La presse commente le succès des communistes aux élections régionales

Les communistes Jiří Dolejš et Vojtěch Filip, photo: CTK

Les analyses et commentaires se rapportant aux résultats des récentes élections régionales et sénatoriales partielles en Tchéquie ont largement alimenté la presse tout au long de la semaine écoulée. Le succès des communistes, succès jamais vu depuis la révolution de novembre 1989 et décrit par certains médias étrangers comme « une perte collective de mémoire », a soulevé de nombreuses interrogations, dont voici quelques extraits... Dans la seconde moitié de ce magazine, nous rappellerons également un événement qui s’est passé il y a cinquante ans.

Les communistes Jiří Dolejš et Vojtěch Filip,  photo: CTK
Par rapport aux précédentes élections régionales, il y a quatre ans, les communistes ont obtenu près de 100 000 voix de plus. Un constat qui tord le cou à l’hypothèse formulée par certains politologues selon laquelle les communistes allaient tant bien que mal quitter pour de bon la scène politique tchèque. Toutefois, le fait que le parti communiste ait obtenu de bons résultats dans presque toutes les régions, arrivant même en première position dans deux d’entre-elles, n’a pas provoqué une vague de réactions alarmistes. Le politologue Igor Lukeš, établi depuis les années 1970 aux Etats-Unis, l’a exprimé dans un entretien sur le serveur ihned.cz :

« Je ne suis pas surpris, mais je suis tout de même profondément déçu. Jusqu’au dernier moment, j’ai espéré que les gens allaient trouver une meilleure solution... Cela dit, il ne s’agit pas d’une immense catastrophe. »

Jan Macháček, de l’hebdomadaire Respekt, ne pense pas, lui non plus, que, dans la vie pratique, le succès des communistes puisse changer grand-chose. Cela ne l’empêche pas de se sentir indigné. Pourquoi ? Jan Macháček explique :

« Pour moi, il s’agit en premier lieu de choses d’ordre esthétique et de piété. Un parti non réformé qui utilise l’adjectif ‘communiste’ – voilà une façon de vexer les victimes du précédent régime et leurs familles. Esthétiquement parlant, j’ai du mal à voir tous ces visages décorés de cerises, symboles du parti communiste... Oui, tout cela, c’est d’abord et avant tout dégoûtant ».

ODS,  photo: CTK
L’ensemble des médias s’accordent sur le fait que les électeurs ont sanctionné par leur vote les deux principaux partis qui existent sur l’échiquier politique tchèque, en premier lieu le Parti civique démocrate (ODS) et, dans une nettement moindre mesure, la social-démocratie (CSSD). Jiří Leschtina, du quotidien économique Hospodářské noviny, précise :

« Les électeurs se sont détournés de ces deux partis, et ce bien que leur alternance au pouvoir devrait garantir la stabileté de la démocratie... Leur échec traduit à quel point le grand public est dégoûté par la politique. Ce dégoût est beaucoup moins la conséquence du plan d’austérité mis sur pied par le gouvernement, que celle des scandales de corruption qui accompagnent tant les partis gouvernementaux que le parti social-démocrate dans l’opposition ».

Toujours dans Hospodářské noviny, Jindřich Šídlo se demande ce que le succès des communistes au niveau régional pourrait apporter à l’avenir. Il remarque :

« Leur succès pourrait provoquer une transformation positive de l’ensemble de la scène politique tchèque. Les matadors politiques sont désormais appelés à tenir compte du fait que leurs positions ne sont pas garanties pour de bon et qu’ils doivent faire des efforts pour ‘se mettre au service du peuple’. La politique tchèque voit apparaître l’élément de concurrence qui a fait défaut pendant si longtemps. Celui-ci peut amener une plus grande transparence et un plus grand contrôle des représentants politiques. De ce point de vue, le résultat des élections a démontré la force démocratique des citoyens tchèques. »

Dans les pages du quotidien Mladá Fronta Dnes, Martin Komárek se complaît dans l’ironie pour affirmer :

