Jerôme Vignon: les citoyens dans les nouveaux pays sont trop souvent attachés à leur confort matériel mais pas à une vision ouverte et riche de l’avenir.

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La pensée sociale chrétienne en Europe a été le principal sujet de la conférence qui a été donnée récemment à Prague par M. Jerôme Vignon, président des Semaines sociales de France qui est aussi un des proches collaborateurs de Vladimír Špidla, commissaire européen à l’Emploi, aux Affaires sociales et à l’Egalité.

« Je suis très heureux de travailler avec le commissaire Špidla. C’est un historien et il m’a rapporté des choses que je n’aurais jamais imaginé sur sa propre expérience d’homme politique y compris pendant la période soviétique. Il m’a montré ce que ça signifiait être libre, être en démocratie, et il m’a aussi confirmé, parce que c’est un homme de la question sociale, qu’il n’y a rien qui puisse être négligé, pour que les plus faibles, les plus démunis, retrouvent leur place dans la société. Il a mis à sa bonne place pour moi d’un côté les questions économiques et de l’autre les questions sociales et a mis la question sociale au-dessus des autres et je lui en suis reconnaissant ».

De quoi, dans nos sociétés, les chrétiens devraient-ils être porteurs ?

Vladimír Špidla
« De l’espérance… Face aux problèmes brûlants d’aujourd’hui, qu’il s’agisse de la démographie, qu’il s’agisse de la liberté d’entreprise, qu’il s’agisse de la dignité des personnes au travail, du chômage, face aux problèmes qui nous touchent tous, face aux problèmes des personnes âgées dépendantes qui sont de plus en plus solitaires, face à ces problèmes, les chrétiens apportent plus que des solutions politiques. Ils apportent une cohérence de la vision, ils montrent comment on peut être inspiré au niveau de la société par de bons principes et au niveau du comportement de chaque individu. Ils permettent de réconcilier la morale personnelle avec l’éthique des institutions, de réconcilier la justesse de la loi avec la justesse du comportement personnel ».

Beaucoup prétendent que les valeurs religieuses dans l’Europe d’aujourd’hui souffrent…

Photo: Commission européenne
« C’est plutôt les religions qui souffrent, mais les valeurs dont elles sont porteuses sont empruntées par d’autres, mais qui ne reconnaissent pas qu’elles sont religieuses. Aujourd’hui, on assiste par exemple à un regain de la dimension de la famille. Vous interrogez les Européens sur les valeurs auxquelles ils tiennent, vous voyez que la famille c’est la valeur numéro un. Ensuite, ils mettent un bon travail. Seulement personne ne dit que si les Européens sont tellement attachés à une vie familiale réussie, c’est qu’ils l’ont appris, mais l’ont oublié, dans le cadre des racines chrétiennes de l’Europe. A nous, catholiques, aujourd’hui, de rappeler qu’est-ce qui se joue dans la vie familiale et pourquoi les gens sont tellement attachés à la vie familiale. C’est nous qui pouvons en parler. Ils y sont attachés, parce que c’est là qu’ils apprennent à se donner, ils apprennent à aimer, à dépasser la rivalité, à dépasser la compétition et en même temps à recevoir. Apprendre à donner, apprendre à recevoir, c’est capital pour être un homme et une femme et c’est dans la famille que l’on l’apprend et peut-être que les catholiques pourraient présenter la famille sous cet angle et en ce moment-là, on les écouterait peut-être un peu davantage. Apprendre à donner, apprendre à recevoir, c’est la clé de la liberté. Tout le monde veut être libre, mais on ne sait pas très bien comment. Pour être vraiment libre, il faut savoir recevoir, savoir donner et l’avoir appris dans la vie familiale ».

La RT présidera à partir de janvier prochain l’UE. La Tchéquie et les autres pays de l’Est que peuvent-ils donner à l’Europe ?

« Beaucoup. Nous avons déjà eu l’expérience de la Slovénie, premier pays nouveau qui a assuré la présidence. Nous attendons beaucoup de la République tchèque. Sur la plan international, elle peut nous apprendre, à tous les Européens, quelle relation avoir avec la Russie, à la fois respectueuse et forte. La République tchèque est un des pays dans lesquels la protection sociale, le modèle social européen est né depuis longtemps, elle a une tradition, mais nous avons besoin de réapprendre, y compris la République tchèque, à quel point c’est important d’avoir des systèmes de pension qui marchent, des systèmes de santé qui marchent, nous pouvons aussi apprendre de la République tchèque, ce que c’est la liberté de circulation. Nous y sommes tellement habitués à l’Ouest que nous avons oublié que c’est très important. Nous attendons que la RT nous montre qu’il n’y a pas de liberté au travail sans liberté d’aller et venir, de trouver son employeur, de travailler dans le pays qu’on a choisi. »

D’après ce que vous avez dit récemment, la construction européenne vit une profonde crise. Les nouveaux pays, avec leur scepticisme, y ont-ils leur part de responsabilité ?

Photo: Commission européenne
« Je dirais qu’ils sont comme les autres. C’est ce qui m’a un peu épaté, les nouveaux pays sont de ce point très semblables aux anciens, c'est-à-dire qu’ils vivent cette contradiction : d’une part ils aspirent à une Europe plus forte, plus active, qui les protège davantage mais en même temps, au plan individuel, ils n’ont pas la capacité de donner à cette Europe la possibilité d’exister parce que les individus, les citoyens dans les nouveaux pays sont comme dans les anciens pays trop souvent attachés à leur confort matériel mais pas à une vision ouverte et riche de l’avenir… La crise de la construction européenne, c’est surtout une crise culturelle qui est liée au fait que prédominent chez les citoyens les valeurs de possession, les valeurs de l’avoir, les valeurs de l’accomplissement de soi, au détriment des valeurs du partage, de la solidarité, de la responsabilité. Comment parler aux citoyens de l’Europe qui est un projet d’avenir, s’ils sont rivés uniquement sur leur accomplissement personnel, sur ce qu’ils peuvent tirer de l’Europe. On leur présente l’Europe en leur disant – elle va vous apporter quelque chose. On devrait la présenter comme – l’Europe, c’est votre avenir, c’est l’avenir des citoyens. Mais cette question d’avenir n’ayant plus de sens pour beaucoup de citoyens, l’Europe disparaît dans leurs yeux. Pour moi, la crise de l’Europe, c’est d’abord une crise morale, une crise culturelle et pour cela que la présence des catholiques est si importante, car il leur appartient de redonner du moral aux citoyens. »