Quand Prague était en passe de devenir une ville allemande

'Protektorátní Praha jako německé město', photo: Mladá fronta

L’architecture de Prague, ville historique, ville musée qui est pourtant bouillonnante de vie, a absorbé dans le passé de nombreuses influences étrangères sans perdre son caractère bien particulier et ses spécificités tchèques. Au milieu du XXe siècle Prague a pourtant failli devenir une ville allemande. Telles ont été les intentions de l’occupant allemand durant la Deuxième Guerre mondiale. C’est cette étape de l’évolution urbanistique de la capitale tchèque qui est le sujet du livre récemment sorti aux éditions Mladá fronta. Son auteur Miloš Hořejš l’a intitulé « Protektorátní Praha jako německé město - Prague sous le Protectorat, ville allemande. »

Miloš Hořejš,  photo: Národní technické muzeum
Il est possible de déceler les influences allemandes dans différentes étapes de l’évolution architecturale et urbanistique de Prague. Miloš Hořejš rappelle que cet impact a été particulièrement fort dans l’entre-deux-guerres, à l’époque où les architectes tchèques et l’architecture mondiale dans son ensemble s’inspiraient des concepts émanant de l’Institut des arts et des métiers Bauhaus fondé en 1919 à Weimar par Walter Gropius. L’architecture tchèque de l’époque n’en perdait cependant ni son autonomie ni son originalité. Tout cela devait changer néanmoins après l’occupation de la Tchécoslovaquie par l’Allemagne en 1939. Après leur installation dans la capitale, les nazis ne tardent pas à créer une commission spéciale qui doit veiller sur l’urbanisme de Prague et le transformer selon les besoins du Troisième Reich. Miloš Hořejš constate dans son livre que les Allemands ont été obligés d’engager dans cette commission aussi un certain nombre d’architectes tchèques :

« La Commission de planification a obtenu dès le début des compétences importantes. Ce que les architectes dans les années 1920 et 1930 appelaient de de leurs vœux, ils ne l’ont reçu qu’au moment de la création de cette commission. Malheureusement, au même moment la commission a été placée sous le contrôle des organes d’occupation allemands. Le président et le premier vice-président étaient Allemands, donc tout s’est déroulé finalement dans des circonstances bien différentes de celles que les architectes tchèques avaient souhaitées avant la guerre. »

Albert Speer avec Adolf Hitler,  photo: Heinrich Hoffmann,  Bundesarchiv / CC BY-SA 3.0 Germany
C’est le professeur Reinhold Niemayer qui est nommé président de la Commission de planification. Cet architecte, qui est en même temps président de l’Académie allemande pour l’urbanisme et la planification, est en contact étroit avec Albert Speer, architecte principal d’Adolf Hitler. Le poste de vice-président de la commission est confié à Hermann Wunderlich, membre du Parti d’Allemagne des Sudètes (Sudetendeutsche Partei) et qui adhère aussi dès 1939 au Parti national-socialiste allemand (NSDAP). Il est donc évident que ces hommes ont été choisis pour réaliser l’objectif d’Adolf Hitler qui envisageait de germaniser complètement Prague et les pays de la couronne tchèque et d’y procéder à une épuration ethnique. Miloš Hořejš constate :

« Nous ne disposons pas de documents sur l’influence directe d’Adolf Hitler. Nous ne trouvons que des informations éparpillées sur cette influence dans des Mémoires et des livres de souvenirs mais nous ne pouvons pas le confirmer par des documents écrits ou signés par Hitler lui-même. Cependant l’engagement d’Arnold Speer nous donne une preuve indirecte qu’Hitler surveillait vigilamment l’agglomération pragoise et était très probablement bien informé sur le sujet. Toutes les mesures prises laissent entendre que Prague, tout comme Linz et d’autres villes en Allemagne et dans les zones occupées, figurait parmi la centaine de localités urbaines auxquelles Hitler s’intéressait particulièrement et qu’il avait choisies de placer sous son contrôle. »

