Tergiversations autour de la prochaine présidence tchèque de l’UE

Photo: Commission européenne

La présidence tchèque de l’Union européenne qui débutera dans moins d’un mois et tout ce qui la concerne – voilà le thème qui marque les médias tchèques de ces derniers jours. Et c’est bien entendu le Traité de Lisbonne qui suscite une assez profonde controverse au sein de la scène politique, qui est au cœur du débat.

Václav Klaus
La ratification du Traité de Lisbonne en République tchèque a un adversaire de taille : le président de la République, Václav Klaus. Pourtant, en février dernier, en se présentant en tant que candidat à la réélection au poste de président de la République, il avait déclaré pour la télévision tchèque:

« En ce qui concerne le Traité de Lisbonne, mes réserves sont connues. Toutefois, je respecte la position du gouvernement, je ne me suis pas engagé dans une bataille contre ce document, et je ne m’engagerai pas non plus quand il s’agira de sa ratification ».

Aujourd’hui, Václav Klaus s’oppose ouvertement au processus de la ratification du Traité qui, pour lui, est « un document mort ». Il en a fait preuve récemment dans son intervention pendant les assises de la Cour constitutionnelle censée décider de la compatibilité du Traité avec la Constitution tchèque. Il en a donné une nouvelle preuve dans un entretien accordé à l’édition de samedi dernier du quotidien Mlada fronta Dnes, dont nous avons choisi quelques extraits.

« Pour le pays, il n’y a pas d’alternative autre que l’appartenance à l’UE », avoue Václav Klaus, mais d’ajouter : « Il est pourtant légitime de discuter de l’organisation des choses au sein de l’Union. Mon ambition n’est pas une EU bureaucratique qui fonctionne bien… Mon ambition est de maintenir la liberté et la démocratie en Europe… »

Photo: Commission européenne
S’agissant du Traité de Lisbonne, le président de la République articule ses réserves en ces termes, nous citons :

« Il est évident que ce Traité aura pour conséquence le transfert d’importantes compétences des Etats à Bruxelles. C’est ce que le Traité de Lisbonne indique explicitement. Une soixantaine de domaines relèvera désormais des décisions prises au niveau de l’Union européenne et pas au niveau des Etats. Une autre chose fondamentale : l’élargissement du vote majoritaire par rapport au vote à l’unanimité. Cela signifie la perte de la souveraineté… Il y a une possibilité raffinée et compliquée de transférer les compétences à Bruxelles. Le fait que Madame Merkel ait réussi à manipuler les politiciens européens en faveur du Traité de Lisbonne, ça c’est une autre chose ».

Ladislav Jakl, secrétaire de Václav Klaus, est allé plus loin encore dans un débat télévisé diffusé dimanche par la Télévision publique tchèque. Il a dit :

«Il est bon qu’un document aussi important que le Traité de Lisbonne soit soumis à la Cour constitutionnelle, car c’est un document qui en fait veut dissoudre la République tchèque en tant qu’Etat souverain et indépendant ».

Au lendemain du verdict de la Cour constitutionnelle qui a examiné certaines parties du Traité et qui a confirmé sa conformité avec la législation nationale, des spéculations sont apparues sur la possibilité de la création d’un nouveau parti de droite eurosceptique. Le nom de Václav Klaus est décliné dans ce contexte. A la question posée par le quotidien Mlada fronta dnes, « Seriez-vous prêt à soutenir un tel parti s’il avait un programme qui vous serait proche ? », il a répondu :

« Il est absolument nécessaire qu’il y ait un parti qui porte un regard réaliste sur les processus qui se déroulent dans l’Europe d’aujourd’hui, qui ne s’inclinerait pas humblement devant les puissants en dehors de nos frontières. Je considère qu’un tel parti serait terriblement nécessaire, chez nous et partout en Europe. Je soutiendrais certainement un tel projet. A en juger d’après le nombre de courriels que j’ai reçu suite à mon discours devant la Cour constitutionnelle à Brno, un tel parti aurait désormais assez d’adhérents ».

Un démantèlement du Parti civique démocrate (ODS) qui semble traverser une crise, après l’échec aux récentes élections régionales et sénatoriales, est-il à attendre ? Les interrogations dans ce sens vont bon train et on en saura certainement davantage à l’issue du congrès de ce principal parti gouvernemental qui se déroulera ce week-end à Prague. Et qui décidera, aussi, de ses futures approches vis-à-vis de l’agenda européen. Tandis que le Premier ministre Mirek Topolánek et actuel chef de fil du parti soutient la ratification du Traité de Lisbonne, son rival, le maire de Prague, Pavel Bem, y est fermement opposé.

Et encore une brève citation d’un commentaire paru à ce sujet dans l’édition de mercredi du quotidien économique HN. Son auteur Petr Fischer écrit :

« Les peurs aux couleurs nationalistes face au Traité de Lisbonne témoignent peu du contenu du document, mais beaucoup de la façon de penser des gens qui les formulent… Peut-on imaginer qu’en l’an 2008, on trouve à la tête de la hiérarchie politique des ‘penseurs’ qui lient un traité aussi complexe et équilibré à des craintes de perte d’une souveraineté et indépendance mythologiques ? »

« Une présidence risquée ». C’est sous ce titre que l’hebdomadaire littéraire, Literární noviny, a publié un commentaire au sujet de la présidence tchèque de l’Union européenne. Le regard du journaliste Ivan Hofmann est assez sceptique et critique. Selon lui, « L’Europe ne peut pas être sûre de ce qu’elle peut attendre d’un petit pays, fauteur de troubles, tandis que la représentation politique tchèque fait semblant d’ignorer ce qu’elle peut attendre des bureaucrates bruxellois quelque peu suspects ». Il écrit :

« La République tchèque sera représentée par des gens qui n’ont pas de vision proeuropéenne, car ils se positionnent par rapport à l’Europe, au lieu de s’y référer. Ainsi le seul homme politique qui semble se réjouir de la présidence tchèque, est le président qui refusera ostentatoirement de hisser le drapeau européen au Château de Prague ».

Selon l’auteur de l’éditorial paru dans l’hebdomadaire littéraire LN, la présidence tchèque devrait être rigoureusement contrôlée, plus d’un point de vue civique que politique. Il estime que l’actuelle crise risque de donner aux politiciens européens envie de démonter les règles communes au nom des « intérêts nationaux ». Le scepticisme tchèque pourrait allait de pair avec de telles tentations. A la fin de l’article, nous pouvons lire :

« Défendre l’Europe comme un concept spirituel sera désormais de plus en plus difficile. La difficulté apparaît quand il s’agit de définir nos valeurs communes. A vrai dire, ce que nous avons en commun, c’est la consommation. On a scié pratiquement l’ensemble des branches sur lesquelles on est assis. Les branches écologiques, culturelles, civilisatrices, économiques… Il faut se demander si l’on dispose encore d’assez d’instinct de conservation qui serait à même de nous arracher à notre léthargie. Espérons que oui, car compter sur les politiciens serait suicidaire ».