Stephan Grögler : « Je veux créer un opéra pour un spectateur non averti »

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C’est un roman humoristique de Rudolf Těsnohlídek qui a inspiré à Leoš Janáček son opéra La Petite renarde rusée. Le roman, qui raconte les aventures d’une renarde malicieuse dans une forêt morave et aussi ses démêlées avec les hommes, a servi au compositeur de trame pour un opéra qui est beaucoup plus que le récit d’aventures d’un animal. En racontant la vie d’une renarde, Janáček a créé un vaste tableau de la forêt et un poème sur la nature, cet univers magique qui n’en finit pas de mourir et de renaître. Bien que la mise en scène de La Petite renarde rusée ne soit pas facile et pose beaucoup de problèmes, l’opéra figure souvent dans le répertoire des plus grands théâtres lyriques du monde. Parmi ceux qui ont relevé ce défi, le metteur en scène Stephan Grögler. Il désire jeter un regard nouveau sur cet opéra et le rendre accessible aussi à un public qui ne vient pas normalement dans les théâtres lyriques. Pour réaliser ce projet, le metteur en scène s’est associé au sculpteur Arne Quinze. Récemment Stephan Grögler est venu présenter son projet en République tchèque. L’occasion pour lui de répondre également à quelques questions de Radio Prague :

Pourquoi avez-vous choisi La Petite renarde rusée ?

« Il y a plein de raisons différentes, mais je dirais qu’au début c’était presque un choix de hasard même si j’ai une grande admiration pour les œuvres de Janáček. Ces derniers temps, chez nous en France et au festival de Salzbourg, il y a eu beaucoup de représentations d’opéras de Janáček et, chaque fois, c’étaient pour moi des moments inoubliables. »

C’était donc votre point de départ pour la décision de mettre en scène cet opéra. Quels sont les piliers de votre conception de l’œuvre ?

Stephan Grögler,  photo: opera-vixen.squarespace.com
« Je me pose la question comment faire de l’opéra autrement pour pouvoir travailler dans un esprit de compagnie de théâtre. En parallèle de ça, il y a quelque chose qui m’a toujours manqué à l’opéra, c’est le contact direct avec le public parce que nous, nous n’avons aucun contact. Du coup, je me dis ‘comment pourrait-on faire pour entrer plus en contact avec les gens qui font ce métier et comment faire pour amener l’opéra à un autre public ; à un public qui a peur d’entrer dans une salle d’opéra, qui a peur du velours rouge et de toutes ces dorures, aux gens qui ont l’impression que cela ne fait pas partie de leur monde. J’ai donc cherché différentes œuvres pour trouver un opéra très populaire, accessible à tout le monde, et en même temps d’une grande qualité musicale et dramaturgique de manière que n’importe quel public puisse porter à la maison quelque chose de cette découverte. Et sur cette liste, il y avait La Petite renarde, entre autres, et sur une autre liste il y avait des sculpteurs d’art contemporain avec lesquels j’avais envie de travailler. J’avais envie d’associer au choix de cette œuvre un sculpteur d’art contemporain pour nous créer un espace particulier qui puisse donner une première émotion directe pour un spectateur non averti, mais évidemment aussi pour un spectateur averti. »

La Petite renarde rusée est un opéra sur la rencontre entre le monde animal et le monde des hommes. Le personnage de la petite renarde rusée est pour vous plutôt une femme ou un animal, une renarde ? Préférez-vous avoir une renarde anthropomorphe ?

