« La Tchéquie et la Tunisie, deux pays petits mais ambitieux »

L'ambassadrice Karima Bardaoui, photo: Ondřej Tomšů

Depuis sept mois, la Tunisie est représentée en République tchèque en la personne de son ambassadrice Karima Bardaoui, juriste de formation, ancienne journaliste puis diplomate à Paris ou à New-York. Nous avons invité Karima Bardaoui au micro pour faire le point des relations tchéco-tunisiennes.

Karima Bardaoui, j’étais agréablement surprise de découvrir dans votre CV que vous avez un passé journalistique radiophonique. Après avoir fait des études de droit et de sciences politiques, vous avez été animatrice d’émissions de variété sur Radio Tunis Chaîne Internationale (RTCI). C’était dans les années quatre-vingt-dix. Quel souvenir gardez-vous de cette période de votre vie ?

Maison de la Radio Tunis Chaîne Internationale,  photo: Tunisino²,  CC BY-SA 3.0
« J’en garde un excellent souvenir, c’est un passé que j’aime beaucoup, qui m’a appris énormément et dont je suis très fière. RTCI est une chaîne internationale où on parle français, anglais, espagnol, allemand… C’est une chaîne adressée à tous ceux qui sont de passage à Tunis, ou bien au Tunisiens qui sont férus de langues. Passer de la musique est quelque chose qui me passionne, je sais que les Tchèques sont des amoureux de musique, et de musique classique en particulier. Les Tunisiens aussi : durant la période où j’étais à Radio Tunis, nous passions souvent dans nos émissions des orchestres, des groupes de musiciens qui participaient au festival international qui s’intitule Octobre Musical de Carthage. Cette année encore, ce festival accueillera des musiciens tchèques. Les Tunisiens apprécient énormément la musique classique tchèque : vingt-deux participations des Tchèques sur vingt-trois éditions, je pense que les chiffres sont éloquents. »

Quelle est l’image que se font les Tunisiens de la République tchèque ?

« Les Tunisiens sont de plus en plus passionnés par ce pays. Pour eux, Prague est un musée à ciel ouvert. Pour les Tunisiens, la République tchèque, c’est bien sûr le président Václav Havel, c’est aussi le Printemps de Prague, la Révolution de Velours. C’est un peuple avec une histoire qu’on apprécie beaucoup, avec des monuments historiques qui sont classés et que les Tunisiens aiment découvrir. »

Avez-vous une idée du nombre de Tunisiens qui viennent passer leurs vacances ici ou qui ont envie de faire leurs études, d’avoir une expérience professionnelle ici ?

L'ambassadrice Karima Bardaoui,  photo: Ondřej Tomšů
« Nous avons besoin d’un visa Schengen pour venir en République tchèque donc les démarches sont un peu différentes et difficiles pour les touristes tunisiens. On compte quand même quelques milliers de Tunisiens qui viennent Tchéquie, mais nous n’avons pas de chiffres exacts, étant donné qu’ils se rendent souvent à Vienne, à Prague et à Bratislava : ils font tout le tour pour découvrir cette belle région. Pour les étudiants tunisiens, je suis ravie d’annoncer que nous sommes en train de négocier un projet d’accord de coopération entre l’Université de Tunis – El Manar et l’Université Charles pour un échange de professeurs et d’étudiants dans divers secteurs. Une fois finalisé, vous verrez de plus en plus de tunisiens étudiants, chercheurs et académiciens venir ici à Prague et parler de notre savoir-faire en matière de sciences par exemple et de technologie. »

Le touriste tchèque est aventurier et exigeant

Pour les Tchèques, la Tunisie est tout d’abord une destination de vacances attractive mais après les attentats terroristes de 2015, le nombre de vacancier tchèques en Tunisie a chuté à 40 000 pour se relever ensuite. En 2017, on était à 60 000 touristes tchèques en Tunisie et vous espérez cette année en accueillir plus de 80 000. Comment faites-vous pour attirer les Tchèques et qu’ils reviennent en Tunisie ? Quelle est la Tunisie que vous voulez leur présenter actuellement ?

Tunisie,  photo: BishkekRocks,  CC BY-SA 3.0 Unported
« La Tunisie que nous présentons est une Tunisie avant-gardiste qui se tourne vers l’avenir. Le tourisme tunisien se porte très bien, avec une année 2018 qui est tout simplement exceptionnelle. Nous allons, je l’espère, accueillir cette année plus de 84 000 vacanciers tchèques. Les touristes tchèques sont essentiellement des familles avec ou sans enfants mais de plus en plus de jeunes et de seniors s’intéressent à la Tunisie. Ces jeunes y trouvent une vie nocturne qui est très intéressante pour eux, mais également les plages, le soleil, le beau temps… C’est un climat qui est tempéré pratiquement tout au long de l’année. Les seniors trouvent aussi ce dont ils ont besoin : une infrastructure de qualité, une alimentation saine et également des spas, thalassos… Nous avons compris que le touriste tchèque était exigeant alors nous lui offrons un tourisme de qualité pour qu’il reste fidèle à la destination. Par exemple, 40% des touristes tchèques partent à Djerba mais également beaucoup restent fidèle à Mahdia, Hammamet et Sousse, donc les villes côtières dans le Sahel. »

Y-a-t-il des villes et des destinations encore peu visitées par les Tchèques que vous voudriez leur faire découvrir ?

