« Si tous les communistes étaient comme mon grand-père …»

Photo: Argo

Peut-on être à la fois communiste et homme intègre ? Telle est la question principale posée par un recueil de contes que son auteur Patrick Zandl a consacré à son grand-père. C’est une question dangereuse. Elle risque d’ébranler la paix intérieure dans laquelle nous vivons et déclencher une avalanche d’autres questions sur le passé et notamment sur le comportement de nos grands-parents, de nos parents et de nous-mêmes.

Un grand-père vu par les yeux d’un enfant

Patrick Zandl,  photo: Alžběta Švarcová,  ČRo
Pendant la période de la normalisation, c’est-à-dire entre les années 1968 et 1989, lorsque la Tchécoslovaquie est occupée par l’armée soviétique, toute une génération de petits Tchèques et Slovaques voit le jour. Ces enfants nés sous le régime arbitraire seront surnommés plus tard « les enfants de Husák », Gustav Husák étant pendant cette période secrétaire général du Parti communiste puis président de la République. Faisant allusion à ces enfants de la normalisation dont il fait partie, Patrick Zandl a intitulé son livre « Husákův děda » (Le grand-papa de Husák). Les dix-sept contes réunis dans ce recueil évoquent la vie, les exploits et les opinions du grand-père de l’auteur et sont un hommage haut en couleur que le petit-fils rend à cet homme étonnant et original. Patrick Zandl précise :

« C’est une histoire vue par les yeux d’un enfant, d’un garçon de huit à dix ans. Evidemment, la même situation nous semble différente lorsque nous la regardons à l’âge de quarante ans. Ce fait étant établi, on peut dire que c’est un récit autobiographique. »

Le grand-père de Patrick travaille dans une brasserie. Il n’est pas le grand-père biologique du petit Patrick parce que sa grand-mère l’a épousé en secondes noces, mais cela ne change rien à l’intensité et à la profondeur des rapports entre le vieil homme et le garçon. Pour Patrick, ce vieux communiste devient héros de son enfance, personnage aussi drôle qu’admirable. Il adore être en sa présence, le suivre partout, l’aider, travailler avec lui car avec le papy même les travaux de campagne et de brasserie qui n’ont en apparence rien d’amusant deviennent une activité pleine d’intérêt. Il suit et écoute avec beaucoup d’attention ce brasseur qui a une opinion arrêtée sur tout, qui sait régler ses comptes avec tout un chacun et qui est capable de trouver une issue à toutes les situations. Les problèmes et les secrets de la vie adulte étant encore impénétrables pour lui, Patrick ne se pose pas de questions sur le passé communiste de son aïeul :

« Mon enfance s’est déroulée sous le communisme qui, comme nous le savons, a été un régime criminel et horrible. Le fait qu’on puisse garder des souvenirs positifs d’une telle époque m’a toujours étonné, mais je me suis rendu compte qu’une enfance où vous n’avez pas faim et où personne ne vous bat est heureuse tout simplement par la logique des choses, parce que, enfant, vous ne vous mêlez pas de politique. Il y a dans ce livre la nostalgie des grands-parents que nous avons aimés et perdus, la conscience de cette perte, mais j’espère que le lecteur n’y trouvera pas trop de pathos. »

Un nœud de problèmes

Photo: Argo
C’est le grand-père qui introduit le garçon dans le monde des adultes. Il lui apprend à faucher le pré, lui confectionne son premier lance-pierres, l’invite à la chasse au lièvre et lui raconte des histoires incroyables et des fanfaronnades de sa vie. L’enfant sent aussi que ce communiste, qui a perdu ses illusions après l’occupation de son pays en 1968, cherche à le protéger contre l’hostilité du régime. Il n’arrive pas à comprendre cependant l’aveuglement de cet homme tiraillé entre l’idéologie communiste et la liberté d’esprit qui s’obstine à ne voir que les aspects négatifs des pays capitalistes. Ce n’est que plus tard que le petit-fils commence à s’interroger sur les convictions politiques de son parent, sur le rôle qu’il a joué dans un pays gouverné par un seul parti autoritaire dont il était membre :

« C’est justement la raison pour laquelle j’ai écrit ce livre. Je ne vois pas clair dans le rapport des Tchèques vis-à-vis du communisme et des quarante années du régime arbitraire. Je me pose la question de savoir qui était donc coupable. Etais-ce mon grand-père communiste que les nazis ont pourtant jeté en prison pendant la guerre, qui a protesté contre l’occupation de la Tchécoslovaquie par l’armée soviétique en 1968 et qui était un homme actif ayant réussi à reconstruire les brasseries de Pardubice ? Était-il un homme mauvais ? Et ceux qui avaient dirigé le parti communiste et que nous n’avons pas condamnés après la révolution de 1989, étaient-ils mauvais, étaient-ils bons, ou ils ne nous gênaient tout simplement pas? C’est tout un nœud de problèmes qui pèsera sur la République tchèque encore longtemps parce que nous-mêmes, nous n’y voyons pas clair. »

Les paradoxes de l’ère postcommuniste

Si tous les communistes étaient comme lui, nous aurions en Tchéquie le paradis sur terre.

La vie n’est donc pas un film en noir et blanc. Elle a beaucoup plus de nuances et il n’est pas facile de condamner ceux que nous connaissons bien, qui sont nos proches et ont joué un rôle dans notre vie. La génération de nos grands-parents a vécu sous des régimes qui cherchaient à lui imposer leurs idéologies et il est difficile de les juger aujourd’hui. Patrick Zandl se rend compte du caractère arbitraire et criminel des régimes communistes et pourtant son grand père communiste reste pour lui un héros. « Si tous les communistes étaient comme lui, nous aurions en Tchéquie le paradis sur terre, »écrit-il dans la postface de son livre et constate qu’il ne sait toujours pas désigner les coupables du régime communiste. Il comprend l’indulgence qui a été un des aspects principaux de la politique de Václav Havel après la Révolution de velours et qui a pratiquement évité les représailles, les arrestations et les exécutions des coupables. Pour beaucoup ce n’était qu’un signe de faiblesse mais Patrick Zandl estime que la réponse de Václav Havel est probablement la plus sage. « Nous pardonnons à nos proches parce que nous comprenons qu’ils pouvaient se tromper, »écrit-il mais souligne qu’il n’arrive toujours pas à comprendre comment il est possible que le parti communiste soit toujours représenté dans notre Parlement.

C’est donc un des innombrables paradoxes de l’ère postcommuniste dans laquelle nous vivons. Il n’est pas facile de concilier notre présent avec notre passé. Le livre de Patrick Zandl cerne d’une façon amusante un des aspects de cette recherche difficile de la vérité historique qui pourrait nous réconcilier avec notre passé et avec nous-mêmes. Cependant, l’auteur ne voit pas dans la société tchèque beaucoup d’envie de chercher cette vérité et de rouvrir cette boîte de Pandore :

Photo repro : Husákův děda / Argo
« A vrai dire nous serions obligés de critiquer les personnes encore en vie ou les personnes dont nous connaissons les parents ou les enfants et cela n’est pas très bien perçu chez nous. Actuellement notre société n’est pas encore ouverte à ce genre de réflexion. Je pense que cela va prendre beaucoup plus de temps que la dénazification en Allemagne qui a été catalysée par le fait que l’Allemagne avait perdu la guerre et qu’il était donc possible de désigner les coupables. »

(Le livre "Husákův děda - Le grand-papa de Husák" de Patrick Zandl est sorti aux éditions Argo.)