Pavel Fischer : « Nous sommes face à la montée de solutions toutes faites, faciles et populistes. »

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Les récents attentats terroristes à Paris ont bouleversé tous ceux qui considèrent la liberté d’expression comme une valeur fondamentale. Mais le premier choc passé, le public et les médias se retrouvent confrontés à toute une série de questions que ces actes inhumains ont fait ressurgir et auxquelles il n’est pas facile de répondre. Pourtant, la recherche de réponses est d’une importance vitale pour notre civilisation. Pour évoquer quelques-uns de ces problèmes, nous avons invité dans nos studios Pavel Fischer, ancien ambassadeur de la République tchèque à Paris. Voici la seconde partie de l’entretien qu’il nous a accordé.

Pavel Fischer,  photo: ČT
Existe-t-il vraiment un fossé profond entre la société majoritaire et la communauté musulmane en France ?

« Je ne crois pas. Je crois que ce sont justement les auteurs de ces attentats qui souhaitent creuser des fossés. Mais ce n’est pas vrai. J’ai moi-même beaucoup d’amis de culture musulmane, de souche musulmane, qui sont très loin de ce genre de violence. Donc, il faut faire très attention à ne pas faire d’amalgame. Au contraire, il faut rester à l’écoute et savoir réagir, savoir réinviter tous ces gens-là qui, peut-être, pour des raisons personnelles et compréhensibles, cherchent des appuis et cherchent à se structurer. Moi-même, je suis père de famille, j’ai été formé comme instituteur, je sais ce que la formation des jeunes représente comme travail, et c’est une tâche pour toute la société ; on ne peut pas la déléguer exclusivement à un corps de pédagogues. »

Qu'est-ce que les derniers événements, la mobilisation massive de ces derniers jours et la manifestation de millions de personnes, dimanche 11 janvier, nous disent de l'état actuel de la société française et de sa capacité à se défendre des dangers qui la menacent ?

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« Je me rappelle des paroles d’un ancien premier ministre qui a participé à ce rassemblement, à savoir Jean-Pierre Raffarin, qui a dit : ‘Je n’ai jamais vécu cela. Je suis dans la vie politique depuis des décennies.’. Autrement dit, ces rassemblements que nous avons vus en France, à Paris mais aussi en province, ont manifesté quelque chose d’unique, peut-être à la hauteur de l’unicité de cette barbarie. C’est peut-être la meilleure réaction que l’on puisse apporter, à savoir que cette barbarie ne va pas déchirer le tissu social, le tissu culturel de nos sociétés, mais, au contraire, elle va nous rassembler. Cet appel à l’union est à la hauteur de cette cruauté, et je crois que c’est une très bonne réponse à ce que nous avons vécu. »

Même la presse tchèque a remarqué l’absence de Marine le Pen et du Front national à cette manifestation à Paris. Marine le Pen n’a pas été invitée. A votre avis, était-ce une bonne ou une mauvaise décision ?

« Je n’ai pas de conseil à donner à ceux qui ont organisé ces rassemblements. J’ai suivi cette question avec attention et je crois que les motifs de cette décision sont clairs. Il faut veiller à ne pas enchérir sur un discours de haine qui a été tellement de fois propagé par certains représentants du Front national. Je comprends donc pourquoi Marine le Pen n’a pas été invitée et, en même temps, je souhaite que le mécontentement sur lequel se base la politique du Front national soit aussi appelé par d’autres mouvances politiques. Sinon, nous sommes guettés par le danger que toute une partie de la politique française manque le rendez-vous. D’ailleurs, de nouveau, ce n’est pas propre à la France. Regardons les manifestations en Allemagne qui sont pour ou contre le soi-disant Islam dans la vie publique. Regardons la montée des petits partis aux Etats-Unis, observons bien ce qui se passe en Hongrie aujourd’hui ou au Royaume-Uni avec l’UKIP. Nous sommes face à une montée de solutions toutes faites, faciles et populistes, et il y a là matière à réfléchir et à travailler en commun. »

Les événements de ces derniers jours peuvent-ils propulser l'extrême-droite au pouvoir ?

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« Dans certaines communes elle est déjà au pouvoir, mais c’est une des sorties possibles de cette période. Moi, je souhaite que nos représentants politiques soient sages, à la hauteur de cette crise, car c’est peut-être dans les moments de crise que l’on découvre les vrais leaders. Je souhaite que nos sociétés en Europe trouvent des réponses adéquates et des représentants qui soient à la hauteur de cet enjeu. Et ce ne sera pas dans la simplicité de certains slogans que l’on trouvera cela. »

En République tchèque, la minorité musulmane ne compte que 10 à 20 000 personnes, mais elle suscite pourtant de la nervosité et même de la peur dans une partie de la population. Que pensez-vous de ce genre de réactions ?

« J’observe que nous avons souvent peur de ce que nous ne connaissons pas. Nous faisons parfois l’amalgame entre la culture de l’Islam et un djihadiste qui se réclame de l’Islam. Pour ce qui est de la République tchèque, je crois que notre société ne sait pas de quoi elle a peur. Peut-être a-t-elle peur des ombres autour d’elle. Or, c’est une nouvelle fois une invitation à une curiosité intellectuelle, et au courage personnel et politique en particulier. »

Quelles seront les conséquences de ces derniers événements dans notre attitude vis-à-vis du terrorisme en général ? Pour protéger la démocratie, faudra-t-il maintenant réduire la démocratie, c’est-à-dire prendre des mesures qui réduiront nos libertés démocratiques?

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« Qui dit liberté, doit dire responsabilité. Nous vivons dans un continent qui est en double feu. A l’est, nous avons la guerre en Ukraine. Au sud, nous avons des guerres fratricides dans les pays du nord de l’Afrique, et nous avons en particulier ceux qui se réclament d’un certain djihad islamique. Il faut se rendre compte qu’au nom justement de nos libertés, au nom des valeurs qui nous sont chères, il faut faire très attention à ne pas devenir victimes de ces radicalismes qui ont surgi à notre seuil. Car, sur le seuil de l’Europe, il y a un vrai problème. Et si l’on ne le nomme pas, si l’on n’y porte pas attention, nous deviendrons vraiment victimes à notre tour. Donc, oui, il y a quelque chose à repenser, et c’est aussi pour moi une invitation à travailler en coopération beaucoup plus étroite encore avec nos alliés, avec nos voisins au sein de l’Union européenne. »