Train pour Weimar (1ère partie)

'Train pour Weimar', photo: HOST
0:00
/
0:00

La collaboration, mot dont le sens est généralement très positif, prend un aspect répugnant lorsqu’il se situe dans un contexte politique et historique bien précis. C’est la collaboration avec l’occupant qui est le thème principal du livre que son auteur, Ladislava Chateau, a intitulé « Train pour Weimar – Vlak do Výmaru ». En 1941, sept écrivains français de renom sont invités au Congrès de Weimar qui doit servir à démontrer qu’outre sa suprématie militaire, l’Allemagne s’est imposée en Europe aussi sur le plan culturel. Sept écrivains, parmi lesquels Pierre Drieu La Rochelle, Marcel Jouhandeau, Robert Brasillach, Ramon Fernandez et Jacques Chardonne, acceptent l’invitation de Joseph Goebbels, ministre de l’Education du peuple et de la Propagande du Reich, montent dans le train de la honte, participent à ce curieux voyage organisé et se rendent au Congrès de Weimar. Le train qui les amène à Weimar, haut lieu de la culture allemande, deviendra un symbole de la collaboration avec l’occupant, collaboration basée notamment sur l’antisémitisme. Dans son livre, Ladislava Chateau évoque les multiples formes et aspects que la collaboration a pris en France et retrace différentes étapes de son évolution. Elle réunit d’innombrables informations, témoignages et citations qui permettent de situer la collaboration dans son contexte historique et de la saisir dans sa complexité. Son livre a fait aussi l’objet d’un entretien que Ladislava Chateau a accordé à Radio Prague. En voici la première partie…

Ladislava Chateau,  photo: Site officiel de la maison d'édition Host
Comment définiriez-vous le genre de votre livre ? Est-ce un livre d'histoire, un essai sociologique, une étude de mœurs ?

« Mon livre ‘Train pour Weimar’ est un essai littéraire qui n’est ni sociologique, ni scientifique. J’ai voulu faire partager aux lecteurs une traversée historique dans des temps difficiles tout en donnant à entendre la petite histoire. Dans le texte, j´ai mélangé l´histoire, la vie littéraire et les trajectoires familiales. »

Très documenté, votre livre réunit une somme colossale d'informations. Où avez-vous cherché toutes ces informations ? Quelles ont été vos sources ?

« Toutes mes informations viennent surtout de la littérature française et allemande, de fonds documentaires d’archives et aussi d´archives familiales venant de ma famille française. Mon mari Pascal m´a beaucoup aidée, il a collectionné pendant quelques années des journaux, des revues de l´époque, c´est-à-dire de l´occupation. Nous avons parcouru les chemins et les routes dont je parle dans mon livre. »

Le livre évoque surtout la période de la guerre et on peut dire que son sujet principal est la collaboration avec l'occupant et l'antisémitisme. Est-t-il possible de déceler les racines de ces phénomènes déjà dans les périodes précédentes et notamment dans l'entre-deux-guerres ?

'Train pour Weimar',  photo: HOST
« Bien sûr, par exemple pendant l’affaire Dreyfus, avec Joseph Arthur Gobineau et son ‘Essai sur l'inégalité des races humaines’, avec Drumont et son livre ‘La France Juive’. Depuis la fin du XIXe siècle, l´antisémitisme français s’est constitué comme un genre politico-littéraire à part entière. Dans l’entre-deux-guerres, une grande part de la responsabilité des difficultés économiques et de l’aggravation des tensions internationales a été attribuée aux Juifs, et tout cela a été accentué par l’arrivée du Front populaire avec Léon Blum. Il y a beaucoup de livres et de journaux antisémites qui paraissent, par exemple ‘Je suis partout’. En 1937, Darquier de Pellepoix lance son journal ‘La libre Parole’ et Céline écrit ses pamphlets... »

Vous démontrez que l'attitude de la population française vis-à-vis de l'occupant a été très nuancée. C'était toute une gamme d'attitudes, du refus total à la sympathie, de la résistance à la collaboration. Quel a été le rôle joué par le Maréchal Pétain dans cette acceptation de l'occupant ?

