Le séjour « provisoire » des soldats soviétiques en Tchécoslovaquie a duré 23 ans

Le 21 juin, vingt ans se sont écoulés depuis le départ de l’ancienne Tchécoslovaquie du dernier convoi militaire russe pour l’Union soviétique. L’édition de ce mardi du quotidien Lidové noviny rappelait certains aspects de cet événement le replaçant dans un contexte historique... Dans une des précédentes éditions du même journal, nous avons également pu lire un article consacré, comme son titre l’indique, « aux nouveaux martyrs tchèques ».

Le départ de l'Armée Rouge,  photo: ČT
Le séjour des soldats soviétiques sur le territoire tchécoslovaque qui s’y sont installés au lendemain de l’écrasement du fameux Printemps de Prague, un séjour prétendument « provisoire », a duré vingt-trois ans.

L’invasion du pays par les troupes du Pacte de Varsovie dont le but consistait à étouffer le mouvement de démocratisation et de réforme, a démarré dans la nuit du 21 août 1968. Près d’un demi-million de soldats, pour la plupart des unités soviétiques, ont pris alors part à l’opération qui a coupé court au vent de liberté ayant déferlé pendant plusieurs mois sur le pays. Ce sont d’ailleurs celles-ci qui sont restées en Tchécoslovaquie dès la signature du Protocole de Moscou qui a donné le coup d’envoi au processus de « normalisation », les soldats d’autres Etats « frères » s’étant en grande partie retirés.

« Cinq divisions terrestres et une division aérienne, soit au total près de 75 000 soldats », tels étaient, comme le rappelle le journal Lidové noviny, les effectifs militaires soviétiques établis en territoire tchèque et slovaque, entre les années 1968 et 1991. Et d’ajouter que « leur nombre est demeuré pendant toutes ces années pratiquement stable ».

A deux exceptions près : « en hiver 1969, suite aux émeutes au centre de Prague provoquées par la victoire des hockeyeurs tchécoslovaques sur la sélection soviétique aux championnats du monde, un renfort de 8 000 militaires a été envoyé dans le pays, tandis que 1 500 soldats russes ont quitté le territoire vers la fin des années 1980, dans le cadre de la réduction de l’Armée rouge mise en place sous la direction de Mikhaïl Gorbatchev ».

L’armée soviétique disposait dans le pays occupé de plus de quatre-vingts garnisons. Son état major se trouvait à Milovice, ville de Bohême centrale située à 35 kilomètres de Prague, amenée à accueillir quelque 20 000 soldats avec leurs familles. Les autres garnisons ont été réparties dans une trentaine d’autres villes, tchèques et slovaques, à travers tout le pays, dont on ne citera qu’Olomouc et Mladá Boleslav.

Le journal Lidové noviny rappelle en outre qu’après la Deuxième Guerre mondiale, la Tchécoslovaquie était le seul pays de l’Europe centrale et orientale, d’où l’armée soviétique s’était retirée quelques mois après la fin de la guerre. Une réponse au fait que la partie occidentale de la Tchécoslovaquie avait été libérée au printemps 1945 par les Américains qui, eux, ont quitté le pays à la même date que les Soviétiques. A ce sujet, il remarque :

« Dès le début des années 1960, les Soviétiques avaient beaucoup de mal à accepter l’absence de leur propre armée en Tchécoslovaquie. C’est effectivement à cette époque-là, qu’ils ont réalisé qu’une grande partie des forces armées, sur lesquelles le Pacte de Varsovie comptait, n’y existait que ‘sur papier’. Jusqu’au mois d’août 1968, les dirigeants communistes tchécoslovaques ont réussi à résister à la pression de Moscou ».

Après la chute du régime communiste en novembre 1989, le départ des troupes soviétiques a été une des premières revendications présentées par le public tchécoslovaque. Par ailleurs, dès le mois de décembre de cette même année, le gouvernement qualifie l’invasion par les troupes du Pacte de Varsovie d’acte violant les normes relatives aux relations entre Etats souverains. Le quotidien Lidové noviny écrit :

« Les négociations sur le départ des troupes soviétiques ont commencé immédiatement après la révolution de velours. L’accord définitif dans lequel la partie russe s’engageait à faire partir le dernier soldat russe d’ici à la fin du mois de juin 1991, a été adopté en février 1990 et signé par les chefs des diplomaties des deux pays de l’époque, Jiří Dienstbier er Edouard Shevarnadze. C’est ce qui s’est réellement passé, le dernier convoi ayant franchi la frontière le 21 juin 1991. Six jours plus tard, le commandant en chef des troupes soviétiques, Edouard Vorobïev, quitte définitivement la Tchécoslovaquie. » Et le journal de préciser :

« Pendant ce délai, il a fallu déplacer non seulement 73 500 soldats, mais aussi 39 000 membres de leurs familles, 1 220 chars, 2 500 blindés, 105 avions, 175 hélicoptères et 95 tonnes de munitions. » Autant d’effectifs et d’équipements implantés dans le pays pendant l’occupation soviétique.