'Protektorátní Praha jako německé město',  photo: Mladá fronta
Miloš Hořejš démontre dans son livre aussi qu’un certain nombre de projets de la commission composée en grande partie d’architectes tchèques ne manquaient pas d’aspects positifs et auraient donc pu profiter à l’urbanisme de Prague. La commission se proposait entre autres d’améliorer la situation du centre historique de la capitale dont le réseau routier ne correspondait plus aux exigences des transports modernes. Elle cherchait donc les solutions aux problèmes dont beaucoup ne sont pas résolus encore aujourd’hui selon Miloš Hořejš :

« Dès le début, les projets de la commission étaient grandioses. Ils renouaient avec ce qui avait été entamé dans l’entre-deux-guerres par les organes tchèques. L’objectif principal de la commission était la transformation du réseau routier de Prague. Le système devait être transformé aussi bien au centre que dans la grande banlieue de la capitale et dans son cadre devait être créé ce que nous appellerions aujourd’hui un boulevard périphérique. Une attention particulière a été prêtée aux transports publics et au transfert de la grande partie de ces transports au sous-sol. La construction du métro a donc été la tâche clé de la commission, mais elle préparait aussi les projets de nouveaux quartiers résidentiels, parce que la capacité de la ville ne suffisait plus et Prague devait développer ses parties périphériques. »

Photo: Archives du Bureau du développement de la ville de Prague
Les nazis préparaient néanmoins aussi toute une série d’interventions urbanistiques que nous pouvons qualifier de barbares et qui risquaient de défigurer le centre historique de la ville. C’est dans cette série de projets qu’il faut classer la reconstruction de l’Hôtel de la Vieille-ville ou la démolition de la Maison municipale, joyau du style Art Nouveau, qui devait céder la place à une salle de concert. Heureusement, les nazis n’ont eu finalement ni les moyens ni le temps pour réaliser leurs projets. Leurs initiatives urbanistiques ont été d’ailleurs bloquées, dès 1941, par un décret interdisant la réalisation de nouvelles constructions jusqu’à la victoire finale de l’Allemagne. Miloš Hořejš répertorie les rares projets que les nazis ont réussi à réaliser :

Photo: Archives du Bureau du développement de la ville de Prague
« Les réalisations des projets de la Commission de planification à Prague sont relativement peu nombreuses. Il s’agit entre autres d’une partie du quartier résidentiel de Prague-Bubeneč, de tunnels de chemins de fer dans le quartier de Prague-Vinohrady et de plusieurs tronçons du réseau routier de la capitale. Mais il y a une multitude de projets qui n’ont jamais été réalisés et qui ne se sont conservés qu’à différents stades de leur préparation. »

Plus d’un demi-siècle après la Guerre, Miloš Hořejš jette donc sur l’urbanisme pragois de cette période douloureuse un regard qui se veut objectif. Né après la guerre, l’auteur ne fait pas partie de la génération qui a vécu l’occupation allemande et évoque donc les aspects négatifs de l’urbanisme pragois de cette période sans idées reçues et sans en cacher les détails positifs. Dans son livre accompagné de nombreux éléments documentaires et iconographiques, il donne un tableau complexe de cette étape de l’urbanisme pragois et la situe dans son contexte historique, politique, idéologique et économique. Le professeur de l’Université Charles de Prague Eduard Kubů apprécie les multiples facettes de cet ouvrage :

Photo: Archives du Bureau du développement de la ville de Prague
« L’auteur a réussi à marier tous ces thèmes dans un livre qui témoigne d’une époque, même s’il évoque des choses qui devaient advenir et ne sont pas advenues. Il nous rappelle ce qui pourrait se passer si les Allemands restaient chez nous plus longtemps. Il démontre que Prague, considérée par les Allemands comme une vieille ville allemande, devait être germanisée selon les modèles de l’architecture allemande, architecture monumentale, mais sans âme. Prague devait remplir une nouvelle mission intellectuelle et devait être dépourvue des symboles de son caractère tchèque. »

(Le livre « Protektorátní Praha jako německé město (Prague sous le Protectorat, ville allemande) » est sortie en 2013 aux éditions Mladá fronta et Národní technické muzeum.)