L’anniversaire du 17 novembre : des échos dans les médias tchèques

Photo: CTK

Le lundi 17 novembre, 19 ans se sont écoulés depuis le jour de l’éclatement de la Révolution dite « de velours » qui a donné le coup d’envoi à la chute du régime communiste. Nous avons suivi certains échos à l’anniversaire de cet événement historique crucial.

Václav Havel,  photo: CTK
Cette année, nous l’avons déjà dit dans nos émissions précédentes, les festivités liées à l’anniversaire de la Révolution de velours ont été plus houleuses que jamais : il y a eu notamment de durs affrontements dans la ville de Litvínov, en Bohême du nord, entre les néonazis et la police, et même l’avenue Národní à Prague, le principal lieu de la manifestation estudiantine du 17 novembre 1989, donc le lieu traditionnel de piété et des commémorations se déroulant dans la capitale, a été le théâtre d’agitations.

La présence, à cet endroit, de plusieurs dizaines d’adversaires de l’installation sur le territoire tchèque d’une base radar américaine a été mal vue par les autres participants. A cette occasion, Václav Havel, un des principaux protagonistes des journées révolutionnaires de novembre 1989, qui allait devenir président de la République, et qui s’est rendu sur les lieux, a fait pourtant preuve de plus d’indulgence.

« Je comprends que les jeunes gens ont besoin de se révolter contre l’establishment. Et s’ils ne protestent que contre l’implantation du radar en Tchéquie, alors il ne s’agit finalement que d’une assez bonne nouvelle. »

Dans un entretien accordé à l’édition de samedi dernier du quotidien Lidové noviny, Václav Havel, a pourtant été plus catégorique :

Václav Havel,  photo: CTK
« Il me semble qu’une partie de la population souffre de nostalgie des bras solides tendus de l’Est…On voit des gens protester contre l’implantation du radar antimissile sur le territoire tchèque. Les Américains nous ont si souvent aidé et, une seule fois, ils veulent que nous on les aide un peu, tout en aidant indirectement nous-mêmes… Et au lieu de cela, nous nous révoltons. Au moment où on ne risque plus rien, où c’est légal. »

D’autres aspects du climat et de la situation dans la société d’aujourd’hui sont également évoqués dans cet entretien qui trahit un assez profond scepticisme de l’ex-président tchèque. En réaction au fait que les communistes montent en puissance au niveau régional, il va jusqu’à constater : « Un moment je me suis dis que l’on a peut-être fait tout cela en vain ».

Dans cet entretien, il répond aussi aux reproches souvent formulés à son encontre, à savoir de ne pas avoir agi en vue de l’interdiction, le lendemain de la chute du régime, du parti communiste. Il trouve cette accusation absurde, car c’est le Parlement et pas lui qui avait le pouvoir de le faire.

Pour Václav Havel, certaines questions fondamentales dont il a été préoccupé sous le communisme et qu’il avait par exemple soulevées dans sa fameuse « lettre à Gustáv Husák », demeurent d’actualité encore aujourd’hui. Il dit :

« ..Il y a le problème du technocratisme. L’ensemble de nos partis, de gauche à droite, insistent sur le développement matériel, tandis que la culture et la science n’en sont que dérivées. Cette façon de penser est propre, tant bien que mal, à toute la sphère politique. Même le Parti des Verts, qui m’est relativement le plus proche, n’ose pas répondre à une question on ne peut plus simple : pourquoi tout devrait croître si nous sommes toujours aussi peu nombreux? Pourquoi une croissance incessante de l’industrie, de la production ? Pourquoi les villes s’étendent au point qu’il n’y aura plus bientôt d’espace vert ? Tout est appelé à croître, à se multiplier, à être cumulé… Voilà pour moi la question cruciale de notre époque. »

Les réactions de certains dissidents aux propos de Václav Havel, publiées dans Lidové noviny, sont négatives… Jiří Dienstbier, ex-ministre des Affaires étrangères, estime que les communistes d’aujourd’hui ne sont ni staliniens, ni nostalgiques du socialisme réel, d’où sa conviction que« brandir le fantôme des communistes est déplacé»… Et la sociologue Jiřina Šiklová d’ajouter que « les communistes d’aujourd’hui sont des propriétaires de sociétés, donc des capitalistes plus convaincus que ceux qu’ils avaient attaqués à l’époque»… Ivan Medek, ex-chancelier de Václav Havel, déclare quant à lui qu’ « au moment décisif, Václav Havel n’a pas eu le courage d’interdire le parti communiste, ce qu’il aurait dû soutenir moralement. » Selon Medek, « les communistes auraient dû être interdits tout comme l’avaient été les fascistes ».

Václav Klaus,  photo: CTK
La presse de cette semaine fait, en outre, remarquer l’absence aux commémorations du 17 novembre du président de la République, Václav Klaus s’étant excusé pour cause de fatigue. A en juger, d’après les réactions dans les médias, cette première absence présidentielle est vue d’un œil assez critique.

« Nous avons été tous battus, à Janov », titre un des nombreux articles qui réagissent aux affrontements qui se sont produits, lundi, à Litvínov, et qui ont été provoquées par des néonazis cherchant à « punir » la population rom habitant un quartier périphérique de la ville. Le politologue Jan Charvát écrit, dans un article publié dans l’édition de ce mercredi du quotidien Mlada fronta Dnes, qu’il existe une étroite collaboration entre le Parti ouvrier tchèque concerné et le NPD allemand, deux formations d’extrême droite. Cette collaboration et le populisme assurent au Parti ouvrier du succès auprès de la population majoritaire locale laquelle, rappelons-le, lui a manifesté certaines sympathies. Il explique :

«Le Parti ouvrier ne présente aucune solution, pourtant, il a su convaincre les habitants locaux qu’il était le seul parti prêt à les écouter. C’est un grand atout dans la situation d’une profonde frustration sociale… Lorsque les gens ont l’impression qu’il n’y a personne à leur prêter oreille et que personne ne veut résoudre leurs problèmes, il n’est guère étonnant qu’ils applaudissent celui qui leur prête attention, même si ce sont des néonazis. »

Litvínov,  photo: CTK
Selon l’auteur de l’article, à l’avenir, les activités du Parti ouvrier vont se multiplier et se renforcer. Et s’il y a, d’après lui, lieu de dénoncer l’impuissance de la police, des critiques devraient être adressées, aussi, à toute la société tchèque. Il écrit :

« Il y a un an, on a pu voir dans les rues de Prague de nombreux adversaires du nazisme qui ont manifesté contre un défié néonazi à travers la Cité juive. En revanche, tout le monde se tait quand il s’agit d’un défilé raciste à travers les ghettos roms ».

Dans l’édition de mercredi du quotidien Právo, on a pu lire une note de Jiří Hanák qui constate :

« On n’a plus beaucoup de temps. Pour la première fois à Litvinov, des citoyens respectables ont légitimé les opinions racistes en exprimant leur soutien aux néonazis. Je veux croire que c’est un acte de désespoir, car l’Etat passe sous silence leurs problèmes… Cette hirondelle devrait demeurer isolée. Pour que l’on ne soit pas surpris aux prochaines élections par la popularité dont pourrait jouir l’extrême droite auprès des citoyens ».