Rudolf Pellar : une vie avec la chanson française

Rudolf Pellar, photo: CTK

Il y a quelque chose de très typique dans la voix de Rudolf Pellar, quelque chose qui la rend tout de suite reconnaissable. C’est avec cette voix très grave qu’il a réussi à « tchéquiser » et à faire connaître au public tchèque les succès des grands chanteurs français. Il a osé chanter en tchèque et d’une façon très personnelle les tubes de Montand, Gainsbourg, Aznavour, Brel, Brassens et de Bécaud. La chanson française n’est cependant qu’une des nombreuses facettes de la riche et longue carrière artistique de Rudolf Pellar. Le 28 février dernier il a fêté son 85e anniversaire.

Rudolf Pellar,  photo: CTK
Rudolf Pellar a partagé sa vie entre le théâtre dramatique, la comédie musicale, la chanson et la traduction littéraire. Sa voix inimitable est bien connue également des auditeurs de la radio. Il s’est lié d’une amitié intime avec la radio déjà dans sa jeunesse :

« J’ai parlé pour la première fois dans un micro dans la ville de Brno. Au conservatoire j’étais élève du professeur Dalibor Chalupa qui allait devenir par la suite une grande personnalité de la radio. Il a choisi ceux qu’il jugeait capables de réciter en public y compris moi, et nous a envoyés à la radio. Je me rappelle que c’était une journée de grande chaleur et que j’ai récité à la radio les vers d’Antonin Trýb, un poète de Brno. J’avais un trac énorme. Je craignais de balbutier car à cette époque-là tout était diffusé en direct. Et je me souviens que quand je suis venu à la maison, mon père m’a dit : ‘C’était passablement joli’. (…) D’abord je ne voulais pas faire du théâtre, je voulais étudier à la faculté des lettres, les langues tchèque et allemande, pour devenir ensuite professeur de lycée. Et c’était Adolf Hitler qui a fait échouer mes projets.»

La voix de Rudolf Pellar, voix d’une tessiture très grave qui sait être tantôt dure et tonitruante, tantôt suave et veloutée, n’a pas toujours été ce qu’elle est aujourd’hui :

« Pendant longtemps j’ai été soprano. J’ai chanté dans un chœur et quand j’avais environ 14 ans, période où les garçons commencent à muer, un jour j’avais encore la voix de soprano et le lendemain, quand je suis venu à l’école, j’avais déjà une voix de basse. Cela est arrivé brusquement sans aucune transition, sans un stade intermédiaire. J’ai été expédié de la partie droite du choeur où sont les sopranos, à la partie gauche où sont les basses. C’était un choeur mixte et j’y ai chanté à partir de ce moment la deuxième basse. »

Cette basse sonore servira à Rudolf Pellar d’instrument pour jouer au théâtre, pour réciter de la poésie à la radio, pour chanter des comédies musicales et à l’opérette et pour implanter dans le milieu culturel tchèque la chanson française. Il y a peu d’artistes tchèques aussi versatiles que lui. Et comme si toutes ces activités n’étaient pas encore suffisantes, il s’adonne pratiquement pendant toute son existence à la traduction littéraire de l’anglais et de l’américain. C’est souvent en collaboration avec sa femme Luba qu’il traduira un nombre impressionnant de romans. Il traduit entre autres Faulkner, Hemingway, Tenessee Williams, Edward Albee et donne aussi une version tchèque du célèbre roman «L’Attrape-Cœurs» de J. D. Salinger, traduction dont l’humour et la sensibilité feront le bonheur de plusieurs générations de lecteurs tchèques.


C’est dans les années trente que Rudolf Pellar découvre Maurice Chevalier dont la voix et le style lui feront aimer la chanson française, amour qui ne restera pas platonique et sans conséquences car Rudolf Pellar se lancera dans l’interprétation. Il aime et chante Montand, Brel, Brassens. Il n’oubliera jamais la tournée tchécoslovaque d’Yves Montand qui est pour lui et pour d’autres chanteurs tchèques comme une apparition. Il sait cependant qu’il ferait un mauvais service à ce répertoire s’il voulait imiter le chanteur français :

« Un de mes collègues m’a dit ‘Mais Yves Montand le chante différemment.’ Et je lui est répondu : ‘D’accord, mais c’est Yves Montand et il le chante en français et moi, je le chante en tchèque.’ Je tenais beaucoup, et j’y tiens encore, à ce qu’on me comprenne. Montand chante en français, je chante en tchèque, je ne suis pas Montand. »


Aujourd’hui encore, à 85 ans, Rudolf Pellar continue à donner des récitals, chante des chansons françaises et tchèques et se produit souvent à la radio. Il n’a lancé son premier disque qu’en 2004, donc à l’âge de 81 ans, mais actuellement sa discographie compte déjà plusieurs titres. Il est également un des fondateurs de l’association « La chanson – affaire publique » dont les membres se proposent de défendre la chanson à la française, cette poésie mise en musique, face à l’envahissante production musicale anglo-américaine que le large public écoute le plus souvent sans en comprendre les paroles.

Une telle réception de la musique ne pourrait jamais satisfaire Rudolf Pellar qui attribue une grande importance à la parole, à la qualité littéraire et au message de la chanson. Une anecdote de sa vie qu’il a racontée à la radio, démontre clairement qu’elle est la qualité de chanteur et d’artiste qu’il apprécie le plus :

« J’ai enregistré toute une série de chansons avec divers orchestres dans les studio de la radio publique tchécoslovaque dans le quartier de Karlín à Prague. Un jour j’étais assis près de l’escalier du studio et j’ai vu le chef d’orchestre Karel Krautgartner qui montait cet escalier accompagné d’un ami. C’était un excellent chef d’orchestre que je connaissais et avec qui j’avais enregistré des chansons. Et quand il m’a vu, Karel Krautgartner a dit à cette personne qui l’accompagnait : ‘Regarde, c’est un chanteur qui sait ce qu’il chante.' »