Photo: opera-vixen.squarespace.com
« C’est vrai, on est toujours tiraillé un peu entre les deux et on se demande jusqu’à quel point l’humain devient animal et jusqu’à quel point l’animal devient homme. Et c’est là où est, justement, le génie de Janáček qu’il montre dans sa complexité et sa confusion, ce lien et cette superposition des deux univers. Je pense que les univers doivent être les plus clairs possible pour le spectateur, mais en même temps j’aurais horreur de chercher mes interprètes sous des masques d’animaux parce que je trouve que cela enlève toute humanité ou émotion directe. Et on n’est pas dans un livre de contes qu’on déplie, dans un film de Walt Disney où on joue à l’animal. On est quelque part où c’est beaucoup plus complexe et c’est là où ça devient intéressant ; ces deux univers qui se mélangent. »

Il me semble, d’après ce que vous avez dit de votre conception, que pour vous la Petite renarde rusée est un spectacle où vous avez besoin de chanteurs qui sont en même temps comédiens et même un petit peu acrobates, si je comprends bien. A-t-il été facile de trouver de tels interprètes ?

Photo: opera-vixen.squarespace.com
« La distribution n’est pas faite en entier. C’est très compliqué. Mais j’ai déjà remarqué quand je travaille dans l’opéra ‘ traditionnel’, en étant aussi scénographe, que très souvent, j’ai imposé aux chanteurs quelques difficultés qui font qu’à un moment donné, le chanteur doit oublier d’être chanteur et qu’il incarne son personnage, qu’il utilise ses jambes pour marcher. Evidemment, c’est souvent un problème. A partir du moment où vous devez descendre une pente, marcher, enjamber quelque chose, évidemment il y a des difficultés physiques qui s’imposent. Mais quand ça se passe bien, et il y a des contre-exemples, cette contrainte oblige la personne d’être avec tout son corps, de la tête au pied, dans ce décor, dans cet univers à ce moment-là. On n’a pas le temps de faire semblant de faire quelque chose. Maison marche et on utilise les jambes. Et là, je pense que ça va être encore plus extrême de devoir grimper en haut et devoir descendre. Cela impose, pour que ça soit réussi, une longue préparation. On envisage vraiment de répéter huit semaines. On va avoir huit semaines à notre disposition pour travailler, ce qui est quand même énorme pour l’opéra. En même temps, je suis marié avec une chanteuse et je sais très bien qu’il y a des difficultés de l’autre côté. Il est sûr qu’il ne faut pas aller au-delà du possible. »

Est-ce que l’opéra est chanté en tchèque ?

«Absolument, c’est essentiel. Je pense qu’il y a des compositeurs avec lesquels le texte n’a pas une telle importance. Mais il me semble, avec tout ce qu’on lit aussi sur cet opéra, que Janáček est un des compositeurs qui, comme Benjamin Britten, est impossible à traduire. Il y a une sonorité, tout le travail sur les différents accents me semble également très important. Evidemment, je ne peux pas le juger moi-même, mais on s’est entouré de plusieurs spécialistes de la langue tchèque qui sont Tchèques eux-mêmes et qui vont nous conseiller. On va avoir suffisamment de temps pour pouvoir plonger dans l’univers de cette langue pour pouvoir être au niveau de cette langue qui est absolument magnifique. »

A quel public destinez-vous cette production. Pensez-vous aussi aux enfants ?

« Absolument. Dès le début je souhaite que n’importe quel public puisse accéder au spectacle que je propose. En même temps je trouve qu’il y a des exemples qui sont complètement contreproductifs comme lorsque l’on dit que la Petite renarde est un opéra pour enfants. J’ai très souvent fait des opéras pour enfants et je pense que réduire la complexité de l’oeuvre à des choses un peu bébêtes n’est pas digne des enfants. Dans La Petite renarde, il y a évidemment une trame assez simple, assez mignonne, assez féerique mais en même temps cette oeuvre raconte beaucoup, beaucoup plus de choses. Je pense qu’à partir du moment où l’on a une démarche sincère et où on veut vraiment partager cette aventure avec un public le plus large possible, un enfant peut absolument y accéder. En outre, dire : ‘voilà, on coupe toutes les scènes au bistro avec les êtres humains, on enlève ça et on ne garde que les histoires d’animaux domestiques’, c’est, je trouve, absolument scandaleux. L’oeuvre vit de la complexité et je pense qu’un enfant peut absolument la comprendre à partir du moment où on lui donne les moyens de la comprendre. »