« Le retour des communistes peut nous attrister. D’un autre côté, ce phénomène peut donner à notre ennuyeux pays un certain éclat et un certain intérêt, car la Tchéquie a la particularité d’être l’unique pays civilisé dans lequel les communistes vieux-nouveaux peuvent se vanter d’une telle participation au pouvoir. »

Plus loin, Martin Komárek remarque :

« Tandis que dans les anciens pays satelites de l’Union soviétique, les partis communistes ont disparu, se sont modifiés ou ont été réformés, le Parti communiste de Bohême et de Moravie est demeuré le même qu’auparavant. Et pourtant, de concert avec les camarades de la RDA, c’était le parti le plus réactionnaire de tous, celui qui s’était même opposé, à l’époque, aux tendances de la perestroïka. »

L’hebdomadaire Respekt trouve alarmant que plus de quatre millions d’électeurs,se soient abstenus. Dans son éditorial, il écrit :

« Il serait déplacé d’effrayer avec une perspective d’un totalitarisme rouge. Une chose que nous avons déjà connue dans un passé récent est tout de même évidente : les sympathisants des partis démocratiques perdent trop facilement patience et foi, tandis que les forces non démocratiques suivent patiemment leur chemin sans se décourager. »

Le journal s’est en outre penché sur l’échec de l’extrême droite représentée notamment par le Parti ouvrier de justice sociale (DSSS), un parti qui a appuyé son discours préélectoral sur la perspective « du transfert des Roms du pays ». Dans aucune région, l’extrême droite n’a franchi la barre des 5 % de suffrages nécessaires pour pouvoir siéger dans les exécutifs régionaux.


Photo: USGov,  Military Air Force,  Wikimedia Commons
Beaucoup de médias ont rappelé cette semaine la crise des missiles de Cuba, pendant laquelle le monde s’est retrouvé au bord d’un conflit nucléaire. Cinquante ans se sont écoulés ces jours-ci depuis ces événements. Une occasion pour la dernière édition de l’hebdomadaire Respekt d’évoquer comment ces événements dramatiques qui ont opposés les Etats-Unis et l’Union soviétique ont été ressentis par la population et interprétés par les autorités communistes dans l’ancienne Tchécoslovaquie. Il a écrit :

« On peut dire que l’arrivée de la crise a été une surprise pour la Tchécoslovaquie. A l’époque, avec l’Union soviétique, le pays était le principal partenaire de Cuba. Toutefois, Antonín Novotný, le numéro un du parti communiste tchécoslovaque, tout comme d’ailleurs l’ensemble des chefs du bloc de l’Est, n’a pas été informé du déplacement des missiles nucléaires soviétiques. »

En se référant au témoignage d’un haut militaire de l’époque, le journal écrit que lorsque la crise a rééellement éclaté, le président Novotný a décreté l’état d’alterte de troisième degré concernant les forces armées et les Milices populaires :

« Pendant toute l’année 1962, la situation dans le pays a été définie comme présentant un danger accru. Cela s’est traduit par l’adoption de mesures militaires particulières, comme par exemple la décision prise en août de prolonger de trois mois le service militaire obligatoire. »

Durant la crise, la propagande communiste tchécoslovaque a déployé de grands efforts, par exemple en comparant le président américain John Kennedy à Adolf Hitler. Dans la même logique, elle s’est plue à comparer la situation de la petite île de Cuba à celle de la Tchécoslovaquie avant la Deuxième Guerre mondiale, lorsqu’elle avait été menacée par l’Allemagne nazie. « Ne touchez pas à Cuba » : tel était le principal slogan utilisé dans les résolutions, les campagnes et autres manifestations imposées à la population. Le journal explique :

« La véritable cause de la crise, les gens n’ont pu la découvrir dans la presse de l’époque qu’entre les lignes. »

La population, quant à elle, avait tout simplement peur d’une nouvelle guerre. Ainsi, selon le journal, sa principale préoccupation a été de s’approvisionner pour faire face à une telle éventualité.