« Le touriste tchèque est très aventurier. Il est toujours partant quand il s’agit d’excursions, de partir en 4x4 pour visiter le Sud tunisien, le Sahara… Nous lui offrons justement une panoplie d’activités intéressantes de loisirs pour qu’il ne reste pas assis sous un parasol ou dans un transat à regarder la mer. Le touriste tchèque est un touriste curieux et nous aimons ça. »

Et un lieu que vous recommanderiez en particulier ?

« Je recommanderais d’aller un peu plus vers Dougga, d’aller vers El Jem. El Jem est un amphithéâtre qui est tout simplement exceptionnel. Découvrir davantage la banlieue Nord de Tunis où nous avons Carthage, avec tout le mythe qui l’entoure. Nous avons énormément de sites archéologiques, il suffit juste de se laisser guider par des guides touristiques professionnels et ils vous invitent à découvrir une Tunisie séculaire que peut-être peu connaissent. »

L'amphithéâtre El Jem,  photo: Diego Delso,  CC BY-SA 4.0

Par ailleurs, une exposition de photographies vient d’être inaugurée à Tunis, au Musée national. C’est une exposition de photographies prises par des touristes tchèques et slovaques dans l’entre-deux guerres. Pourriez-vous la présenter ?

L'exposition 'Sous le soleil brûlant de l'Afrique',  photo: Musée national
« Cette exposition qui s’intitule ‘Sous le soleil brûlant de l’Afrique’ est une exposition de photographies qui célèbre le centenaire de la Tchécoslovaquie dans notre pays. C’est 150 photos de différents formats, représentant notamment l’histoire des relations de la Tunisie et de la Tchéquie. Elles sont exposées au musée du Bardo et c’est une collection de photos historiques prises en 1890 et 1936 et qui reflète le regard des Tchécoslovaques sur la Tunisie de l’époque. Il s’agit d’une première, on espère que la coopération entre nos deux musées s’intensifie. Nous avons un projet de mémorandum d’entente dans le domaine de l’archéologie et de la muséologie et on espère justement pouvoir bénéficier de votre expérience, notamment en matière de conservation, de restauration et de numérisation de documents historiques. J’appelle d’ailleurs tous les touristes tchèques qui sont en partance pour la Tunisie à passer au musée du Bardo pour découvrir ce que les Tchécoslovaques de l’époque pensaient de la Tunisie, rien qu’à travers leur regard de photographe. »

La présidente de l’Académie des Sciences souhaite connaître des chercheuses tunisiennes

Vous-êtes en poste à Prague depuis décembre 2017. Avez-vous choisi la République tchèque ? Quelles sont vos priorités et vos objectifs en matière du développement des relations bilatérales ?

« Prague a été un cadeau pour moi. Je suis ravie de me retrouver dans un pays exceptionnellement beau, dans un petit pays qui enregistre des chiffres économiques exceptionnels. Je trouve beaucoup de similitudes avec la Tunisie qui est également un petit pays très ambitieux. Nous pouvons collaborer par exemple dans le domaine de la science. Je suis ravie d’avoir rencontré la présidente de l’Académie tchèque des Sciences, Madame Eva Zažímalová qui souhaite collaborer avec la Tunisie et surtout connaître les femmes chercheuses, très nombreuses en Tunisie, car elles constituent plus de la moitié des chercheurs en général. Je suis aussi plus que convaincue que nous avons beaucoup de choses à partager en matière de diplomatie économique. Notre secrétaire d’Etat en charge de la diplomatie économique est venu en République tchèque en avril dernier. Il a entre autres visité l’entreprise Škoda Auto, pour intensifier notre collaboration. »

La Tunisie a également participé au salon alimentaire Salima qui s’est tenu en février dernier à Brno. Quels sont les contacts entre les entreprises tchèques et tunisiennes dans le domaine agro-alimentaire ? Les médias ont beaucoup parlé de la récolte record des olives dans la saison 2017/2018 en Tunisie. Les entreprises tchèques, peuvent-elles par exemple apporter une aide à la Tunisie en matière de remplissage de l’huile d’olive ?

Le salon international Salima à Brno,  photo: BVV
« La délégation tunisienne que j’ai accompagnée au salon international Salima était impressionnée par les diverses expériences des exposants. Actuellement, nous développons en Tunisie un secteur clé, celui de l’agriculture organique, biologique. Ainsi, nous avons évidemment exposé à Brno des produits comme des dattes ou de l’huile d’olive. Cette année, nous avons effectivement enregistré une récolte d’olives exceptionnelle. Par ailleurs, l’huile d’olive tunisienne a reçu énormément de médailles aux salons internationaux, dont celui au Canada auquel nous avons participé dernièrement. A Brno, nous avons essayé de voir quels sont les secteurs porteurs qui pourraient permettre aux entreprises tunisiennes d’être présentes sur le marché tchèque. Il existe de nombreuses possibilités : les B2B, le networking… Des hommes d’affaires tunisiens ont pris contact avec des hommes d’affaires tchèques et ils sont en train de négocier. »