Petra Hulova: « J'attends une vague qui déferlera sur moi »

Petra Hulova

La jeune écrivaine tchèque Petra Hulova a été remarquée par les lecteurs et la critique dès la parution de son premier livre. Avec son troisième roman "Le Cirque Les Mémoires" elle s'affirme comme une narratrice souveraine qui sait créer dans un livre tout un univers tissé d'histoires et de personnages.

Un des grands thèmes du roman "Le Cirque Les Mémoires" est la migration. La majorité des personnages du livre se retrouvent dans un pays étranger et ils cherchent à s'adapter à la nouvelle vie malgré les difficultés et les désillusions. Petra Hulova elle-même a écrit son livre à l'étranger.

"Je l'ai écrit quand j'étais à New York. J'ai d'abord essayé d'écrire autre chose et ce n'était pas bon, puis encore autre chose et ce n'était pas bon non plus, et je ne savais plus quoi faire. Finalement le livre s'ouvre par une scène où une jeune fille de Prague rencontre un homme à New York et ils commencent à se parler. Cela m'est vraiment arrivé. Je me suis tout simplement mise à écrire ce qui m'était arrivé quelques jours avant. La suite de l'histoire n'a plus rien à voir avec moi mais cela a déclenché la narration. Je ne sais pas tout à fait comment mais c'est ainsi que j'ai écrit ce livre."

Tereza, une jeune fille venue de Prague, rencontre a New York Ramid, un émigré d'un pays asiatique non défini. La sympathie qui s'installe entre eux ne manque pas d'un certain espoir. Et le récit commence à se ramifier, à s'étendre sur d'autres personnages, sur plusieurs générations de la famille de Ramid, sur la vie antérieure de Tereza, sur l'histoire d'un cirque qui s'appelle Les Mémoires. Par de nombreux retours en arrière la romancière tisse une trame compliquée. On dirait qu'elle a disséqué plusieurs chroniques de famille pour en créer une mosaïque qui ne respecte pas la chronologie des événements. On erre dans cette forêt d' histoires où les vies des personnages s'entrecroisent parfois, se lient et se délient. Emporté par le courant de la narration, le lecteur retrouve finalement Ramid et Tereza au moment de leur rencontre à New York. Le livre prend fin mais leur histoire continue. A chacun d'imaginer leurs futures existences où tous les espoirs et toutes les déceptions sont possibles.


"D'habitude je cherche à saisir un paysage, paysage des rapports entre les hommes, paysage des situations et des états d'âmes, et les personnages font partie de ce paysage qui est le monde que je créé, en quelque sorte. D'une part, mes personnages ne sont qu'éléments d'un ensemble, d'autre part il y a des situations où ils s'émancipent. Et tout à coup un personnage qui ne devait apparaître dans l'histoire que le temps d'un éclair, s'impose et devient principal. Cette situation où l'on domine ce qu'on écrit et où l'on est en même temps dominé par ce qu'on écrit, c'est, je pense, une des sensations les plus intéressantes qui puissent arriver." (...) "Avant de commencer à écrire, j'ai la vision d'une forme ou d'une sensation générale, mais cela ne concerne pas directement l'action ni les personnages. J'ai un vague sentiment de l'écho que le livre devrait produire. Et puis cela se déroule, phrase par phrase, je ne sais pas dans quelle direction. J'écris, j'écris et j'attends le moment où une espèce de vague déferlera sur moi et je sentirai que peu à peu tout cela touche à sa fin. Parfois cela arrive et c'est formidable. Parfois cela n'arrive pas, cela commence à s'effriter et c'est le signe d'un échec."

Il est déjà arrivé à Petra Hulova non seulement d'abandonner un texte au milieu du chemin, mais aussi d'achever un livre de dimension assez importante qu'elle n'a pas finalement jugé bon. A 27 ans, elle a sur son compte une vie pleine d'études et de voyages et trois romans. Elle a étudié la culturologie et le mongole à l'Université de Prague, a vécu dans plusieurs pays dont la Mongolie où elle a passé une année. C'est de ce séjour qu'elle a tiré son premier roman "Les Montagnes rouges", traduit en français et paru aux Editions de l'Olivier en 2005.


Les héros du roman "Le Cirque Les Mémoires" vivent leurs aventures sur trois continents, aux Etats-Unis, en Europe et en Asie, dans un monde où la migration abat les frontières entre les pays et les continents, où les civilisations s'entrechoquent, se côtoient et se confondent. Une grande partie du roman est située dans un pays asiatique non défini, mais décrit avec une telle richesse de détails qu'il nous devient presque familier. On se demande dans quelle mesure ce ton convaincant est dû à la réalité vécue par la romancière et on n'arrive pas à croire que ces passages lui ont été dictés par sa fantaisie.

"En Asie, j'ai été en Mongolie, en Bouriatie, en Sibérie, en Russie, en Chine. En Amérique j'ai été surtout à New York. J'ai aussi voyagé un peu à travers les Etats-Unis, mais je n'ai vécu qu'à New York. Je connais quelques uns des milieux dont je parle, mais je parle aussi des milieux que je ne connais pas du tout. Je pense que souvent les milieux que je ne connais pas beaucoup sont dans mes livres paradoxalement peut-être plus véridiques que les autres."

Avec la même habileté Petra Hulova arrive à se glisser dans la peau de ses personnages, masculins ou féminins, jeunes ou vieux. Mais le secret de cette introspection lui échappe. Elle laisse tout simplement travailler son imagination. C'est peut-être cela qu'on appelle le talent. Peut-on considérer son livre qui raconte la vie de plusieurs personnes ayant quitté leurs pays comme une image du monde actuel, du monde qui se globalise?

"Je ne me sens pas en mesure d'interpréter mon livre. Je ne sais pas si c'est une image plus générale ou seulement un enchevêtrement des destinées concrètes. Je ne veux pas le présenter comme une métaphore du monde. Je n'ose pas. Quand je l'écrivais, je n'avais pas cette intention. Evidemment n'importe qui peut y voir n'importe quoi. Mais je ne sais pas comment est le monde actuel, ce qu'il y a d'important dans ce monde. Je tâtonne."

Face à cette existence pleine de voyages dans un monde ou est si facile de se déplacer, on finit par ce demander s'il y a quelque part quand même un point fixe, un havre où Petra Hulova revient parce qu'elle s'y sent chez elle ? A-t-on besoin d'une patrie ou peut-on vivre n'importe où?

"Je sais imaginer mon existence dans un autre pays mais pas pour toujours. Etre ailleurs pour un certain temps me paraît intéressant. Par contre la Tchéquie est ma patrie. Je l'aime. J'y suis liée par un profond rapport sentimental. Je ne suis pas cosmopolite dans le genre: Mettez-moi où vous voulez, cela m'est égal. Mais vivre à l'étranger donne la possibilité de comparer et c'est bien."