque chose de spécial qui sera offert au public. Une fois par exemple, une prétendante a offert une tête de cochon pour la tombola. Quant à cette année, la particularité est que c'est la première fois que la reine est un homme ! »

Pour le vingtième anniversaire du carnaval, c’est effectivement une reine un peu particulière qui a été élue : « la plus douce des poilues » comme elle-même – entendez la reine David - s’est présentée à l’assistance. Une reine des temps modernes, diront peut-être certains…

Photo: Vojtěch Ruschka
Malgré l’élection chaque année d’une nouvelle souveraine, c’est encore une autre reine, une reine-mère en quelque sorte, qui règne sur le carnaval de Roztoky. Désormais reine émérite, Jitka Tichá a été la reine du carnaval durant ses dix premières éditions. Et pour cause : c’est elle qui a créé ce « Roztocký masopust ». Un peu plus de vingt ans plus tard, c’est toujours Jitka Tichá qui reste la principale organisatrice d’un événement qui a pris une ampleur que pas même elle n’imaginait initialement :

« Quand je suis arrivée à Roztoky il y a vingt-deux ans de cela, j’étais une étrangère et n’y connaissais personne. Cela a été une période très difficile de ma vie, car je venais d’une petite ville où tout le monde se connaissait et se rendait visite. Comme j’étais enseignante, j’avais aussi l’habitude de fêter le carnaval avec mes élèves… Et d’un coup, je me retrouvais seule avec quatre enfants sur les bras dans un endroit inconnu. Comme j’avais besoin d’une vie sociale plus active, j’ai décidé de réagir et l’organisation du carnaval a été ma réponse à ma solitude. »

Si, aujourd’hui, le carnaval de Roztoky, très photogénique pour le cadre qu’offre la commune, est reconnu y compris par les folkloristes pour son authenticité et son caractère vivant, cela n’était cependant pas l’idée de départ. Et ce d’autant moins dans une cité proche de Prague où il n’existait auparavant aucune tradition de carnaval. C’est donc pour d’autres raisons, comme l’explique Jitka Tichá, que ce « masopust » est devenu le phénomène actuel :

Photo: Vojtěch Ruschka
« J’ai organisé ou participé à des carnavals toute ma vie, partout où j’ai habité. Pour moi, le carnaval est la fête des fêtes dans laquelle s’associent de nombreuses célébrations qui figurent au calendrier d’une année. On y trouve des attributs à la fois du mariage, de l’enterrement, de Noël, de Pâques ou des fêtes de la moisson. Pour les gens, c’est l’occasion de se retrouver et de s’amuser ensemble. Même ici, malgré la proximité d’une grande ville comme Prague, les gens ont ce besoin naturel. Faire quelque chose ensemble, c’est exactement ce que je voulais. »

Une fois la nouvelle reine du carnaval élue, le moment vient pour le maire de Roztoky de lui confier ses pouvoirs et d’autoriser la foule à s’amuser comme bon lui semble jusqu’à minuit.

Le cortège, toujours avec les reines Jitka et David à sa tête, quitte alors le parc du château pour prendre la direction, au cours d’une longue procession, du lieu-dit de « Holý vrch ». Là, au sommet d’une petite colline entre plaine et forêt, se retrouvent les participants non seulement en provenance de Roztoky, mais aussi des communes voisines d’Unětice et de Suchdol. C’est l’autre temps fort du carnaval selon Magdalena et Dita :

« Nous ne faisons pas la 'promotion' du lieu comme quelque chose d’historique. Néanmoins, une amie qui participe au cortège des deux autres communes m'a expliqué ce que les gens ressentaient lorsqu'ils attendaient l'arrivée du cortège en provenance de Roztoky... Et elle m'a dit que cette attente était vraiment mystique. Il faut comprendre que les carnavaleux d’Unětice et de Suchdol arrivent à cet endroit qui est valloné avant nous. Du coup, ils entendent au loin la musique et le cortège de Roztoky se rapprocher, mais sans rien voir. Puis, d'un coup, les premiers masques et figures apparaissent en tête du cortège... »

« Que le point de rencontre des cortèges soit un lieu historique est un peu un hasard. Mais c'est vrai qu'il se trouve exactement à mi-chemin des trois communes et que ce rassemblement a une atmosphère assez mystique. »

Photo: Vojtěch Ruschka
Au milieu des personnages que sont la Mort, le Jeûne, les Juifs, les balayeuses, l’ours, les singes, le Cerf bleu et la biche, et bien d’autres encore, figures traditionnelles auxquelles tient beaucoup Jitka Tichá, sera alors exécutée la « Klibna », un curieux animal entre la jument, le chameau et la girafe, qui aura porté la reine tout au long de la procession.

« La ‘Klibna’ est un personnage spécial. Non seulement elle dirige tout le cortège, mais elle porte aussi en elle tout ce qui fait le carnaval, et notamment tous nos pêchés. C’est pourquoi nous la tuons une fois arrivés à Holý vrch. Avant cela, nous la condamnons pour tout ce qui a été raté à Roztoky, Unětice et Suchdol durant l’année écoulée… Mais bien sûr elle ressuscite peu de temps après, et elle reprend vie pour nous guider et nous emmener jusqu’au grand chapiteau où se poursuit la fête. »

Dans la plus pure tradition cette fois de tous les carnavals du monde, qu’ils soient de Roztoky, Unětice, Rio, Venise, Binche ou Dunkerque, ne reste alors plus qu’à aller boire, rire et manger ce que le gosier voudra bien ou, comme disent les Tchèques, « co hrdlo ráčí ».

Ce reportage étant d’abord un reportage radiophonique, nous vous recommandons de l’écouter plutôt que de le lire.