Pierre Nepveu, poète post-québécois

Pierre Nepveu

«J’étais pris dans le silence. La littérature et l’écriture ont été une forme de révolte contre le silence qui m’habitait, » dit à propos de sa jeunesse le poète, romancier et essayiste québécois Pierre Nepveu. Cette semaine le poète et sa femme Francine Prévost, elle-même écrivain et peintre, sont venus dans la capitale tchèque. Radio Prague n’a pas laissé échapper cette occasion de connaître cet homme faisant partie d’une génération des poètes qu’il qualifie de « post-québécoise ». Voici une ébauche du portrait de Pierre Nepveu sous forme d’une interview.

Vous avez dit être fasciné par les lieux, par le rapport aux lieux. Vous avez dit qu’il y a en vous un géographe et un géomètre et que ces deux sciences vous ont conduit à la littérature. Cela mérite une explication.

«Je suis né dans un quartier de Montréal dans un quartier tout à fait central et assez typique. Et très tôt la configuration des lieux m’a fasciné. Quand j’étais jeune, je faisais plein de villes imaginaires, comme un urbaniste, en planifiant des rues et des parcs. Après ma découverte de la littérature, les lieux sont devenus très importants aussi, parfois les lieux exotiques. La manière dont les écrivains s’approprient les lieux est pour moi fondamentale. C’est vrai dans le roman et c’est vrai d’une autre manière dans la poésie également. C’est toujours ça qui me frappe d’abord : comment c’est organisé topologiquement, avec les lieux élevés etc. Et en littérature c’est très important. Les lieux élevés, les lieux qui sont au bord des rivières et des fleuves, la formation des rues. J’aime beaucoup les rues qui ont la forme courbe. C’est une chose dont je souffre à Montréal et en Amérique du Nord en général ou les rues sont rectilignes alors qu’ici les rues serpentent et cela fait qu’on voit beaucoup plus les façades. Je suis donc très sensible à ça et, comme écrivain et poète, j’ai toujours essayé d’écrire à partir de ces lieux.»

Vous écrivez de la poésie, des romans, des essais, vous êtes professeur d’université. Il est difficile de cerner votre personnalité. Que faut-il dire de Pierre Nepveu? Comment vous présenter?

«Mais justement dans la diversité. Je dirais que pour moi la diversité des pratiques a toujours été très importante, par exemple la complémentarité entre l’écriture de la poésie et la critique des poètes. J’ai lu évidement bientôt beaucoup de poètes québécois et étrangers, mais j’essayais d’en rendre compte. C’était toujours très important pour moi, en rendre compte aussi sur le plan de l’enseignement parce qu’en même temps j’ai ma carrière comme professeur et parler de la poésie était donc très important pour moi. Mais ensuite aussi la complémentarité poésie-roman. A un moment donné j’ai senti le besoin de raconter davantage à travers la poésie, donner une dimension narrative à mes poèmes, et je manquais d’espace dans la poésie. Mais je dirais que la diversité est présente aussi sur le plan culturel. J’ai une vision du Québec qui s’est développée depuis les années soixante où on mettait l’accent sur l’identité québécoise, sur l’appartenance au Québec traditionnel en essayant de le moderniser. J’ai été très sensible à la diversité culturelle du Québec par rapport aux communautés émigrantes par exemple. »

Vous avez déjà parlé de la topologie de Prague. Qu’est ce que Prague vous dit comme ville ? Vous y sentez-vous dépaysé ? Y a-t-il des différences frappantes entre Montréal et Prague?

