La Pologne, la Slovaquie... et Oriana Fallaci, points de mire de la presse tchèque

Les récentes élections législatives en Pologne et la chute du gouvernement en Slovaquie, les deux pays voisins de la République tchèque, ont trouvé un large écho dans la presse nationale. Nous l’avons lue et en avons choisi quelques extraits pour vous... Dans les pages du dernier supplément du quotidien Lidove noviny - Orientation (Orientace), quatre personnalités discutent de l’ouvrage provocant « La rage et l’orgueil » d’Oriana Fallaci, qui sort pour la première fois en version tchèque, dix ans après sa parution.

Donald Tusk,  photo: CTK
« La Pologne qui, en raison de conditions de vie très dures, n’a pratiquement pas d’immigrés, devient pour la première fois depuis la Deuxième Guerre mondiale, un pays où l’on peut vivre normalement » : c’est ce que l’on peut lire dans un commentaire publié dans le quotidien Lidové noviny au lendemain de la victoire remportée aux dernières élections législatives par le parti Plateforme civique, qui renoue ainsi avec son précédent mandat. Son auteur écrit :

« Ces quatre dernières années, le parti Plateforme civique n’a rien fait de particulièrement miraculeux. Mais, après les performances chaotiques des gouvernements précédents, la Pologne a enfin eu un ‘gouvernement normal’ qui a apporté du calme et qui a permis à ses habitants de se reposer du fardeau de la politique, de se consacrer aux choses agréables de la vie. Et c’est justement ce que le cabinet de Donald Tusk a permis. »

Et de souligner que la Pologne, tout en étant touchée par la crise financière et économique mondiale, est l’unique pays d’Europe à ne pas être tombé dans la récession. De surcroît, elle occupe désormais une place solide au sein des puissances de l’Union européenne. En comparant ce contexte avec la situation en République tchèque, il note :

« En Tchéquie, on pourrait croire que la crise de l’euro et de l’Union européenne ne nous concerne nullement, que notre couronne, les réserves de la Banque nationale et dieu sait quoi pourraient nous protéger de tout ce qui se passe autour de nous. En Pologne, en revanche, le danger du deuxième volet de la crise, qui serait beaucoup plus lourd que le premier, est pris très au sérieux, ce dont témoigne l’attention vouée à ce sujet tant par le Premier ministre Donald Tusk que par le chef de l’opposition Jaroslaw Kaczynski. La Pologne craint pour l’euro et pour l’Union européenne... tandis que Prague, elle, se félicite tout simplement de ne pas avoir l’euro ».

Par ailleurs, l’édition de ce jeudi du journal Mladá frona Dnes observe que la perspective de l’adoption de l’euro en République tchèque a de moins en moins de sympathisants : 21 % cet été, contre 45% avant le début de la crise en 2008, soit le plus faible pourcentage depuis 2001. Elle précise :

« Même si les Tchèques peuvent se sentir satisfaits d’avoir ’échappé’ à l’euro et aux problèmes qu’il affronte, l’éventuelle chute de l’eurozone balayerait également, tant bien que mal, l’économie tchèque, car les deux sont étroitement liées.»

Il fait également remarquer que « s’il n’y avait pas eu de crise, les Tchèques seraient très probablement amenés à envier l’euro à leurs voisins slovaques en dépit du fait que ceux-ci, après l’euphorie qui a suivi l’adoption de la monnaie européenne, affrontent actuellement des désillusions... Tchèques et Slovaques devraient pourtant espérer que l’euro sera sauvé et que l’économie européenne commencera à croître de nouveau », conclut-il.