Le grand déplacement à destination de l’est s’est effectué sous forme de près de 900 convois, le plus souvent par voie ferrée.

Dans la page consacrée au vingtième anniversaire du départ du pays des derniers soldats russes, le quotidien Lidové noviny cite aussi les souvenirs de certains d’entre eux. Une occasion de constater qu’aujourd’hui encore, beaucoup considèrent l’opération à laquelle ils ont participé comme « une aide fraternelle » accordée à la population tchécoslovaque.

L’invasion de la Tchécoslovaquie par les troupes du Pacte de Varsovie et le « séjour provisoire » de 23 ans de l’armée soviétique ont coûté la vie à près de trois cents Tchèques et Slovaques... Les dégâts matériels causés, qui ont été chiffrés à plus de six milliards de couronnes et qui sont notamment d’ordre écologique, n’ont pas encore été entièrement liquidés. Predel Il y a quelques semaines, la Chambre des députés a donné son aval à la loi sur la résistance anti-communiste. Une des récentes éditions du quotidien Lidové noviny s’est penchée dans ce contexte sur un chapitre qui a été jusqu’ici assez peu traité : celui des persécutions et des victimes dans les rangs de l’Eglise catholique. Dans un article intitulé « Les nouveaux martyrs tchèques », nous pouvons lire :

« La liste des nouveaux martyrs et victimes qui a été à cette fin rédigée par des commissions de théologiens et d’historiens compte 234 personnes – prêtres, religieux, laïques, tous ceux qui se sont opposés aux régimes nazi et communiste, éventuellement qui sont morts lors du transfert des Allemands en 1945. »

Il reste désormais à brosser les portraits de l’ensemble des victimes, afin de mener à bien le projet qui est dirigé par l’Académie chrétienne tchèque et qui a été initié par le pape Jean-Paul II. Son but consiste à établir la martyrologie nationale du XXe siècle. Dans les pages du journal, le coordinateur du projet Jan Stříbrný explique :

« Notre travail a deux niveaux. D’abord, il s’agit d’apporter de nouvelles connaissances à l’histoire nationale moderne et de renouer avec ce qui avait été fait dans ce domaine par les juifs et par les protestants. Deuxièmement, il s’agit d’établir une martyrologie officielle ».

Les hommes et les femmes qui figurent sur la liste en question ont connu des sorts différents. Ils ont pour autant un trait en commun : une foi profonde et des sentiments patriotiques très forts, dont ils ont fait preuve tant pendant l’occupation nazie que sous le communisme.

Jan Bula
« Les histoires de certains martyrs sont extraordinaires», peut-on lire dans le journal. Parmi tant d’autres, il rappelle celle du très jeune prêtre, Jan Bula, l’un des trois prêtres exécutés en 1952 dans le cadre de l’action « Babice », initiée par la police d’Etat, ou encore celle de Bohuslav Burian, prêtre de Slavonice en Bohême du sud : « Rescapé des camps de concentration d’Auschwitz et de Buchenwald, il a servi dès le coup d’Etat communiste en 1948 de passeur, faisant franchir clandestinement la frontière à plusieurs personnes qui voulaient se sauver devant le régime communiste... Arrêté, il a été de nouveau mis en prison pour être soumis à un régime très sévère. En 1960, il est décédé dans un hôpital pénitentiaire, à l’âge de quarante ans seulement ».

Sur la liste des martyrs tchèques du XXe siècle, on ne trouve qu’une dizaine de femmes. Cela pourrait s’expliquer par le fait, signale Jan Stříbrný, « que les représailles à l’égard des femmes ont quand même été moins massives que, par exemple, en Pologne ou en Union Soviétique ».

Josef Plojhar
Le journal évoque également la collaboration de certains prêtres avec le régime communiste. Le cas notoirement connu est celui de Josef Plojhar, chef du Parti chrétien tchécoslovaque après la guerre, et ministre de la Santé publique de 1948 à 1968. Son nom est devenu dès lors le synonyme de collaborateur et de traître.