Vltava á Prague | Photo: Štěpánka Budková,  Radio Prague Int.
«Ici, quand je vois qu’on parle de la ville nouvelle et que la ville nouvelle c’est le XVe siècle, le choc historique est évident. Tout l’héritage culturel de Prague est largement inconnu chez nous. Donc géographiquement et historiquement le dépaysement est complet. En même temps, est-ce que c’est une grande surprise? C’est sûr, je connais un peu Prague de Kafka et de Milan Kundera et quelques autres points de vue aussi. Prague est une ville qui existe pour nous comme une grande capitale européenne et le dépaysement n’est pas donc complet. Je dois dire cependant que c’est un sentiment d’émerveillement que je ne pourrais pas avoir dans aucune ville d’Amérique ou au Québec. Ce qui est frappant aussi, si je compare Prague à d’autres capitales dont Paris (Paris est plus homogène architecturalement), c’est la diversité des influences, le Moyen Age, le baroque, la Renaissance, ça fait la beauté de cette ville. Je le trouve admirable.»

Vous êtes poète. Dans quelle mesure votre poésie est influencée par le Québec, par le fait d’appartenir justement à cette minorité canadienne?

«Je suis influencé d’abord par la langue, c’est certain, le choix d’écrire en français en Amérique du nord ne va pas de soi, c’est extrêmement minoritaire, environ 2% de la population. Par un héritage culturel et même religieux on vient tous en général des familles catholiques canadiennes françaises, parce qu’à l’époque on parlait plutôt du Canada français que du Québec. Donc cet héritage-là est présent en moi comme une mémoire littéraire car mon rapport aux poètes québécois qui m’ont précédé est très important. En même temps, mes expériences poétiques sont multiples je dirais notamment que j’ai été très influencé par la poésie américaine, j’ai lu beaucoup de poètes américains et de poètes du Canada anglais également. Mais je suis aussi influencé par la poésie française parce qu’elle est de la même langue, par les poètes français du XXe siècle, les poètes surréalistes, etc. »

Au XIXe siècle la poésie et la littérature tchèques ont joué un grand rôle dans l’émancipation du peuple tchèque menacé par la germanisation. La poésie et la littérature québécoises ont joué peut-être un rôle semblable face à l’anglophonie. Dans quelle mesure ce rôle reste actuel?

«C’était une étape fondamentale. Ce mouvement d’affirmation nationale par la poésie s’est produit beaucoup plus tard chez nous, dans l’après guerre, à partir de 1945. Il y a eu toute une génération de poètes qui ont joué un très grand rôle, notamment le plus connu qui s’appelle Gaston Miron et qui est considéré un peu comme le poète national. Il a écrit son grand livre ‘L’homme rapaillé’ en 1970. Cela a été une étape. Une fois cette étape terminée, on a passé à d’autres thématiques.»

Nous n’avons pas assez de temps pour parler de vos romans et de vos essais. Pourtant si on vous proposait de traduire en tchèque une ou deux de vos oeuvres que choisiriez-vous et pourquoi?

«En poésie je proposerais un recueil qui s’appelle «Lignes aériennes» qui a déjà été publié en anglais, qui est pour moi mon recueil le plus important et je pense que du point de vue de la critique aussi. C’est un recueil qui a obtenu un certain nombre de prix. Il est assez particulier parce que c’est l’histoire d’une aérogare au nord de Montréal, un grand projet qui a entraîné l’expropriation de nombreux fermiers et finalement a avorté. C’était un immense projet qui a déplacé beaucoup de gens. J’en ai fait une appropriation poétique à travers l’histoire de ma famille parce que mes ancêtres viennent tous de cette région-là et certains membres de la famille ont été déplacés. Alors, c'est ce livre-là, et peut-être aussi le livre d’essais ‘L’Intérieur du Nouveau monde’, ouvrage sur le Québec et les Amériques et sur cette situation nord-américaine du Québec qui pour moi est un thème très important. C'est une expérience particulière à travers nos propres rapports à l’Amérique, mais aussi à travers celle des immigrants canadiens français dont on trouve des traces un peu partout sur tout le territoire du Canada et des Etats-Unis. Si je peux donc exprimer un souhait, ce sont ces deux livres que j’aimerais voir traduits dans d’autres langues.»