Iveta Radičová,  photo: CTK
« Iveta Radičová a sauvé l’euro » : tel est le titre de l’article que nous avons choisi dans la série de ceux qui ont été publiés dans la presse tchèque en rapport avec la chute, mardi, du cabinet slovaque de centre-droit au pouvoir, suite au rejet par le Parlement du renforcement du Fonds européen de stabileté financière (FESF). Son auteur, Luboš Palata, a écrit :

« Iveta Radičová devrait être perçue par une grande partie de l’Union européenne comme une héroïne, pas du jour ou du mois, mais de l’année et peut-être même de la décennie. » Pourquoi ? Il explique :

« Elle a réussi ce que peu d’hommes politiques européens sont capables de faire, c’est-à-dire renoncer à son pouvoir pour une bonne chose, pour une cause de principe. Et sauver l’euro, c’est effectivement une cause de principe. Bien que l’FESF ne constitue pas un remède universel à l’actuelle crise de la monnaie européenne, qui est aussi celle de toute l’Union, c’est tout de même un médicament rapide et efficace. »

Le commantateur apprécie que le cabinet du Premier ministre Radičová se soit opposé, au prix de sa chute et de l’avenir incertain de la Slovaquie, à la vague de populisme antieuropéen qui envahit non seulement la Slovaquie, mais aussi, quoique moins visiblement, l’ensemble de l’Europe. A la fin, il écrit :

« La Slovaquie est le premier pays, mais probablement pas le dernier, à payer le prix politique de la perte de la foi d’une partie de la population en l’euro, en l’Union européenne et en l’Europe unifiée... Economiquement parlant, il faudra payer lourd le maintien de l’Union, car nous avons devant nous des bouleversements et des crises. Mais il existe encore d’autres valeurs, plus difficilement calculables : ce sont la stabileté, la coopération, sinon la paix européenne. »


Le célèbre ouvrage ‘La rage et l’orgueil’ d’Oriana Fallaci, demeure-t-il d’actualité ? Voilà la question à laquelle trois journalistes tchèques et un professeur d’histoire italien cherchent des réponses dans les pages du supplément Orientace, à l’occasion de la publication de la version tchèque du livre que la journaliste italienne décédée avait écrit et publié il y a dix ans de cela.

Zbyněk Petráček estime que « l’appel du livre n’est pas dépassé, sauf qu’il a aujourd’hui des accents différents... » Selon lui, la position d’Oriana Fallaci est radicale, tout en demeurant libérale et critique. Il souligne qu’elle « défend les traditions de l’Italie et de l’Europe face à leur dissolution au profit d’une convention multiculturelle, privilégiant un discours tranchant et direct à la correction politique ».

Pour Petra Procházková, journaliste ayant vécu et travaillé dans plusieurs pays musulmans, en particulier en Afghanistan, le livre en question n’est pas un appel, mais « un cri un peu désespéré mais sincère et étayé par l’expérience, ce qui ne veut pas dire qu’il s’agisse d’une étude objective et vraie ». En effet, la journaliste tchèque ne pense pas que « les musulmans, dans le passé tout comme aujourd’hui, constituent la plus grande menace pour la civilisation occidentale, en dépit du fait que la cohabitation avec d’autres cultures, y compris celle musulmane, représente un grand problème ».

D’un autre côté, elle admet qu’Oriana Fallaci « a fait preuve d’une totale liberté de pensée et d’intrépidité en tant que journaliste ». Et de s’étonner avec un brin d’ironie qu’en fin de compte, « elle ait pu vivre jusqu’à l’âge de 77 ans et décéder de mort naturelle ».

L’Islam constitue-t-il un réel danger pour l’Europe, comme l’écrit Oriana Fallaci ? A cette question, la jeune journaliste Tereza Šupová répond :

« Moi, je ne partage pas de telles craintes. Mais je changerais peut-être d’avis si j’avais à vivre dans une ville avec une forte communauté d’immigrés musulmans. C’est une situation qui n’existe pas en Tchéquie. Donc, je ne me sens pas menacée par l’Islam... Le plus important, ce sont la tolérence et la compréhension pour une culture et une religion différentes. Déclarer aux musulmans les guerres, lutter contre eux, comme l’insinue Fallaci, ne sert à rien. »

D’après Petra Procházková, il existe certes des dangers qui menacent l’Europe, mais l’Islam n’en n’est pas un. « Ce sont plutôt la pollution, les chauffeurs agressifs ou les émeutes d’ordre social – y comprises celles initiées par les immigrés, etc. Mais pas l’Islam », dit-elle.

Et de conclure que le message prévoyant d’Oriana Fallaci ne consiste pas dans sa condamnation de l’Islam en tant qu’idéologie terroriste et criminelle, mais dans le regard lucide qu’elle a su porter sur la politique européenne.