Une particularité du communisme tchécoslovaque ?

Existe-t-il une particularité du communisme tchécoslovaque, par rapport à d’autres pays de l’Europe centrale ? Nous avons posé la question, et certaines autres encore, à l’historienne française Françoise Mayer, l’auteur du livre qui vient de paraître en version tchèque intitulé Les Tchèques et leur communisme et qui a pu vivre en personne, pendant quelques années, cette expérience dans l’ancienne Tchécoslovaquie.

« Je pense que chaque pays a eu une expérience particulière du communisme, même si par beaucoup d’aspects, on retrouve des traits communs d’un pays à l’autre, notamment dans le calendrier de la prise de pouvoir, des grands procès, d’une répression d’abord stalinienne ensuite plus douce, extérieurement, mais en fait tout aussi présente. Mais ce qui change par rapport à d’autres pays, c’est 1968, la réforme, c’est son échec, c’est l’invasion et l’occupation soviétique. Je pense que dans la trajectoire communiste tchécoslovaque, il y a l’avant et l’après 1968 et le rôle particulier de la dissidence, l’évolution particulière aussi du parti communiste tchèque qui était fondamentalement opposé à tout esprit de réforme et donc il y a une évolution dans les années 1970 et 1980 qui diffère quand même très très sensiblement de ce qui se passe dans les pays voisins. Chaque pays a son expérience et en 1989 il y a les héritiers de cette expérience qui ont quelque chose à faire, quelque chose à dire pour construire cette démocratie qui est née en 1989 ».

Dans les années 1980, vous avez vécu pendant un certain temps en Tchécoslovaquie. La chute du régime communiste était-elle prévisible ?

« Pour moi non. Je n’ai jamais envisagé à l’époque, quand je vivais ici entre 1982 et 1986, qu’un jour cela se terminerait. Je ne pensais absolument pas ça, d’autant que je rencontrais très souvent des personnes qui me parlaient de façon absolument désespérée de la situation et qui en appelaient presque la Troisième Guerre mondiale pour sortir de ce système. J’ai pensé que ce système pouvait peut-être s’aménager, s’adoucir, mais certainement pas se terminer. J’étais vraiment très surprise. A partir de Tien an men, j’étais à l’époque aux Etats-Unis et j’ai passé tout l’été et une partie de l’hiver scotchée sur CNN en train de suivre les actualités dans le monde, en Chine d’abord, puis en Europe centrale. Et même en novembre, j’imaginais éventuellement que Vaclav Havel serait ministre de la Culture, mais certainement pas président de la République. J’ai évidemment changé très vite en suivant l’actualité et en voyant que cela était possible. Donc pour ceux qui disent et affirment que tout était prévisible, je suis assez étonnée, parce que ce n’est pas le souvenir que j’ai, ni les souvenirs de lecture. Donc je suis un peu surprise quand à l’occasion de cet anniversaire on entend assez fréquemment que les choses allaient vers cette chute ».

Quel pays avez-vous retrouvé en 1993 ?

« J’ai retrouvé un pays qui bougeait, un pays bruyant, puisque le souvenir que j’ai des années 1982 – 1986 est celui d’un pays extrêmement silencieux, dans les rues, d’un pays où l’on intériorisait certaines pratiques dans la vie quotidienne, comme celle de parler très rapidement au téléphone ce que l’on ne fait plus, d’éviter de trop bavarder, d’avoir toujours quelques réticences à se livrer lorsqu’on rencontrait des personnes et puis une méfiance généralisée… c’est un souvenir que j’ai balayé très vite en 1993, parce que j’étais prise dans le changement et moi-même très très occupée au Cefres à construire des coopérations. Je crois que j’avais donné une interview à l’époque et j’insistais beaucoup plus sur les continuités que sur les ruptures et immédiatement lorsque je me suis retrouvée sur le trottoir devant le bâtiment de la radio je me suis dit, mais comment ai-je pu dire ça, comme ai-je pu oublier tous les réflexes de méfiance que nous avions quand nous vivions dans ce pays. Ce qui prouve bien que les choses n’étaient pas forcément extrêmement difficiles, extrêmement douloureuses, mais nous avions tous la conviction que tout n’était pas permis, et qu’il fallait avoir un très gros contrôle sur ce qu’on disait et sur son comportement. Après 1993, ce n’est plus le cas ».