« Le Maréchal Pétain, vainqueur de Verdun, s’est engagé par conviction dans la collaboration ; ce faisant, il a trahi son peuple. Les Français l’ont cru, car ils étaient persuadés que Pétain avait ‘son plan’ pour les sauver. Comment douter d’une personne qui déclare ‘Je fais à la France le don de ma personne pour atténuer ses malheurs’ ? La majorité des Français se sont rendus compte très tard de leurs erreurs et de leur aveuglement. »

Comment expliquez-vous le fait qu'une partie assez importante des intellectuels français se soient compromis avec le pouvoir allemand et l'idéologie antisémite ?

« Comme je l’ai déjà dit, le caractère répétitif de la littérature antijuive a fait qu’ils se sont accommodés de cette situation, de l’idéologie antisémite des occupants. D’autre part, la culture allemande romantique a toujours exercé une grande fascination sur le milieu intellectuel français et, dès les années 1930, les Cahiers franco-allemands d’Otto Abetz ont préparé un terrain favorable à cette entente. En plus, l´occupant a mis l´accent sur des expressions comme ‘complot judéo-bolchevique’, ‘complot judéo-capitaliste’, ‘l´action antijuive’, etc., etc. »

Joseph Goebbels,  photo: Das Bundesarchiv
Vous avez donné à votre livre le titre « Train pour Weimar ». Ces fameux trains pour les congrès organisés par Goebbels à Weimar symbolisent en quelque sorte la collaboration avec le pouvoir allemand. Que pouvons-nous dire de ces trains et de l'attitude des écrivains français vis-à-vis de ces congrès ?

« Les congrès littéraires organisés par Goebbels à Weimar sont devenus le symbole de la collaboration, de la collaboration bien dégoûtante, car il s´agissait d’intellectuels importants, de grands stylistes, comme Jacques Chardonne, Drieu la Rochelle, Marcel Jouhandeau, Ramon Fernandez et Robert Brasillach pour la France, Joseph Knittel pour la Suisse. L’aveuglement en temps de guerre de ces intellectuels reste un temps fort de la défaite de la pensée face aux extrêmes. Et je crois que la proximité géographique entre Weimar et Buchenwald renforce et illustre suffisamment cette culture et cette brutalité sans scrupules. Les écrivains tchèques, autant que je sache, n´ont pas été invités aux congrès à Weimar. Soit le Protectorat Böhmen und Mähren était considéré comme territoire allemand, donc la représentation allemande était jugée comme largement suffisante, soit les Tchèques n’étaient pas invités parce que les relations entre l’occupant et les intellectuels s’étaient bien aggravées, étaient devenues trop tendues... Par contre, la représentation littéraire slovaque y a été nombreuse. »

L'épreuve de l'occupation n'a pas épargné non plus les grandes maisons d'édition françaises et les revues littéraires et artistiques, dont la Nouvelle Revue Française. Comment ces établissements s'en sont-ils sortis ?

« Les maisons d’édition dont les propriétaires ont été identifiés comme juifs ont été aryanisés. Après la libération, elles ont été restituées à leurs propriétaires, s´ils avaient survécu, bien sûr. Apres la libération, la Nouvelle Revue Française n’a plus été publiée ; son directeur pendant l´Occupation, Drieu la Rochelle, s’est suicidé, et même son éditeur, le célèbre Gaston Gallimard a eu des problèmes avec le Comité d´épuration. Après la guerre, en 1946, Jean Paulhan a remplacée la N.R.F. par Les Cahiers de la Pléiade, avant de la relancer en 1953 sous le nom de Nouvelle Nouvelle Revue Française. Cette revue a retrouvé rapidement son sigle initial et la N. R. F. sort encore aujourd´hui. »

Nous vous présenterons la seconde partie de cet entretien samedi 21 décembre.